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La Cour d’appel de Rennes, 31 juillet 2025, statue sur l’engagement de la responsabilité décennale du maître d’œuvre lors d’un aménagement intérieur et sur l’indemnisation d’un préjudice d’exploitation. L’affaire naît d’un débordement d’un séparateur de graisses alimenté par des eaux usées, provoquant un dégât des eaux et des nuisances sanitaires dans des locaux à usage de soins. La canalisation initialement pensée pour un commerce de bouche a été réaffectée au sanitaire du personnel, tandis que divers points d’eau techniques étaient raccordés sans contrôle vers le dispositif en cause.
Après une expertise ordonnée en référé, le tribunal judiciaire de Nantes, 25 mars 2024, a retenu des responsabilités sur le fondement de l’article 1792 du code civil, indemnisé des infiltrations au droit de l’entrée, mais rejeté la demande d’indemnisation du préjudice d’exploitation. Les appelants sollicitaient la prise en charge des travaux de dérivation du bac et la réparation de la perte d’exploitation. Les intimés contestaient la responsabilité décennale du maître d’œuvre, invoquaient une cause étrangère tirée du caractère enterré du séparateur, et s’opposaient à l’indemnisation de l’arrêt d’activité.
Deux questions de droit structuraient le litige. D’abord, la responsabilité décennale du maître d’œuvre peut-elle être retenue pour des désordres d’impropriété à destination liés à un raccordement défectueux à un bac à graisse, malgré un dispositif non apparent et des branchements tiers. Ensuite, un préjudice d’exploitation, né des travaux réparatoires, peut-il être indemnisé au vu de pièces comptables et selon quelle méthode de calcul. La cour répond positivement aux deux questions, condamnant le maître d’œuvre au coût de la dérivation et, in solidum avec l’entreprise de menuiseries extérieures, au paiement d’une perte d’exploitation mesurée à deux jours.
I) L’affirmation de la responsabilité décennale du maître d’œuvre et l’indemnisation corrélative
A) La présomption décennale et l’absence de cause étrangère
La cour rappelle un principe constant, qu’elle cite expressément: « L’architecte investi d’une mission de maîtrise d’oeuvre complète est tenu envers le maître de l’ouvrage d’une présomption de responsabilité dont il ne peut s’exonérer que par la preuve d’une cause étrangère (3e Civ., 4 février 2016, n°13-23.654). » Elle qualifie les aménagements réalisés d’ouvrage, en raison de leur importance et de leur intégration, et relève la gravité des désordres. La présomption opère donc, sous réserve d’une cause étrangère démontrée.
L’argument tiré du caractère enterré du séparateur est écarté. La cour constate l’accessibilité du dispositif par regard, et surtout son identification sur un plan de récolement des réseaux. L’obligation de contrôle et de vérification inhérente à une mission complète imposait la prise en compte de ces données avant tout raccordement. La cour énonce sobrement: « Il n’est ainsi démontré aucune cause étrangère. » Le maître d’œuvre ne peut davantage s’exonérer par l’existence d’un branchement tiers, faute d’avoir attrait un autre constructeur pour un partage. La présomption légale conduit donc à retenir la responsabilité décennale.
B) L’impropriété à destination et l’indemnisation du coût de dérivation
La cour qualifie nettement l’atteinte fonctionnelle subie par les locaux de soins. Elle retient, dans les termes mêmes de l’arrêt, « Il existait ainsi jusqu’à l’exécution des travaux réparatoires préconisés par l’expert une impropriété à destination de l’ouvrage compte tenu de ces débordements rendant impossible l’utilisation des sanitaires, répandant des odeurs nauséabondes et mettant en péril la nécessaire asepsie des locaux, ». Cette impropriété justifie l’indemnisation intégrale des travaux réparatoires validés par l’expertise.
La demande de remboursement du coût de la dépose et de la dérivation du bac est accueillie. Les opérations de pompage et de désinfection n’auraient pas été nécessaires si le raccordement avait été correctement conçu et exécuté, ce qui établit le lien de causalité. La cour statue toutes taxes comprises, retenant l’absence d’assujettissement à la TVA et écartant toute critique d’ultra petita. La solution, fidèle à la logique de l’article 1792, sanctionne la défaillance de conception et de contrôle en amont, sans éluder la spécificité des contraintes sanitaires propres à des locaux de santé.
II) L’indemnisation du préjudice d’exploitation et la méthode de quantification retenue
A) L’existence du préjudice et la charge de la preuve
La cour pose deux jalons utiles sur la preuve du préjudice. D’abord, elle rappelle que « La victime n’est pas tenue de minimiser son préjudice au profit de la personne tenue à indemnisation. » Ensuite, l’absence d’évaluation experte initiale n’est pas décisive si la preuve résulte d’autres pièces probantes. Elle l’énonce clairement: « Il s’ensuit qu’il est indifférent que l’expert judiciaire n’ait pas examiné le préjudice d’exploitation si celui-ci est prouvé par le cabinet d’orthodontie. »
La détermination de la durée d’arrêt retenue est décisive. La cour se fonde sur l’étendue des travaux strictement nécessaires, tels que validés par l’expertise, et non sur des interventions additionnelles postérieures. Elle tranche ainsi, dans les termes de l’arrêt: « Ainsi, au regard du détail des travaux validés par l’expert, le délai pour exécuter les travaux sera fixé à deux jours. » Les attestations et les pièces produites établissent l’interruption effective, ce qui circonscrit un dommage objectivable et indemnisable.
B) La perte de marge sur coût variable, son application et la répartition finale
La cour choisit une méthode de calcul classique et pertinente pour l’activité concernée. Elle rappelle d’abord que « Le préjudice d’exploitation correspond à la perte de marge sur coût variable. » La base de calcul s’appuie sur une part hebdomadaire du chiffre d’affaires annuel, corrigée par un taux de marge adapté, puis proratisée à deux jours. La cour rectifie les paramètres proposés, en invitant à isoler les charges véritablement variables et à tenir compte du périmètre d’activité effectivement impacté. Le résultat conduit à une indemnité chiffrée, écartant l’utilité d’une expertise comptable complémentaire.
La pluralité des désordres justifiant les travaux pendant lesquels l’activité a cessé explique l’obligation in solidum. La cour note que « Les travaux à réaliser résultent tant des désordres d’infiltrations par la porte d’entrée que du dégât des eaux en raison du branchement des eaux usées sur le bac à graisse. » Cette concurrence causale fonde la solidarité à l’égard de la victime et la répartition interne de la dette entre constructeurs. La part finale est fixée à soixante-sept pour cent pour le maître d’œuvre et trente-trois pour cent pour l’entreprise de menuiseries extérieures, avec garantie réciproque à due concurrence.
La solution emporte deux enseignements pratiques. Le premier tient à la vigilance renforcée attendue du maître d’œuvre, qui doit intégrer les réseaux existants identifiés par les documents de récolement et par des vérifications matérielles raisonnables, surtout lorsque l’usage projeté impose une asepsie stricte. Le second concerne la réparation du manque à gagner, où la méthode de la marge sur coût variable demeure opératoire, à la condition d’une sélection rigoureuse des postes et d’une durée d’arrêt étroitement corrélée aux seuls travaux nécessaires.