Cour d’appel de Rennes, le 9 septembre 2025, n°22/05676

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Rendue par la Cour d’appel de Rennes le 9 septembre 2025, la décision tranche un litige né de mandats simples de vente conclus entre des vendeurs et une agence immobilière ayant inséré une interdiction de vendre à un acquéreur présenté par son entremise, assortie d’une clause pénale. L’affaire oppose, en substance, une réclamation d’indemnité compensatrice égale aux honoraires contractuels à la critique du comportement du mandataire dans la conduite des pourparlers.

Les vendeurs avaient confié des mandats sans exclusivité portant sur plusieurs lots à bâtir. L’agence a d’abord multiplié les démarches auprès d’investisseurs, puis a reçu une offre d’un autre acquéreur, associée à des contre‑propositions des vendeurs. Les ventes ont finalement été conclues sans concours de l’agence, laquelle a réclamé une somme correspondant à deux honoraires, sur le fondement de la clause pénale. Le tribunal judiciaire de Saint‑Malo a débouté l’agence et l’a condamnée aux dépens et au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En cause d’appel, l’agence sollicite l’infirmation et le paiement de l’indemnité contractuelle. Les vendeurs concluent à la confirmation et à l’allocation de frais irrépétibles. La cour, après avoir écarté l’examen d’une nullité de mandat non articulée au dispositif, se concentre sur la portée de la clause pénale au regard des obligations nées du mandat et des circonstances de la vente.

La question de droit portait d’abord sur l’office du juge d’appel face à une exception de nullité non demandée au dispositif, ensuite sur les conditions d’exigibilité de la clause pénale en cas de vente directe à un acquéreur initialement approché par l’agence, lorsque celle‑ci a elle‑même contrarié son entremise. La cour répond qu’aucune nullité ne peut être examinée sans prétention correspondante et que la clause pénale ne s’applique pas si le mandataire a manqué à l’essence de sa mission, rompant le lien de causalité entre l’inexécution alléguée et le préjudice.

I. Le sens de la décision: l’office du juge et l’inefficacité de la clause

A. L’incompétence du juge sur une nullité non demandée

La cour rappelle avec netteté le cadre de son office. Elle énonce que « il n’y a pas lieu d’examiner la régularité des mandats dès lors qu’aucune demande de nullité […] ne figure au dispositif des conclusions », faisant application de l’article 954 du code de procédure civile. Cette précision s’accorde avec le rappel selon lequel « l’exception de nullité constitue […] une prétention et non un moyen », conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (civ. 2, 30 sept. 2021, n° 19‑12.244). L’instance d’appel se voit ainsi recentrée sur les prétentions effectivement soumises au débat.

Ce premier apport, méthodologique, délimite le périmètre de la discussion et évite tout glissement vers des moyens inopérants. La cour s’en tient donc à l’exécution des mandats et à la mise en œuvre des stipulations de rémunération, dans un cadre contentieux loyal.

B. La mise à l’écart de la pénalité faute d’entremise loyale et de causalité

Les mandats comportaient une clause d’interdiction de vente à un acquéreur présenté par l’agence et une stipulation pénale rédigée comme suit: « Par ailleurs, en cas de vente sans votre concours à un acquéreur ayant eu connaissance de la vente du bien par votre intermédiaire, ou de refus de vendre à un acquéreur qui nous aurait été présenté par vous, nous vous verserons une indemnité compensatrice forfaitaire égale aux honoraires prévus au présent mandat. » Le texte est clair, mais sa mise en œuvre suppose que le mandataire ait accompli sa mission conformément à la bonne foi et sans priver lui‑même l’opération de sa cause économique.

La cour constate que l’agent a, à plusieurs reprises, refusé son entremise à l’acquéreur intéressé et a diffusé des informations erronées sur la disponibilité des lots, tout en privilégiant une autre opération litigieuse. Elle souligne que le mandataire « a méconnu l’essence même de son mandat ». En conséquence, l’inexécution des vendeurs alléguée par l’agence ne peut justifier l’indemnité, car « ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude ». La causalité fait défaut: l’agence « a […] perdu toute chance de percevoir ses commissions », de sorte que le « lien de causalité […] n’est pas établi ». La clause pénale se trouve écartée, faute de manquement utilement imputable aux vendeurs et d’un préjudice en relation directe avec l’interdiction stipulée.

II. Valeur et portée: cohérence normative et enseignements pratiques

A. Bonne foi, nemo auditur et contrôle de la causalité

La décision articule les articles 1103 et 1104 du code civil avec un contrôle de loyauté dans l’exécution du mandat. En rappelant que « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi », la cour replace la rémunération de l’agent dans son économie fonctionnelle: elle rémunère une entremise, non une stratégie d’éviction d’un acquéreur sérieux. La référence à « ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude » conforte ce filtre axiologique, classique, qui interdit à un créancier de tirer avantage de son propre comportement fautif. Le contrôle de causalité parachève l’ensemble: l’indemnité contractuelle, de nature répressive et liquidée forfaitairement, requiert une inexécution imputable et utile, en relation avec la perte alléguée.

Ce raisonnement est solidement ancré dans le droit positif. Il ne contredit aucun principe de rémunération des agents immobiliers, mais rappelle que la force obligatoire n’autorise pas l’agent à se dispenser de l’essentiel: transmettre loyalement les offres, conseiller sans partialité, et s’abstenir d’entraver la conclusion au bénéfice d’une autre perspective.

B. Conséquences pour les mandats simples et la pratique des honoraires

L’arrêt fournit un signal clair aux professionnels: la rédaction de clauses pénales ne supplée pas l’exécution loyale du mandat. Leur invocation suppose une entremise effective, ou à tout le moins l’absence de manœuvres ayant fait obstacle à la vente. Faute de quoi, la sanction contractuelle devient inopérante, non par nullité, mais par défaillance des conditions de la responsabilité et de la causalité.

La portée pratique est double. D’une part, la preuve de l’entremise doit être étayée par des transmissions d’offres, des diligences vers la conclusion et une information exacte des protagonistes. D’autre part, l’évaluation du préjudice ne se présume pas: lorsque les faits montrent une « méconnaissance de l’essence même du mandat », l’indemnité compensatrice s’efface. L’arrêt confirme, enfin, que les juridictions d’appel veillent à la discipline procédurale en retenant que « il n’y a pas lieu d’examiner la régularité des mandats » en l’absence de prétention adéquate, ce qui sécurise la lisibilité du débat et circonscrit la controverse au terrain pertinent.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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