Cour d’appel de Rennes, le 2 septembre 2025, n°22/03424

Cour d’appel de Rennes, 2 septembre 2025 (1re ch. B, n° RG 22/03424). Des vendeurs avaient confié un mandat de vente non exclusif à une agence comportant une interdiction de traiter avec tout acquéreur que celle‑ci aurait présenté. Le bien a néanmoins été cédé, par l’entremise d’une autre agence, à un candidat d’abord visité avec la première. Déboutée en première instance, l’agence a obtenu en appel une indemnité au titre de la clause pénale, réduite de moitié, et la condamnation in solidum de l’acquéreur pour collusion. La question posée tenait, d’une part, à l’articulation entre mandat non exclusif, force obligatoire de la clause d’interdiction et régime de la mise en demeure, d’autre part, à la responsabilité délictuelle d’un acquéreur tiers à l’acte. La Cour d’appel de Rennes confirme la validité de la clause et son exigibilité sans mise en demeure en cas d’inexécution définitive, en modérant son montant, et retient la collusion frauduleuse de l’acquéreur.

Le mandat reproduisait une stipulation claire: « Pendant toute la durée du mandat ainsi que pendant les 12 mois suivant l’expiration ou la résiliation de celui‑ci, le mandant s’interdit de traiter directement ou par l’intermédiaire d’un autre mandataire avec un acheteur présenté à lui par le mandataire ». La juridiction du fond insiste sur sa portée, jugeant que « Cette clause d’interdiction est parfaitement claire. » La première instance avait relativisé la fautivité des vendeurs, en relevant l’absence de diligences déterminantes de l’agence et l’écart d’honoraires. L’arrêt écarte ces motifs, rattache le litige à la force obligatoire du mandat et en déduit l’existence d’un double manquement: absence d’information de l’agent initial lors de l’offre et conclusion de la vente par un autre intermédiaire.

I. La force obligatoire de la clause d’interdiction et l’exigibilité modulée de la pénalité

A. Validité et portée de la clause dans un mandat non exclusif

L’argument tiré de la non‑exclusivité est neutralisé. Le juge du fond rappelle que la liberté de vendre subsistait à la condition d’écarter tout acquéreur présenté par l’agent initial. La conformité du mandat au décret de 1972 est appréciée in concreto. La cour relève que « La clause apparaît en gras, ce qui souligne son importance et la rend particulièrement apparente », et qu’elle est claire quant à l’indemnité forfaitaire égale aux honoraires convenus. Cette motivation s’inscrit dans la jurisprudence qui exige une stipulation expresse, lisible et apparente, sans exiger une mise en relief ostentatoire supplémentaire lorsque l’ensemble du document demeure lisible. Elle refuse ainsi la nullité recherchée, et réaffirme que la non‑exclusivité n’affecte pas la prohibition de traiter avec l’acquéreur présenté.

Cette lecture met en cohérence le mandat avec l’économie des mandats immobiliers non exclusifs. La priorité n’est pas conférée à l’agent par privilège abstrait, mais par l’acte de présentation. Dès cet instant, les vendeurs doivent rediriger l’offre par son entremise. Ce rappel de la logique contractuelle évite d’indexer le respect du mandat sur le succès comparé des négociations concurrentes, ce que la première instance avait implicitement admis.

B. Mise en demeure écartée, pénalité recevable, pouvoir modérateur exercé

L’arrêt précise le cadre de l’exigibilité. En cas d’inexécution définitive d’une obligation de ne pas faire, la mise en demeure est inutile. La vente a été réitérée avec versement d’honoraires à un tiers, de sorte que l’inexécution était consommée et irréversible. La demande au titre de la clause pénale devient « recevable et bien fondée en son principe », sans qu’il soit requis de caractériser un abus distinct. La cour replace ensuite la clause pénale dans sa fonction normative: « Il convient de rappeler que l’évaluation des dommages et intérêts que contient la clause pénale est le fruit de l’accord des parties », et qu’elle dispense de prouver le préjudice. Elle ajoute, dans la ligne de l’article 1231‑5 du code civil, que « Toutefois, le fait que les parties aient anticipé les conséquences de l’inexécution […] n’a pas pour effet de priver le juge » de son pouvoir de modulation.

L’exercice du pouvoir modérateur se fonde sur l’étendue réelle des diligences de l’agent évincé. La cour constate une présentation et une commercialisation initiales, sans négociation, collecte documentaire ni rédaction d’avant‑contrat. Au regard de cette prestation partielle, une indemnité calée sur la totalité des honoraires serait excessive, d’autant que l’autre agence a perçu un montant inférieur. D’où la réduction à la moitié: « la cour considère que les dommages et intérêts […] ne sauraient excéder 50 % de la somme convenue ». La solution concilie la sanction du manquement et la proportionnalité de la réparation, en évitant toute surindemnisation liée à une évaluation forfaitaire déconnectée des diligences utiles.

II. La collusion frauduleuse de l’acquéreur et l’engagement de sa responsabilité délictuelle

A. Le rôle probatoire de la première présentation et l’exigence de loyauté

L’acquéreur n’était pas lié par mandat. Il avait néanmoins signé un bon de visite lors de la présentation initiale, pièce probante de la préséance de l’intermédiation. La cour refuse toute pétition de principe sur l’absence d’obligation contractuelle et rappelle une exigence de comportement: « Cependant, le fait de ne pas être contractuellement obligé n’empêche pas la loyauté ni la délicatesse. » La connaissance par l’acquéreur de l’origine de la mise en relation, renforcée par la présence des vendeurs à la première visite, suffit à fonder une obligation de ne pas contribuer à l’éviction de l’intermédiaire premier. L’argument tenant à l’absence de mention manuscrite ou de remise du bon de visite est jugé indifférent au regard du fondement délictuel.

Cette approche rejoint une jurisprudence constante sur la responsabilité de l’acquéreur tiers lorsque sa conduite viole les exigences de loyauté dans la négociation. Le bon de visite n’est ni mandat ni source d’honoraires à sa charge. Il constitue cependant un indice sérieux de la chaîne causale et de l’appropriation de l’information issue des diligences de l’agent initial. Dès lors, le passage délibéré par un second canal pour bénéficier d’une commission moindre caractérise une faute détachable du contrat, dès lors que la première présentation était établie et connue.

B. La qualification de collusion et l’étendue de la réparation in solidum

Au vu des éléments matériels, la cour retient l’entente des intéressés pour contourner l’agent initial. Elle énonce que « La cour retient l’existence d’une collusion frauduleuse entre les vendeurs et l’acquéreur ayant eu pour conséquence de priver l’agence immobilière de sa rémunération. » Cette collusion fonde la responsabilité délictuelle de l’acquéreur, contribuant à la réalisation d’un dommage contractuel. La condamnation in solidum avec les vendeurs s’articule alors avec la réparation forfaitaire modérée, de nature indemnitaire, en cohérence avec le régime de la clause pénale.

La solution présente une portée pratique nette. Elle protège la fonction économique de l’intermédiation en décourageant les stratégies d’éviction post‑présentation. Elle encadre toutefois la sanction pour l’adapter aux diligences utiles, prévenant la tentation de transformer la clause pénale en garantie de marge. L’équilibre atteint, ferme sur la loyauté des acteurs et mesuré sur le quantum, éclaire les pratiques des mandats non exclusifs et sécurise la primauté de la première présentation, sans ériger celle‑ci en exclusivité déguisée.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture