Cour d’appel de Rennes, le 3 septembre 2025, n°22/00281

La Cour d’appel de Rennes, 8e chambre prud’homale, 3 septembre 2025, statue sur un licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé, après un contentieux nourri relatif au harcèlement. L’affaire interroge l’articulation entre nullité pour harcèlement et responsabilité pour manquement à l’obligation de sécurité ayant conduit à l’inaptitude.

Le salarié, embauché de longue date et reclassé, a exercé divers mandats représentatifs. Plusieurs maladies professionnelles touchant les épaules ont été reconnues, puis des litiges antérieurs ont retenu discrimination syndicale et harcèlement moral. L’avis d’inaptitude est intervenu fin 2017, suivi d’un refus d’autorisation par l’inspection, ensuite annulé par le ministre, avant la notification du licenciement.

Le conseil a jugé le licenciement fondé, rejetant la nullité. En appel, le salarié sollicite la nullité du licenciement en lien avec un harcèlement, subsidiairement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi du fait de manquements à la sécurité. L’employeur conteste la compétence prud’homale pour l’indemnisation et nie tout lien causal entre harcèlement, inaptitude et rupture.

La juridiction d’appel confirme l’absence de nullité, mais retient des manquements à l’obligation de sécurité ayant causé l’inaptitude. La rupture est dite sans cause réelle et sérieuse, l’indemnité allouée s’inscrivant dans le cadre de l’article L. 1235-3 du code du travail, avec accessoires usuels et remboursement des allocations dans la limite légale.

I. Compétence et nullité: portée exacte de la décision

A. Compétence prud’homale et articulation avec le pôle social
Le litige impose de départager l’indemnisation des dommages liés à la maladie professionnelle, relevant du pôle social, et les demandes relatives à la rupture, relevant du juge prud’homal. La cour rappelle que « la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ». Elle ajoute, dans la droite ligne d’une clarification utile, que « Même si le salarié ne formule pas devant la cour de demande tendant à déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse, la demande d’indemnisation de la perte injustifiée de son emploi, en ce qu’elle est la conséquence de la rupture du contrat de travail, relève ainsi de la compétence de la juridiction prud’homale ».

Cette solution distingue nettement la réparation des atteintes liées à la pathologie de celle afférente à la rupture. Elle permet d’écarter une irrecevabilité fondée sur la seule qualification de maladie professionnelle, tout en circonscrivant l’office du juge prud’homal à l’examen de la cause et des effets de la rupture.

B. Nullité du licenciement et exigence du lien causal
La nullité supposait d’établir que l’inaptitude procède d’un harcèlement moral, ce que l’avis d’inaptitude ne corroborait pas, malgré des constats antérieurs de harcèlement. La cour relève l’absence de mention de harcèlement dans l’avis médical, et refuse d’annexer aux agissements harcelants des manquements distincts, tels que le non-respect des préconisations médicales, déjà réparés sur le terrain de la sécurité. Dans ces conditions, la nullité est écartée, conformément à l’exigence d’un lien direct et certain entre harcèlement et inaptitude.

Cette démarche recentre le débat: la rupture demeure contestable au regard de la cause réelle et sérieuse si l’inaptitude trouve sa source dans des manquements à la sécurité, sans ouvrir pour autant au régime spécifique de la nullité.

II. Imputabilité de l’inaptitude et régime de réparation

A. Obligation de sécurité, causalité et office du juge
La cour rappelle le contenu normatif de la sécurité au travail: « L’obligation de sécurité à laquelle est tenu l’employeur comprend ainsi deux volets : le premier consistant à mettre en ‘uvre les dispositions de nature à prévenir le risque, le second à prendre les mesures appropriées lorsque celui-ci survient. » Elle définit ensuite le contrôle juridictionnel: « Il appartient au juge de rechercher lorsqu’il y est invité, si l’inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l’employeur à son obligation de sécurité, et, dans une telle hypothèse, de caractériser le lien entre la maladie du salarié et un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. » La conséquence, de principe, est rappelée sans ambiguïté: « Si l’inaptitude du salarié a été directement causée par le comportement fautif de l’employeur, le licenciement en résultant est sans cause réelle et sérieuse. »

Au regard des alertes médicales répétées, des réserves émises et des arrêts de travail, l’employeur ne justifiait pas de mesures adaptées pour prévenir la dégradation de la santé ou adapter le poste. La cour impute donc l’inaptitude aux manquements de sécurité et requalifie la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette motivation s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante, clarifiant l’articulation entre fautes préalables, inaptitude et régime probatoire.

B. Barème d’indemnisation, accessoires et mesures d’exécution
La réparation relève du barème légal, la qualification de nullité ayant été écartée. La cour énonce: « Selon l’article L1235-3 du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. » Elle refuse de contourner le barème au motif d’une « perte injustifiée d’emploi », et apprécie les critères légaux, âge, ancienneté et situation postérieure, pour fixer l’indemnité. Elle précise la nature des montants accordés: « Cette indemnité, fixée en considération du salaire brut perçu par le salarié, est donc allouée en brut ».

S’agissant des accessoires, la cour fixe le point de départ des intérêts selon la nature des créances et rappelle que « les dommages et intérêts alloués sont assortis d’intérêts au taux légal à compter de la présente décision ». Elle ordonne la remise des documents rectifiés et refuse un mécanisme de coercition inadapté en l’espèce: « Les circonstances de la cause ne justifient pas le prononcé d’une astreinte. » Enfin, au titre du remboursement des allocations, l’assise légale est explicitée: « L’article L.1235-4 du code du travail prévoit que dans les cas où le licenciement est nul ou dénué de cause réelle et sérieuse, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage ».

Cette solution, équilibrée, combine une mise en œuvre rigoureuse du lien causal avec un respect ferme du cadre légal indemnitaire. Elle conforte l’exigence de prévention effective et l’obligation d’adaptation, tout en sécurisant la réparation par un contrôle motivé et proportionné.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture