Cour d’appel de Rennes, le 26 juin 2025, n°24/00128

Par un arrêt du 26 juin 2025, la Cour d’appel de Rennes s’est prononcée sur un litige opposant un maître d’ouvrage à l’entreprise titulaire d’un lot de travaux relatif à la pose de revêtements de sols dans un ensemble immobilier à vocation locative sociale. Le différend portait sur le solde du marché et l’application de pénalités de retard.

Les faits à l’origine du litige sont les suivants. Un maître d’ouvrage a confié à une entreprise le lot portant sur le revêtement des sols et faïences pour la construction de dix-sept logements. Le devis accepté le 19 octobre 2015 fixait le montant du marché à 75 000 euros hors taxes. L’ordre de service général prescrivant l’ouverture du chantier a été régularisé le 16 novembre 2015. Les travaux ont été réceptionnés le 14 mars 2017 avec réserves. L’entreprise titulaire du lot a adressé un état de solde s’élevant à 8 068 euros. Le maître d’ouvrage a refusé de régler l’intégralité de cette somme, invoquant des pénalités de retard chiffrées à 5 500 euros venant en compensation.

Le Tribunal de commerce de Nantes, initialement saisi, s’est déclaré incompétent par jugement du 5 novembre 2020 et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal judiciaire de Nantes. Cette juridiction, par jugement du 23 novembre 2023, a condamné le maître d’ouvrage à payer la somme de 1 868 euros avec intérêts au taux légal, après déduction des pénalités de retard. Elle a débouté l’entreprise de ses demandes fondées sur l’article L. 441-6 du Code de commerce.

L’entreprise a interjeté appel. Elle soutenait à titre principal que le maître d’ouvrage était réputé avoir accepté son décompte général définitif faute d’opposition dans le délai contractuel de quarante-cinq jours. Elle contestait à titre subsidiaire l’application de toute pénalité de retard. Le maître d’ouvrage demandait quant à lui la confirmation du jugement sur le rejet des demandes fondées sur l’article L. 441-6 du Code de commerce et sollicitait l’infirmation de sa condamnation, faisant valoir le bien-fondé des pénalités appliquées.

La question posée à la Cour était double. Il convenait d’abord de déterminer si le décompte général définitif établi par l’entreprise était réputé accepté par le maître d’ouvrage. Il fallait ensuite rechercher si des pénalités de retard pouvaient être appliquées à l’encontre de l’entreprise, notamment pour la période postérieure à la réception des travaux.

La Cour d’appel de Rennes a infirmé partiellement le jugement entrepris. Elle a condamné le maître d’ouvrage à payer la somme de 6 556,67 euros au titre du solde du marché, avec intérêts au taux majoré. Elle a rejeté toute demande au titre des pénalités de retard et des absences aux réunions de chantier.

Cette décision présente un intérêt certain en ce qu’elle précise les conditions d’application des pénalités de retard dans les marchés de travaux privés. Elle rappelle notamment que « lorsque la réception intervient dans le délai contractuel, même avec réserves, il n’est plus possible pour [le maître d’ouvrage], et sauf clause contraire expresse, d’appliquer des pénalités de retard au titulaire ».

L’analyse de cet arrêt conduit à examiner successivement la question de l’opposabilité du décompte général définitif au maître d’ouvrage (I) puis celle de l’impossibilité d’appliquer des pénalités de retard après une réception intervenue dans les délais contractuels (II).

I. L’exigence d’une preuve certaine de la réception du décompte général définitif par le maître d’ouvrage

La Cour rappelle les conditions strictes de validité du décompte général définitif (A) avant de constater l’absence de preuve de sa transmission au maître d’ouvrage (B).

A. Les conditions formelles de validité du décompte général définitif

L’entreprise titulaire du lot invoquait l’acceptation tacite de son décompte général définitif du 31 mars 2017 par le maître d’ouvrage. Elle produisait un avis de réception signé par le maître d’œuvre le 27 mars 2017. Le CCAP prévoyait en effet que le décompte devait être adressé au maître d’œuvre et qu’à défaut d’opposition dans un délai de quarante-cinq jours, il était réputé accepté.

La Cour relève d’abord une apparente contradiction entre la date du décompte, le 31 mars 2017, et celle de sa réception par le maître d’œuvre, le 27 mars 2017. Elle écarte toutefois ce moyen en constatant que l’entreprise « justifie, sans être utilement contredite sur ce point par l’intimée, régulièrement porter sur ses factures et autres situations mensuelles une date correspondant à la fin du mois considéré ». Cette pratique comptable usuelle ne saurait donc invalider le document.

Cette première analyse témoigne d’une approche pragmatique de la Cour qui refuse de s’arrêter à des considérations purement formelles dès lors qu’elles trouvent une explication raisonnable dans les pratiques professionnelles habituelles.

B. L’absence de preuve de la transmission effective au maître d’ouvrage

La Cour constate néanmoins qu’« il n’est pas établi que [le maître d’ouvrage] a bien été destinataire du décompte du 31 mars 2017 ». Elle relève que le maître d’œuvre a lui-même indiqué dans un courriel du 10 octobre 2017 n’avoir « manifestement pas reçu ou tenu compte de ce document ».

Plus encore, la Cour observe que le maître d’œuvre a retourné un autre décompte en date du 6 juin 2017 « qui ne fait aucunement référence à la situation n°7 ni au DGD du 31 mars 2017 ». Elle ajoute que « la société titulaire du lot n°13 ne verse pas aux débats son propre décompte validé, ou amendé et signé » par le maître d’œuvre.

Enfin, la Cour relève un manquement procédural déterminant. La mise en demeure adressée au maître d’ouvrage le 16 novembre 2017 n’avait pas été notifiée au maître d’œuvre « comme le stipulait pourtant le CCAP ». Le délai de quarante-cinq jours n’aurait donc « pas pu en tout état de cause commencer à courir ». Cette obligation n’a été respectée qu’après le refus du maître d’ouvrage, « ce refus étant intervenu dans le délai contractuel de 45 jours ».

La rigueur de cette analyse rappelle que la force obligatoire des stipulations contractuelles s’applique également aux formalités procédurales. L’entreprise ne pouvait se prévaloir d’une acceptation tacite dès lors qu’elle n’avait pas respecté l’intégralité du processus conventionnel.

II. L’impossibilité d’appliquer des pénalités de retard postérieurement à une réception intervenue dans les délais

La Cour procède à une analyse rigoureuse du délai contractuel d’exécution (A) avant d’affirmer le principe de l’extinction des pénalités par la réception (B).

A. La détermination du délai contractuel d’exécution des travaux

Un désaccord opposait les parties sur la durée du délai imparti à l’entreprise pour exécuter ses travaux. L’ordre de service mentionnait un délai de dix-sept mois tandis que le CCAP stipulait un délai de 16,5 mois.

La Cour tranche cette contradiction en faveur du CCAP. Elle affirme que « cette contradiction apparente doit être résolue par la prévalence des accords contractuels sur les indications contenues dans l’ordre de service ». Elle précise que l’acte d’engagement, qui prime certes sur les règles du CCAP selon la hiérarchie des pièces contractuelles, « ne doit [pas] être assimilé à un ordre de service ».

Fort de ce constat, la Cour retient le délai de 16,5 mois courant à compter du 16 novembre 2015. L’entreprise devait donc achever sa prestation le 1er avril 2017. Or la réception est intervenue le 14 mars 2017, « soit avant l’expiration du délai prévu ». L’architecte avait donc « appliqué à tort des pénalités de retard pour une période antérieure au 1er avril 2017 ».

Cette analyse met en lumière l’importance d’une lecture attentive des documents contractuels et de leur articulation hiérarchique. Le maître d’œuvre lui-même s’était trompé dans son calcul.

B. Le principe de l’extinction des pénalités par la réception des travaux

La Cour énonce un principe essentiel du droit des marchés de travaux. Elle affirme que « lorsque la réception intervient dans le délai contractuel, même avec réserves, il n’est plus possible pour [le maître d’ouvrage], et sauf clause contraire expresse, d’appliquer des pénalités de retard au titulaire ».

Le maître d’ouvrage tentait de faire valoir que l’entreprise n’avait achevé les travaux de reprise des réserves que le 25 avril 2017. Il soutenait pouvoir appliquer des pénalités pour cette période postérieure à la réception.

La Cour rejette cet argument. Elle constate que « le CCAP ne prévoit pas expressément l’application de pénalités de retard postérieurement à la réception ». Elle écarte également la jurisprudence invoquée par le maître d’ouvrage, relative aux contrats de construction de maison individuelle, au motif qu’elle « fait appel à la notion spécifique de livraison » et « n’est donc pas transposable au présent litige ».

Concernant les pénalités pour absence aux réunions de chantier, la Cour relève une ambiguïté dans le document produit. Une case était cochée « tout à la fois sous la rubrique ‘présent’ et sous celle intitulée ‘pénalité’ ». Elle en déduit qu’« il existe donc un doute sur sa carence » et confirme le rejet de cette prétention.

Cette solution s’inscrit dans une conception classique de la réception comme acte juridique mettant fin aux rapports contractuels de chantier. La réception, même assortie de réserves, libère l’entrepreneur de ses obligations relatives au délai d’exécution. Seule une stipulation expresse pourrait y déroger. En l’absence d’une telle clause, le maître d’ouvrage ne saurait sanctionner un retard qui, juridiquement, n’existe pas.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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