- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Cour d’appel de Rennes, 3 septembre 2025. La décision porte sur la rupture d’une période d’essai intervenue deux jours après l’embauche, dans un contexte de propos relatifs à la couleur de peau et d’un écart de langage. Le premier juge avait débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes. En cause d’appel, l’employeur oppose l’absence d’effet dévolutif, tandis que le salarié sollicite la nullité pour discrimination, à défaut l’abus, ainsi que l’indemnisation d’un contexte vexatoire ajouté en appel.
La juridiction d’appel admet d’abord la dévolution, puis rappelle le régime probatoire applicable à la période d’essai et à la discrimination. Elle estime que des éléments objectifs étrangers à toute discrimination justifient la rupture, malgré un contexte social dégradé dans l’équipe. Elle confirme le jugement, tout en réparant le contexte vexatoire par l’allocation de dommages-intérêts.
I. Les questions procédurales d’appel: effet dévolutif et accessoire recevable
A. L’effet dévolutif déclenché par la désignation suffisante des chefs critiqués
La cour rappelle les exigences issues des articles 901 et 562 du code de procédure civile. Elle souligne que « en l’absence de référence aux chefs de jugements critiqués ou d’indication que l’appel concerne l’ensemble du jugement, il n’y a pas d’effet dévolutif ». Elle en déduit la méthode: l’acte doit circonscrire précisément l’objet de l’appel en visant les chefs attaqués, à défaut d’un appel total. Or la déclaration mentionnait le débouté intégral et la condamnation aux dépens. La cour en tire la conséquence suivante: « Dès lors, l’acte d’appel précisant ainsi son objet, il s’en déduit nécessairement l’énumération des chefs de jugement critiqués. »
La motivation, claire et pédagogique, réaffirme une ligne désormais classique: il n’est pas exigé un découpage littéral du dispositif lorsque la décision de première instance ne comporte, au fond, qu’un chef global de débouté. La précision suffit. La formule selon laquelle « Cette déclaration d’appel emporte ainsi effet dévolutif de l’appel » traduit une approche finaliste de l’article 901, 4°, compatible avec la sécurité juridique des voies de recours. Elle limite l’irrecevabilité-sanction aux hypothèses d’imprécision réelle, sans ériger de formalités excessives.
B. La demande nouvelle, accessoire d’une prétention initiale, admise en appel
La cour reçoit la demande indemnitaire au titre du contexte vexatoire, nouvelle en appel, en retenant que « Cette demande étant nouvelle en appel mais recevable comme accessoire à la demande initiale d’indemnité pour rupture abusive de la période d’essai, il convient de statuer de ce chef. » Cette qualification s’inscrit dans l’économie de l’article 564 du code de procédure civile, qui tolère l’accessoire lorsque la prétention prolonge, sans la dénaturer, la demande initiale.
Le raisonnement est pragmatique. La réparation du contexte vexatoire se greffe sur la contestation de la rupture, et vise le même fait générateur, sans modifier l’objet principal du litige. La cour préserve ainsi l’équilibre entre l’interdiction des demandes nouvelles et la nécessaire complétude de l’office indemnitaire en appel. Cette solution, mesurée, évite une cassure artificielle du contentieux tout en respectant la discipline du procès.
II. Le régime de la rupture en période d’essai: justification objective et réparation du contexte
A. L’absence de discrimination et d’abus au regard des justifications objectives
La cour rappelle avec netteté l’objet de l’essai: « La période d’essai a pour objet de permettre à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, au regard de son expérience et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent. » Elle précise encore le régime probatoire interne à l’abus: « La charge de la preuve de la rupture abusive incombe au salarié qui s’en prévaut. » S’agissant de la discrimination alléguée, elle applique l’article L.1134-1, en relevant que « Les éléments de fait produits par le salarié pris ensemble laissent donc supposer l’existence d’une discrimination indirecte en raison de son origine. »
À ce stade, le fardeau se renverse. La cour exige une justification objective de l’employeur, étrangère à toute discrimination. Elle constate que « L’employeur verse aux débats plusieurs pièces permettant de démontrer que la rupture de la période d’essai est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ». Le faisceau mobilisé touche la ponctualité dès le premier jour, l’implication en formation, la prise de notes et l’usage du téléphone pendant les doubles écoutes. Pour apprécier la preuve, la cour articule utilement l’article 202 du code de procédure civile: « les règles qu’il édicte ne sont pas prescrites à peine de nullité, de sorte qu’il incombe au juge saisi d’apprécier la valeur probante et la portée d’attestations irrégulières en la forme. » Le contrôle de la valeur probante reste donc substantiel, non formaliste.
La cour n’ignore pas l’écart de langage sexiste, survenu dans un contexte de plaisanteries inappropriées. Elle précise toutefois que « l’employeur démontre que la rupture a été décidée à la suite d’un ensemble d’autres comportements du salarié. » Le motif ne se réduit pas à la réplique injurieuse, fût-elle répréhensible. Il tient surtout à une évaluation défavorable des aptitudes professionnelles, ce qui correspond à la finalité de l’essai. Le raisonnement est cohérent avec la liberté de rompre, encadrée par l’interdiction de l’abus et de la discrimination. La cour conjugue ainsi l’office probatoire et la substance du contrôle sans dénaturer l’essai en période probatoire disciplinée.
B. La réparation autonome du contexte vexatoire, distincte de la rupture elle-même
Après avoir écarté nullité et abus, la cour identifie un préjudice moral spécifique lié au cadre de travail et à la manière dont la rupture s’est insérée dans celui-ci. Elle retient que la séparation « intervient bien dans un contexte vexatoire », notamment en raison de la référence publique à la précarité de l’essai, « sa période d’essai relevait du sursis. » Cette appréciation dissocie l’examen du motif de rupture, objectivement justifié, et l’évaluation d’un climat attentatoire à la dignité, engageant la responsabilité délictuelle de l’employeur.
La portée pratique est nette. L’indemnisation du contexte n’emporte ni réintégration ni régime du licenciement, la cour rappelant à juste titre que « En revanche le salarié ne peut prétendre ni à l’indemnité de préavis, ni au paiement de l’indemnité pour licenciement abusif ou nul. » Elle maintient ainsi la spécificité du titre III relatif au contrat à durée indéterminée, inapplicable durant l’essai, tout en assurant la réparation d’un dommage autonome, en lien causal avec des agissements vexatoires.
Cette solution ménage un équilibre convaincant. Elle préserve la fonction de l’essai, qui demeure une période de test des aptitudes, et sanctionne, le cas échéant, le manquement à l’exigence de respect dû à la personne au travail. Elle incite l’employeur à séparer clairement l’évaluation professionnelle des comportements de l’équipe, et à prévenir tout propos stigmatisant. Elle confirme, enfin, que l’absence d’abus ou de discrimination n’épuise pas l’office du juge lorsqu’un préjudice moral distinct est établi et suffisamment caractérisé.