Cour d’appel de Rennes, le 31 juillet 2025, n°24/01154

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes le 31 juillet 2025 ordonne la réouverture des débats dans un litige opposant un maître d’ouvrage à un constructeur de maison individuelle. Cette décision illustre le pouvoir discrétionnaire du juge dans la conduite de l’instance.

Un particulier avait conclu le 4 octobre 2019 un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plans. Les travaux, débutés le 11 mai 2020, ont été interrompus après la découverte d’eau en sous-sol. Le constructeur a alors réclamé au maître d’ouvrage une somme de 25 412 euros pour la mise en œuvre de fondations spéciales. Face au défaut de paiement, le constructeur a notifié la résolution unilatérale du contrat le 3 décembre 2020.

Le maître d’ouvrage a assigné le constructeur devant le Tribunal judiciaire de Brest en exécution forcée du contrat. Par jugement du 18 janvier 2024, le tribunal a condamné le constructeur à reprendre les travaux sous astreinte et à verser des pénalités de retard. Le constructeur a interjeté appel de cette décision.

Postérieurement à la clôture de l’instruction intervenue le 1er avril 2025, le constructeur a sollicité la réouverture des débats. Il produisait un constat de commissaire de justice daté du 18 juin 2025 révélant un éventuel écoulement d’eaux usées sur le terrain à construire.

La question posée à la Cour d’appel de Rennes était de déterminer si la production d’éléments nouveaux postérieurs à l’ordonnance de clôture justifiait la réouverture des débats sur un point spécifique sans révocation de cette ordonnance.

La cour ordonne la réouverture des débats « sans révocation de l’ordonnance de clôture » et invite les parties à conclure « sur le seul point relatif à l’éventuelle présence d’eaux usées sur le terrain à construire et les conséquences, le cas échéant, sur la construction à édifier ». Elle sursoit à statuer sur l’ensemble des demandes.

La réouverture des débats constitue une mesure d’administration judiciaire qui préserve les droits des parties (I). Cette décision révèle les enjeux procéduraux et substantiels propres au contrat de construction de maison individuelle (II).

I. La réouverture des débats : une mesure d’administration judiciaire préservant les droits des parties

La cour fait usage de son pouvoir discrétionnaire en ordonnant la réouverture des débats (A). Le maintien de l’ordonnance de clôture circonscrit strictement l’objet du débat complémentaire (B).

A. L’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge

L’article 444 du code de procédure civile, visé par la cour, dispose que « le président peut ordonner la réouverture des débats ». Ce pouvoir appartient au juge qui apprécie souverainement l’opportunité de rouvrir l’instruction. La formulation « il convient d’ordonner la réouverture des débats » traduit cette appréciation judiciaire.

La cour fonde sa décision sur « les constats du commissaire de justice et des analyses produites ». Ces éléments, postérieurs à la clôture, présentent un caractère déterminant pour la solution du litige. La présence éventuelle d’eaux usées sur le terrain modifie substantiellement les données techniques de l’affaire.

Le juge n’est pas tenu d’ordonner la réouverture des débats. Cette faculté relève de son office. La décision échappe au contrôle de la Cour de cassation sauf dénaturation des pièces produites. L’arrêt commenté s’inscrit dans une jurisprudence constante reconnaissant au juge un large pouvoir d’appréciation.

B. Le maintien de l’ordonnance de clôture et la délimitation du débat

La cour ordonne la réouverture « sans révocation de l’ordonnance de clôture ». Cette précision revêt une importance considérable. Les parties ne peuvent produire de nouvelles pièces ni développer de nouveaux moyens en dehors du point délimité par la cour.

Le débat complémentaire porte exclusivement sur « l’éventuelle présence d’eaux usées sur le terrain à construire et les conséquences, le cas échéant, sur la construction à édifier ». Cette formulation cantonne strictement les échanges des parties. Le constructeur ne saurait en profiter pour soulever de nouveaux arguments sur la résolution du contrat.

Cette technique procédurale préserve l’équilibre entre les parties. Le maître d’ouvrage, qui s’était opposé à la demande de réouverture par courrier du 22 juillet 2025, conserve la faculté de contester les analyses produites. Le principe du contradictoire demeure pleinement respecté.

II. Les enjeux substantiels révélés par la réouverture des débats

La découverte d’éléments nouveaux interroge les obligations respectives des parties au contrat de construction (A). La décision préfigure les difficultés liées à la qualification des désordres affectant le terrain (B).

A. Les obligations des parties au contrat de construction de maison individuelle

Le contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plans est régi par les articles L. 231-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation. Ce régime protecteur impose au constructeur une obligation de résultat quant à la livraison de l’ouvrage.

La présence d’eau en sous-sol avait déjà conduit le constructeur à réclamer le financement de fondations spéciales. Ce dernier soutenait que cette sujétion imprévue devait être supportée par le maître d’ouvrage. Le tribunal avait rejeté cette analyse en condamnant le constructeur à reprendre les travaux.

La découverte d’un éventuel écoulement d’eaux usées soulève une problématique distincte. Il ne s’agit plus seulement d’une contrainte géotechnique mais d’une possible pollution du terrain. Les conséquences sur la constructibilité peuvent s’avérer radicalement différentes.

B. La qualification des désordres et leurs conséquences sur l’exécution du contrat

L’origine de la présence d’eaux usées constitue un élément déterminant. Si ces eaux proviennent d’un fonds voisin, le maître d’ouvrage pourrait disposer d’un recours contre le propriétaire responsable. Si elles résultent d’un vice inhérent au terrain, la question de la charge financière des travaux de remédiation se posera.

Le constructeur avait invoqué subsidiairement la théorie de l’imprévision codifiée à l’article 1195 du code civil. La cour d’appel devra déterminer si la présence d’eaux usées constitue un changement de circonstances imprévisible rendant l’exécution excessivement onéreuse. Cette qualification emportera des conséquences décisives sur le sort du contrat.

La cour sursoit à statuer « sur l’ensemble des demandes ». Cette mesure d’attente permet aux parties de produire des analyses complémentaires. La décision finale dépendra de la nature exacte des désordres constatés et de leur incidence sur les conditions d’exécution du contrat de construction.

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Hassan KOHEN
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