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La Cour d’appel de Rennes, le 26 juin 2025, tranche un litige relatif à un licenciement pour motif économique consécutif à la fermeture d’un site industriel. La salariée, également titulaire d’un mandat de représentation, soutenait que la cessation d’activité procédait de fautes ou d’une légèreté blâmable imputables à l’employeur et au groupe de rattachement, justifiant l’allocation de dommages et intérêts.
Les faits tiennent à l’annonce de la fermeture d’un établissement fabricant des protections respiratoires à usage unique, après un cycle d’activité marqué par l’arrêt de commandes pandémiques, une érosion des volumes et une pression concurrentielle accrue. L’autorité administrative a autorisé le licenciement, ensuite confirmé par le juge administratif. La salariée a néanmoins saisi la juridiction prud’homale pour obtenir réparation du préjudice allégué, en exposant des griefs d’absence d’investissement, de prix de transfert défavorables et de frais intragroupe jugés excessifs.
Le conseil de prud’hommes de Saint‑Brieuc, le 2 mars 2022, a retenu une légèreté blâmable à l’origine de la cessation d’activité et accordé une indemnisation à la salariée ainsi qu’au syndicat intervenant. En appel, l’employeur a soutenu l’absence de faute, soulignant la baisse structurelle du chiffre d’affaires, un résultat opérationnel négatif, la perte de marchés au profit de concurrents à bas coûts, et la normalité des redevances intragroupe. La salariée et le syndicat ont insisté sur une stratégie de recentrage du groupe, le sous‑investissement du site, la captation de marge par des sociétés de distribution internes, et la délocalisation de la production.
La question posée tenait à la caractérisation d’une faute ou d’une légèreté blâmable à l’origine de la fermeture, justifiant une responsabilité délictuelle de l’employeur et la réparation de la perte d’emploi, et, subsidiairement, au périmètre pertinent de comparaison au sein d’un groupe. La cour infirme le jugement, juge la fermeture totale et définitive, écarte toute faute, et dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.
I. Le contrôle de la faute en cas de cessation d’activité
A. Autonomie du motif et office du juge
La cour rappelle d’abord un principe d’articulation des ordres de juridiction. Elle énonce que « la décision d’autorisation de licenciement prise par l’inspecteur du travail […] ne fait pas obstacle à ce que le salarié […] mette en cause […] la responsabilité de l’employeur […] y compris le préjudice résultant de la perte de son emploi » (Soc., 25 novembre 2020, n° 18‑13.771). Le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier l’existence d’une faute à l’origine de la fermeture.
Elle précise ensuite l’autonomie du motif tiré de la cessation d’activité dans l’article L.1233‑3 du code du travail, et les limites de son contrôle. La solution tient en deux affirmations complémentaires. D’une part, « La légèreté blâmable […] doit être distinguée de la simple erreur d’appréciation du chef d’entreprise dont les prévisions peuvent être déjouées par les aléas de la vie économique ». D’autre part, « Sous couvert d’un contrôle de la faute, les juges du fond ne doivent pas exercer un contrôle sur les choix de gestion de l’employeur ». La référence jurisprudentielle mobilisée rappelle aussi que « Il en va ainsi d’une décision de fermeture prise par le groupe, non pas pour sauvegarder sa compétitivité, mais afin de réaliser des économies et d’améliorer sa propre rentabilité, au détriment de la stabilité de l’emploi […] » (Cass. soc., 1er février 2011, n° 10‑30.045).
Cette grille impose au demandeur d’établir des agissements fautifs déterminants, distincts d’un simple arbitrage économique défavorable. Elle cantonne le contrôle judiciaire à la recherche d’un comportement blâmable, sans substituer une gestion juridictionnelle à la gestion d’entreprise.
B. Appréciation concrète des éléments avancés
La cour confronte les griefs au bilan économique du site et au fonctionnement intragroupe. Elle retient une contraction continue des volumes après l’arrêt des commandes pandémiques, une faible progression des prix dans un marché mature, des pertes de marchés significatives et un résultat opérationnel négatif. Les frais intragroupe sont analysés comme rémunérant des services mutualisés, appliqués selon un ratio commun, et en baisse sur la période considérée.
Au regard de ces éléments, les allégations de sous‑investissement, de prix de transfert confiscatoires et de captation de marge ne suffisent pas à caractériser la décision inconsidérée exigée. La motivation est nette: « Il n’est pas démontré, en l’espèce, l’existence de décisions dans les choix de gestion ou d’investissements qui relèveraient de la faute ou de la légèreté blâmable ». La conclusion s’impose alors: « Au vu de l’ensemble de ces éléments, il doit être considéré que [la salariée] ne démontre aucune faute ou légèreté blâmable […] à l’origine de sa cessation d’activité ». La responsabilité de l’employeur est donc écartée, et le licenciement validé au titre d’une cessation totale et définitive.
II. Valeur et portée de la solution
A. Une exigence probatoire élevée, conforme au droit positif
La décision s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la Cour de cassation sur l’autonomie du motif de fermeture et la charge de la preuve d’une faute qualifiée. La cour d’appel reprend la distinction décisive entre erreur de gestion et légèreté blâmable, et admet l’usage de données économiques pour apprécier le comportement sans requalifier les choix stratégiques. Elle rend opératoire la formule de principe selon laquelle « le juge ne peut […] déduire la faute […] de la seule absence de difficultés économiques », tout en pouvant « prendre en compte la situation économique de l’entreprise pour apprécier le comportement de l’employeur » (Cass. soc., 1er février 2011, n° 10‑30.045).
La motivation délivre un signal méthodologique aux plaideurs. La preuve doit viser des décisions intentionnellement défavorables ou inconsidérées ayant artificiellement construit la situation de fermeture. Des griefs généraux de sous‑investissement, de modèle commercial intragroupe, ou de rationalisation des coûts, ne suffisent pas, sauf à démontrer une logique de contournement de l’emploi incompatible avec l’intérêt social.
B. Le périmètre pertinent et l’articulation avec le groupe
La cour délimite aussi la portée du débat sur le périmètre d’appréciation au sein d’un groupe. Elle affirme que « la seule circonstance que d’autres entreprises du groupe aient poursuivi une activité de même nature ne fait pas, par elle‑même, obstacle à ce que la cessation d’activité […] soit regardée comme totale et définitive » (Cass. soc., 6 avril 2022, n° 20‑23.234). S’agissant de la comparaison sectorielle, l’arrêt souligne l’hétérogénéité des produits, des matières, des procédés et des clientèles, excluant toute interchangeabilité avec l’unité fermée.
Cette approche rejoint la finalité de l’article L.1233‑3 en matière de fermeture: le motif s’apprécie au niveau de l’entreprise, sauf co‑emploi ou fraude caractérisée. La portée pratique est claire. Les contestations fondées sur la bonne santé d’autres entités du groupe, ou sur des stratégies collectives de recentrage, demeurent inopérantes si elles ne sont pas articulées à la preuve d’actes fautifs ayant causé la fermeture. La solution valide ainsi une ligne d’équilibre entre liberté d’entreprendre et exigence de loyauté dans la conduite des restructurations.