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Par un arrêt en date du 31 juillet 2025, la cour d’appel de Rennes statue sur la responsabilité d’un constructeur de maison individuelle dans le cadre d’un projet d’investissement locatif défiscalisé.
Un particulier souhaitait bénéficier du dispositif de réduction d’impôt dit loi Pinel, applicable aux logements situés en zone B2 sous réserve d’un dépôt de permis de construire avant le 31 décembre 2017. Il a confié à une société de construction le mandat de déposer cette demande auprès des services municipaux. Le dossier, incomplet, a été déposé le 27 décembre 2017. La commune a sollicité des pièces complémentaires par courrier du 19 janvier 2018, accordant un délai de trois mois pour leur transmission. Le constructeur n’a jamais transmis ces documents dans le délai imparti, ce qui a entraîné le rejet tacite du permis notifié le 14 mai 2018. Le maître de l’ouvrage a assigné le constructeur en réparation de son préjudice financier et moral.
Le tribunal judiciaire de Vannes, par jugement du 14 novembre 2023, a condamné le constructeur à verser des dommages et intérêts au titre du préjudice financier et du préjudice moral. Le constructeur a interjeté appel, contestant sa responsabilité et la qualification du préjudice. L’intimé a sollicité la confirmation du jugement sur le préjudice financier et son infirmation sur le préjudice moral, réclamant une indemnisation supérieure. Par arrêt avant dire droit du 20 février 2025, la cour a invité les parties à s’expliquer sur la qualification du préjudice en perte de chance.
La question posée à la cour était double. Il convenait de déterminer si le constructeur avait commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle. Il fallait ensuite qualifier le préjudice subi par le maître de l’ouvrage et en apprécier l’étendue.
La cour d’appel de Rennes retient la faute du constructeur et condamne celui-ci à indemniser le maître de l’ouvrage sur le fondement de la perte de chance, écartant la réparation intégrale du préjudice allégué ainsi que le préjudice moral. Elle infirme partiellement le jugement et ramène l’indemnisation à une somme de 13 100 euros.
La solution retenue mérite examen tant sur le terrain de la caractérisation de la faute du mandataire en matière de permis de construire (I) que sur celui de la qualification et de l’évaluation du préjudice réparable (II).
I. La caractérisation de la faute du constructeur mandataire
La cour établit avec rigueur l’existence d’un mandat confié au constructeur (A) avant de retenir son manquement aux obligations découlant de cette mission (B).
A. L’existence d’un mandat antérieur au contrat de construction
La cour relève que « le mail du 21 décembre 2017 adressé à M. [E] demandant confirmation de sa part par retour de mail de sa présence à ses côtés, semaine 52 pour le dépôt en commun du permis de construire avec le Cerfa à la mairie » établit l’existence d’un accord sur le dépôt de la demande. Le maître de l’ouvrage y précisait que la date butoir du 31 décembre 2017 était « primordial[e] dans le cadre de mon projet en investissement loi Pinel ». Le commercial a confirmé par SMS sa présence au dépôt le 26 décembre 2017.
Cette analyse est conforme aux règles du mandat résultant des articles 1984 et suivants du code civil. Le mandataire qui accepte une mission s’engage à l’accomplir avec diligence. La cour souligne que ce mandat initial a été « confirmé à la signature du contrat de construction de maison individuelle » du 24 mars 2018, dont l’article 2-1 stipulait que le maître de l’ouvrage avait constitué le constructeur mandataire pour l’obtention du permis.
La solution retenue s’inscrit dans une jurisprudence constante qui admet que le mandat peut résulter d’un accord tacite ou de comportements non équivoques. Le dépôt effectif du dossier par le constructeur le 27 décembre 2017 matérialise l’acceptation de cette mission. La cour refuse ainsi de cantonner le mandat au seul contrat de construction signé ultérieurement.
B. Le manquement à l’obligation de diligence dans l’exécution du mandat
La cour constate que « le dossier initial qui visait uniquement à obtenir un récépissé de dépôt avant le 31 décembre 2017 ne contenait pas les pièces obligatoires nécessaires à l’examen du projet ». Ce dépôt stratégique, destiné à préserver l’éligibilité au dispositif Pinel, imposait nécessairement la transmission ultérieure des pièces manquantes dans le délai légal de trois mois prévu par l’article R. 423-39 du code de l’urbanisme.
L’arrêt relève que le constructeur « a été alerté à plusieurs reprises de l’urgence de transmettre les pièces demandées par la commune ». Un mail du 26 mars 2018 l’informait qu’il ne restait que quinze jours pour déposer les pièces manquantes. La cour note un fait révélateur : le 25 avril 2019, alors que le délai était échu, le constructeur réclamait au maître de l’ouvrage des pièces PCMI 9 et 10 qui « n’ont jamais été sollicitées par les services communaux de l’urbanisme ». Ce mail établit « qu’à cette date aucune des pièces réclamées n’était déposée au service instructeur ».
La cour conclut que « la société Construction du Belon est donc fautive de n’avoir pas déposé les pièces complémentaires en mairie dans le délai trois mois à compter de leur demande et de n’avoir jamais informé le maître de l’ouvrage qu’elle ne pourrait respecter son obligation ». Cette formulation retient un double manquement : l’inexécution matérielle de l’obligation et le défaut d’information. Le mandataire professionnel est tenu d’une obligation de moyens renforcée et d’un devoir de conseil envers son mandant.
II. La qualification et l’évaluation du préjudice réparable
La cour procède à une analyse distincte du préjudice fiscal allégué (A) et du préjudice locatif, seul indemnisé au titre de la perte de chance (B).
A. Le rejet du préjudice fiscal faute de preuve suffisante
La cour rappelle que « le dispositif loi Pinel ne peut donner lieu à des crédits d’impôt » mais seulement à des réductions d’impôt. Elle observe qu’« à aucun moment M. [V] n’a produit ses déclarations d’impôt » et qu’« il n’est donc pas acquis qu’il était imposable ». Le calcul de l’expert-comptable, évaluant l’avantage fiscal à 60 618 euros, est écarté au motif qu’aucune pièce n’a été produite au soutien de cette note.
Cette exigence probatoire est conforme à l’article 9 du code de procédure civile selon lequel il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention. En matière de préjudice fiscal, la victime doit démontrer qu’elle aurait effectivement bénéficié de l’avantage allégué. L’absence de production des avis d’imposition rend impossible la vérification de la situation fiscale du demandeur et de sa capacité à imputer une réduction d’impôt.
La décision illustre les difficultés probatoires inhérentes aux préjudices fiscaux. Une simple attestation d’expert-comptable ne saurait suppléer la production des éléments déclaratifs permettant d’établir tant le principe que le quantum de l’avantage perdu. La cour adopte une position rigoureuse qui préserve le caractère indemnitaire de la responsabilité civile en refusant d’indemniser un préjudice purement hypothétique.
B. L’indemnisation du préjudice locatif sur le fondement de la perte de chance
La cour retient le principe d’une indemnisation au titre de la perte de loyers mais en modifie substantiellement les modalités. Elle rappelle que « la perte de chance qui doit être mesurée à la chance perdue, ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée ». Elle observe que le demandeur « ne justifie pas du montant des loyers perçus depuis 5 ans, des locations effectives ni de la santé du marché locatif ».
L’arrêt procède à une double correction du préjudice allégué. D’une part, la période indemnisable est ramenée de 22 mois à 17 mois, la cour estimant qu’« un nouveau projet » aurait pu être présenté « au plus tard en juin 2019 ». D’autre part, un abattement de 20 % est appliqué pour tenir compte de l’aléa inhérent à toute location. La somme finale est fixée à 13 100 euros.
Cette qualification en perte de chance est orthodoxe au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation. La perte de chance suppose un aléa dans la réalisation de l’avantage espéré. En l’espèce, plusieurs incertitudes demeuraient : l’obtention effective du permis complémentaire, la mise en location du bien, la continuité de l’occupation locative. Le coefficient de réduction retenu traduit l’appréciation souveraine des juges du fond sur la probabilité de réalisation de l’avantage. La solution évite l’écueil d’une réparation intégrale d’un préjudice dont la survenance restait incertaine.