Cour d’appel de Rennes, le 28 août 2025, n°24/00680

La Cour d’appel de Rennes, le 28 août 2025, statue sur un contentieux de rénovation d’une maison d’habitation ayant donné lieu à référé-expertise, puis à une instance au fond. Le maître d’ouvrage sollicitait la réception judiciaire à date rapprochée des travaux et l’indemnisation de multiples désordres, en visant aussi les garanties d’assureurs multiples. Le tribunal judiciaire de Quimper, le 12 décembre 2023, avait refusé la réception, réparti les responsabilités entre le maître d’œuvre et l’entreprise, limité certains chefs de préjudice, et exclu la mobilisation de garanties décennales. L’appel porte sur l’opportunité de la réception, l’étendue des préjudices réparables, la part du maître d’œuvre, et la mobilisation de garanties de responsabilité civile déclenchées par réclamation.

Les faits utiles tiennent à une mission complète de maîtrise d’œuvre, à des lots de gros œuvre, électricité et plomberie confiés à un entrepreneur unique, à des malfaçons graves, et à l’absence de prise de possession. Un référé-expertise a été ordonné en 2019, le rapport déposé en 2022, des travaux de reprise s’achevant en 2023. En appel, le maître d’ouvrage persistait dans la demande de réception judiciaire par référence à un lot structurel supposé achevé, sollicitait l’augmentation de plusieurs chefs indemnitaires, et entendait mobiliser les garanties d’assureurs successifs. Les intimés contestaient l’état d’habitabilité à la date proposée, le quantum des travaux de reprise non facturés, la causalité de certains désordres, et l’applicabilité des garanties.

La question de droit principale est double. D’abord, la réception judiciaire peut-elle être prononcée lorsque l’ouvrage d’habitation n’est pas habitable, alors même que des lots seraient quasi achevés et qu’une réception par lots est invoquée. Ensuite, les garanties d’assurance de responsabilité civile, stipulées en base réclamation, se mobilisent-elles au profit du maître d’ouvrage lorsque la première réclamation intervient durant la période subséquente, après succession de contrats.

La cour répond négativement à la demande de réception, retenant comme critère exclusif l’habitabilité effective, et en déduit l’impossibilité de mobiliser la garantie décennale. Elle confirme et ajuste la répartition des responsabilités en retenant des fautes de conception et de suivi à la charge du maître d’œuvre, tout en rappelant que « Le partage de responsabilité ne vaut qu’entre codébiteurs ». Elle admet enfin la mobilisation d’une garantie de responsabilité civile déclenchée par la réclamation, au regard des stipulations contractuelles et des articles L124-5 et R124-2 du Code des assurances.

I. Le refus de la réception judiciaire et ses effets

A. Le critère exclusif d’habitabilité et l’écartement de la réception par lots
La cour rappelle que « Pour que la réception judiciaire soit prononcée, il faut que l’immeuble soit en état d’être reçu, ce qui signifie être effectivement habitable pour un immeuble d’habitation, peu important qu’il soit habité ou non. » Elle ajoute sobrement : « Il s’agit du seul critère à prendre en considération. » L’office du juge consiste donc à apprécier l’habitabilité globale à la date proposée, et non l’état d’achèvement d’un lot isolé.

Cette exigence s’inscrit dans la ligne de la troisième chambre civile, à laquelle la cour se réfère expressément, selon laquelle « L’existence de travaux de reprise n’est pas de nature à empêcher une réception avec réserves (3e Civ, 25 mars 2015, n°14-12.875). Il en va différemment quand les réserves sont d’une nature telle qu’elles rendent l’ouvrage impropre à sa destination (3e Civ, 11 juin 2014 n° 13-14.785). » Ici, les risques d’incendie liés à l’électricité, l’absence de prise de terre, l’insuffisante étanchéité, et les infiltrations rendaient l’immeuble impropre à sa destination. L’argument tiré d’un avancement élevé de certains lots est relativisé par l’expertise, qui « évoque une mise hors d’air et hors d’eau de l’ouvrage “théorique” ».

Au bilan, la cour refuse la réception au mois d’avril 2017, en relevant « la très grande importance des désordres » et en centrant l’analyse sur l’habitabilité. La motivation, précise et circonscrite, écarte implicitement toute réception partielle lorsque l’habitabilité globale fait défaut.

B. L’impossibilité corrélative de mobiliser la garantie décennale
Le refus de réception emporte une conséquence claire et immédiate. La cour énonce que, faute de réception, « La garantie décennale des différents assureurs dans la cause ne saurait dès lors être mobilisée. » Cette solution découle d’une orthodoxie bien établie du régime des articles 1792 et suivants du Code civil. Elle prévient les confusions fréquentes entre responsabilité contractuelle de droit commun avant réception et responsabilité décennale après réception, chacune obéissant à des conditions propres et à des déclencheurs distincts.

La portée pratique est nette. La discussion sur la décence d’un ouvrage au sens locatif devient subsidiaire, puisque l’habitabilité structurelle conditionne autant la réception que la qualification du dommage au titre des garanties réelles du constructeur. La cour réserve toutefois les demandes indemnitaires en responsabilité de droit commun, distinctes du champ décennal, ce qui ouvre la voie à une réparation calibrée des désordres avérés.

II. La responsabilité du maître d’œuvre et la mobilisation des garanties en base réclamation

A. La faute de conception et de suivi, et la règle d’imputation envers la victime
La cour retient, pour plusieurs désordres, des manquements de conception et de suivi imputables au maître d’œuvre. Elle rappelle que les comptes rendus faisaient entrer les menuiseries dans le périmètre de contrôle, que l’absence de seuil, l’étanchéité défaillante et la non-prise en compte de l’humidité appelaient des prescriptions et relances. Surtout, elle consacre une règle de portée générale, en indiquant que « Le partage de responsabilité ne vaut qu’entre codébiteurs. » Ainsi, l’obligation à la dette envers la victime demeure entière à l’encontre d’un responsable attrait, le partage prenant effet uniquement dans les rapports internes.

Cette affirmation justifie la condamnation pleine du maître d’œuvre sur certains désordres, malgré l’existence d’un entrepreneur non attrait. Elle renforce la fonction protectrice du recours direct de la victime et évite qu’une carence d’assignation ne se retourne contre celle-ci. La cour ajuste, par ailleurs, l’évaluation des travaux de reprise à partir du chiffrage expertal, en admettant l’indexation BT01 entre le dépôt du rapport et la date des reprises, solution pragmatique quand les factures ultérieures correspondent aux mesures préconisées.

Enfin, la qualification de préjudice de jouissance est précisée. La cour retient une période d’indisponibilité de soixante-deux mois, mais « lisse » la valeur locative en raison du caractère saisonnier et de l’aléa de perception, ramenant l’indemnité à un montant forfaitaire cohérent. La ventilation des parts internes, majoritairement à la charge de l’entreprise d’exécution, témoigne d’une lecture causale affinée, sans affaiblir le droit à réparation du maître d’ouvrage.

B. La base réclamation, la période subséquente et l’assureur subséquent
La décision éclaire opportunément le régime du déclenchement de la garantie de responsabilité civile hors décennale. La cour cite la stipulation contractuelle pertinente : « L’article 8.1.1 de la police […] stipulait que la garantie au titre de la responsabilité civile générale hors décennale, pendant travaux, avant et après réception, était déclenchée par la réclamation. » Elle articule ensuite ce texte avec le droit positif, en rappelant que « Par application des dispositions de l’article L124-5 du Code des assurances, dans l’hypothèse d’une résiliation suivie d’une nouvelle souscription des garanties à l’identique, […] le nouvel assureur doit prendre en charge les réclamations à venir, quelle que soit la date du fait dommageable. »

La période subséquente, prévue par l’article R124-2, reçoit application concrète, la cour notant que « La première réclamation […] est intervenue le 9 juillet 2019 […], soit durant la période subséquente susvisée. » Cette articulation conduit à mobiliser la garantie de l’assureur subséquent, sous réserve d’une condition décisive que la cour vérifie expressément : l’activité assurée devait couvrir l’activité réelle à l’origine des désordres. Elle en déduit que les activités de plomberie et d’électricité, ajoutées par avenant postérieur aux travaux reprochés, ne sont pas couvertes, tandis que d’autres postes, relevant d’activités déclarées, appellent garantie.

La portée de la solution est double. D’une part, elle sécurise les transitions d’assurances par une lecture fidèle de la base réclamation et de la période subséquente, évitant les angles morts temporels, sous réserve d’identité des garanties. D’autre part, elle rappelle la rigueur de l’exigence d’adéquation entre activité déclarée et sinistre, qui conditionne toute mobilisation, et neutralise ainsi les tentatives d’extension implicite du périmètre d’activité par le seul jeu des réclamations tardives. Cette méthode, précise et séquencée, favorise la lisibilité des responsabilités assurantielles dans les chantiers à chronologie complexe.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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