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Par un arrêt du 3 septembre 2025, la Cour d’appel de Rennes, 8e chambre prud’homale, statue sur la rupture d’un contrat d’auxiliaire de vie de nuit. La salariée, engagée initialement à temps partiel puis à temps plein, travaillait des gardes nocturnes de douze heures. Elle a pris acte de la rupture en invoquant des heures supplémentaires impayées, des manquements à la réglementation du travail de nuit, une carence de l’employeur en matière de santé au travail, l’absence d’affiliation à la complémentaire santé, et des irrégularités déclaratives.
Saisie après un jugement du conseil de prud’hommes de Lorient du 14 décembre 2021 ayant analysé la prise d’acte en démission, la cour infirme partiellement. Elle admet des rappels pour heures supplémentaires et temps de pause, requalifie le temps partiel en temps plein, retient un manquement à l’obligation de sécurité pour dépassement de la durée hebdomadaire maximale et défaut de repos compensateur de nuit, mais écarte tout manquement relatif à la visite d’information et de prévention. Elle juge que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, alloue les indemnités afférentes et ordonne la remise des documents de fin de contrat.
La question centrale porte sur l’articulation entre la preuve des heures supplémentaires et des contreparties au travail de nuit, la portée des obligations de santé-sécurité, et le seuil de gravité des manquements permettant à la prise d’acte de produire les effets d’un licenciement sans cause.
I. Le sens de la décision: temps de travail, contreparties et requalification
A. La preuve des heures et l’office du juge
La cour rappelle le standard probatoire en matière d’heures, conformément à l’article L. 3171-4. Elle vise que « Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis […] Le juge forme sa conviction […] il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant. » Ce rappel, classique, fonde une appréciation concrète des tableaux et bulletins produits par les parties.
La cour distingue ensuite temps de pause et temps supplémentaire. Elle retient l’application de la convention collective selon laquelle « le travailleur de nuit bénéficie d’une pause d’au moins 20 minutes […] le temps de pause est rémunéré en sus comme du temps de travail effectif ». Elle précise toutefois que la pause rémunérée ne constitue pas, par nature, une heure majorée. Ce raisonnement, rigoureux, conduit à isoler le quantum de rappel pour pauses et à appliquer, de manière graduée, les taux de majoration conventionnels pour les heures au-delà de la référence.
B. La requalification du temps partiel en temps plein
S’agissant de la période à temps partiel annualisé, la cour constate le dépassement significatif de la durée légale annuelle. Elle énonce que « Il résulte de ces constatations que [la salariée] a réalisé plus de 1607 heures de travail et a dépassé la durée légale du travail ce qui justifie la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein. » La motivation s’appuie sur l’absence de lissage accepté et sur les volumes effectivement accomplis.
Ce faisant, la décision illustre une ligne jurisprudentielle constante: lorsque l’exécution témoigne d’un volume structurellement incompatible avec le temps partiel, la requalification s’impose, indépendamment d’ajustements ponctuels. L’indemnité de requalification est donc allouée, et les rappels de salaires sont complétés par les majorations non versées au titre des heures supplémentaires de l’année pleine suivante. La portée pédagogique est nette: l’accord d’entreprise ne peut neutraliser ni la durée légale ni la hiérarchie des normes applicables.
II. La valeur de la décision: santé-sécurité et prise d’acte
A. Santé au travail: visite d’information, durées maximales et repos de nuit
La cour tranche en deux temps. D’abord, au regard du suivi individuel, elle constate que l’organisation d’une visite avait été sollicitée et qu’au vu d’éléments antérieurs le service de santé au travail n’avait pas jugé nécessaire de programmer une visite immédiate. Elle conclut que « Aucun manquement de l’employeur à son obligation d’organisation de visites médicales n’est donc caractérisé. » Cette solution, attachée à la périodicité définie par le médecin du travail, écarte l’argument tenant au seul statut de travailleur de nuit.
Ensuite, la cour contrôle les durées et contreparties du travail de nuit. Elle relève une semaine à soixante heures, en dépassement des quarante-huit heures maximales. Elle juge alors: « Il en résulte qu’il a manqué à son obligation de sécurité. » Elle retient en outre l’absence de repos compensateur de nuit, après avoir rappelé la règle conventionnelle de 5 % par heure de nuit, en constatant que « Aucun décompte de repos compensateur n’est versé aux débats et les plannings ne mentionnent pas ces repos ». La carence sur la complémentaire santé est également sanctionnée, l’employeur n’ayant pas mis en demeure la salariée de justifier d’une dispense obligatoire; « En s’abstenant d’y procéder, il a manqué à ses obligations. » L’ensemble consacre une vigilance essentielle sur le droit au repos et les garanties collectives, sans radicaliser la solution sur le terrain médical initial.
B. Gravité des manquements et effets de la prise d’acte
La cour rappelle la règle de qualification de la prise d’acte: « La prise d’acte de la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque les manquements de l’employeur invoqués par le salarié sont établis et suffisamment graves pour justifier la rupture. A défaut, elle produit les effets d’une démission. » Elle apprécie ensuite conjointement les impayés d’heures et les atteintes aux repos et durées maximales, pour franchir le seuil de gravité.
La motivation retient d’abord que « Le non paiement par l’employeur de l’intégralité des heures supplémentaires et des majorations pour heures supplémentaires caractérise une exécution déloyale du contrat de travail. » Puis, en combinant les violations persistantes du droit au repos compensateur et le dépassement hebdomadaire, elle affirme: « Ce manquement, combiné au non-respect des durées maximales de travail et des droits au repos compensateur dans le cadre du travail de nuit, caractérise une faute grave de l’employeur […] Cette faute grave rendait impossible la poursuite du contrat de travail aux torts de l’employeur. » Le grief relatif à la complémentaire santé, isolément, ne suffisait pas; il demeure néanmoins indemnisé au titre du préjudice autonome.
La portée de l’arrêt est double. D’un côté, il consolide une lecture exigeante des contreparties du travail de nuit et du contrôle des durées, en rattachant leurs atteintes à l’obligation générale de sécurité. De l’autre, il illustre une approche cumulative de la gravité des manquements pour emporter les effets d’un licenciement sans cause, tout en respectant le barème légal pour l’indemnisation. Le rejet du travail dissimulé, faute d’intention, et la neutralisation du grief médical, recentrent utilement l’analyse sur les manquements établis et leurs conséquences sur les conditions de travail et de rémunération.