Cour d’appel de Rennes, le 3 septembre 2025, n°22/00741

Par un arrêt de la cour d’appel de Rennes du 3 septembre 2025 (8e chambre prud’homale), la juridiction statue sur des demandes d’heures supplémentaires antérieures à un forfait-jours, sur des griefs de harcèlement moral et de manquement à l’obligation de sécurité, ainsi que sur les effets d’une prise d’acte. Le contexte de redressement judiciaire impose enfin de déterminer le régime de fixation des créances salariales.

La salariée, recrutée en 2017 comme responsable administrative et financière, a signé un avenant au forfait-jours au 1er janvier 2019. En 2019, après un signalement écrit, elle a été placée en arrêt de travail, puis a pris acte de la rupture en octobre. Déboutée en première instance, elle a interjeté appel, sollicitant notamment la requalification en licenciement nul, des rappels d’heures supplémentaires, et des dommages-intérêts pour harcèlement et manquement à la sécurité.

La cour infirme largement le jugement. Elle retient l’existence d’heures supplémentaires avant le forfait-jours, écarte le travail dissimulé faute d’intention, constate un manquement à l’obligation de sécurité et un harcèlement moral, puis en déduit que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul. Les sommes sont fixées au passif, compte tenu de la procédure collective, conformément à l’orthodoxie jurisprudentielle.

I. L’appréciation des manquements contractuels et de la preuve

A. Le régime probatoire des heures supplémentaires et l’ordre implicite

La cour rappelle d’abord l’office du juge et la charge probatoire aménagée. Elle cite que « Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis […] afin de permettre à l’employeur […] d’y répondre utilement ». La production par la salariée d’un décompte journalier et hebdomadaire est jugée suffisamment précise, malgré certaines incohérences relevées et prises en compte.

La clause imposant une autorisation écrite préalable d’heures supplémentaires est privée d’effet lorsque l’organisation du travail la rend illusoire. La cour énonce ainsi que « dès lors que les tâches confiées nécessitaient de travailler au delà de 35 heures, la commande des heures supplémentaires qui en résulte est implicte privant ainsi ladite clause d’effet ». Le raisonnement est classique: l’ordre peut être implicite si la charge objectivement requise excède la durée légale, ce qui neutralise les stipulations de pure forme.

Dans ce cadre, la juridiction évalue souverainement le quantum, en corrigeant le décompte par les récupérations et pauses omises, et fixe une créance réduite. La solution, mesurée, illustre la méthode probatoire bilatérale issue de l’article L. 3171-4, et réaffirme que la vraisemblance prime l’exactitude parfaite, le juge arbitrant in concreto.

B. L’obligation de sécurité: prévention, traçabilité et charge de la preuve

La cour retient un manquement au regard des articles L. 4121-1 et suivants, faute de mesures adaptées et traçables. Elle souligne que « L’employeur auquel il incombe de démontrer qu’il a pris les mesures pour prévenir et faire cesser toute atteinte à la santé de la salariée ne s’explique pas sur les moyens de contrôle de la charge de travail […] et ne justifie pas avoir identifié les risques attachés au poste, le DUER de 2018 […] visait la création d’un groupe de projet […] ce qui signifie que tel n’était pas le cas ». Le défaut d’évaluation spécifique, d’actions de formation et de pilotage de la charge caractérise la carence.

Le dommage est réparé par une somme modeste, conforme à l’atteinte établie et aux éléments médicaux évoqués. La solution s’inscrit dans la ligne où la prévention prime, l’exonération supposant une preuve positive des mesures effectives et adaptées. La cour articule utilement cette analyse avec la fixation au passif, rappelant que « Ces sommes étant dues […] restent soumises […] au régime de la procédure collective, de sorte qu’il y a lieu de fixer […] sans […] condamner le débiteur ». Le rappel de la règle de fixation, consacrée par la chambre sociale, sécurise l’exécution en contexte collectif.

II. Harcèlement moral et effets de la prise d’acte; portée et limites

A. La caractérisation du harcèlement et la nullité corrélative

La charge probatoire allégée est appliquée sans rigidité formaliste. La cour retient que « Pris dans leur ensemble, ces éléments laissent supposer l’existence d’une situation de harcèlement moral ». Les éléments retenus tiennent à une mise sous pression verbale, corroborée par des écrits, et à une sollicitation inappropriée pendant l’arrêt de travail concernant une reprise ou une rupture. L’employeur ne démontre pas d’éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, alors même qu’il invoquait le contexte.

La juridiction ajoute que « Il en résulte que les deux agissements des 22 et 30 août 2018 ne sont pas justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral ». La répétition exigée par le texte est ici satisfaite par la pluralité rapprochée des agissements, appréciés dans leur contexte. La solution, prudente mais ferme, retient un quantum de réparation distinct de la rupture, puis tire la conséquence de droit: « La prise d’acte de la rupture produit les effets d’un licenciement nul […] », la nullité étant attachée aux faits de harcèlement. L’articulation entre fait générateur prohibé et sanction de nullité respecte l’économie des articles L. 1152-3 et L. 1235-3-1.

B. Le rejet du travail dissimulé et la discipline de la procédure collective

La qualification de travail dissimulé est écartée, conformément au critère d’intentionnalité. La cour énonce que « Toutefois, tant la réalisation d’heures supplémentaires non rémunérées […] que l’institution d’un forfait jours […] ne suffisent pas à caractériser une intention de dissimulation d’emploi ». La motivation rappelle que l’intention ne se présume pas de la seule existence de rappels d’heures ou d’une réorganisation du temps de travail. L’exigence d’un dessein de dissimulation protège contre une sur-qualification délictuelle inopportune.

Enfin, l’ensemble des créances, salariales et indemnitaires, fait l’objet d’une fixation au passif, non d’une condamnation à payer, selon la formule consacrée: « Ces sommes étant dues […] restent soumises […] au régime de la procédure collective, de sorte qu’il y a lieu de fixer […] sans pouvoir condamner le débiteur ». La portée pratique est décisive: arrêt des intérêts sur les créances antérieures, avance éventuelle par l’organisme de garantie selon ses plafonds, et remboursement d’un mois d’allocations à l’opérateur public, la nullité de la rupture commandant par ailleurs un plancher indemnitaire adéquat.

I. Le régime probatoire des heures supplémentaires et l’obligation de sécurité articule des standards stabilisés avec un contrôle concret, aboutissant à une fixation prudente des créances.

II. La reconnaissance du harcèlement moral, puis la nullité de la prise d’acte, confirment l’exigence d’objectivation des comportements managériaux et l’exclusion d’une intention délictuelle non démontrée, dans un cadre collectif solidement balisé.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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