Cour d’appel de Rouen, le 11 juillet 2025, n°24/01253

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rouen le 11 juillet 2025 statue sur la question de l’opposabilité à l’employeur d’une décision de prise en charge d’une maladie professionnelle hors tableau, en particulier lorsque le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles a statué sans disposer de l’avis du médecin du travail.

Un salarié a établi le 2 novembre 2018 une déclaration de maladie professionnelle faisant état d’un syndrome dépressif. Le certificat médical initial du 11 octobre 2018 relevait une anxiété marquée, une humeur triste, des pleurs, une péjoration de l’avenir, des phobies situationnelles, des cauchemars, des ruminations morbides, une perte de l’élan vital et des angoisses. Après enquête et avis du comité régional, la caisse primaire a pris en charge cette pathologie au titre de la législation sur les risques professionnels par décision du 20 août 2019.

L’employeur a contesté cette décision devant la commission de recours amiable, qui a confirmé la position de la caisse le 26 septembre 2019. Le pôle social du tribunal judiciaire d’Evreux, saisi le 21 octobre 2019, a rendu un jugement le 21 mars 2024 déclarant la décision de prise en charge opposable à la société. L’employeur a interjeté appel le 5 avril 2024.

Devant la cour, la société soutenait que les trois comités régionaux saisis n’avaient pas pu consulter l’avis du médecin du travail et que la caisse ne démontrait pas avoir été dans l’impossibilité matérielle d’obtenir cet avis. La caisse répliquait que la sollicitation de l’avis du médecin du travail avait bien été effectuée et qu’en tout état de cause, l’absence de cet avis ne constituait plus un motif d’inopposabilité lorsque le comité avait rendu un avis favorable.

La question de droit posée à la cour était la suivante : une décision de reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie hors tableau est-elle opposable à l’employeur lorsque le comité régional a statué sans l’avis du médecin du travail, alors que la caisse justifie avoir sollicité cet avis sans obtenir de réponse ?

La cour a confirmé le jugement entrepris en retenant que la caisse, ayant sollicité l’avis du médecin du travail par courrier du 12 mars 2019 sans obtenir de réponse, « s’est trouvée dans l’impossibilité matérielle de pouvoir disposer de l’avis motivé du médecin du travail de sorte qu’il ne peut lui être reproché de ne pas l’avoir transmis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ».

I. La sollicitation effective du médecin du travail comme condition de régularité de la procédure

A. L’exigence textuelle d’un avis du médecin du travail dans la composition du dossier

L’article D 461-29 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable, impose que le dossier examiné par le comité régional comprenne notamment « un avis motivé du médecin du travail de la ou des entreprises où la victime a été employée portant notamment sur la maladie et la réalité de l’exposition de celle-ci à un risque professionnel présent dans cette ou ces entreprises ». Cette disposition traduit la volonté du législateur d’éclairer le comité par l’appréciation d’un praticien connaissant les conditions concrètes de travail du salarié. Le médecin du travail occupe une position privilégiée pour attester de l’exposition effective aux risques professionnels puisqu’il assure le suivi médical des salariés et connaît l’environnement de travail.

La jurisprudence antérieure de la Cour de cassation avait fermement sanctionné l’absence de cet avis au dossier par l’inopposabilité de la décision à l’employeur. Cette rigueur procédurale visait à garantir que la reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie hors tableau repose sur un examen complet des éléments disponibles. Le texte ne distingue pas selon que l’avis fait défaut par négligence de la caisse ou par impossibilité d’obtenir une réponse du médecin sollicité.

B. La preuve de la sollicitation comme substitut à la production de l’avis

La cour relève que « par courrier du 12 mars 2019, la caisse a sollicité l’avis du docteur [L], médecin du travail ». Cette constatation factuelle constitue le pivot du raisonnement. La caisse n’a pas produit l’avis requis mais elle établit avoir accompli les diligences nécessaires pour l’obtenir. L’arrêt distingue ainsi deux situations : celle où la caisse omet de solliciter l’avis du médecin du travail, qui doit être sanctionnée, et celle où la caisse sollicite cet avis sans obtenir de réponse, qui ne peut lui être reprochée.

Cette distinction repose sur une logique d’obligation de moyens plutôt que de résultat. La caisse ne peut contraindre le médecin du travail à répondre ni se substituer à lui pour établir l’avis. Elle ne maîtrise pas les délais de réponse ni la volonté du praticien de formuler un avis. Exiger la production effective de l’avis reviendrait à faire dépendre l’opposabilité de la décision d’un élément échappant totalement au contrôle de la caisse.

II. L’impossibilité matérielle d’obtenir l’avis comme fait justificatif

A. La caractérisation de l’impossibilité matérielle par l’absence de réponse

La cour retient que « la caisse s’est trouvée dans l’impossibilité matérielle de pouvoir disposer de l’avis motivé du médecin du travail ». Cette formulation mérite attention car elle déduit l’impossibilité matérielle de la simple absence de réponse à la sollicitation. Le raisonnement postule que dès lors que la caisse a sollicité l’avis et n’a pas reçu de réponse, elle se trouve ipso facto dans l’impossibilité de produire cet avis.

Cette approche pragmatique évite d’imposer à la caisse des démarches supplémentaires dont l’utilité serait douteuse. Une relance du médecin du travail, une mise en demeure ou d’autres formalités n’auraient pas nécessairement permis d’obtenir l’avis souhaité. La cour admet implicitement qu’une sollicitation unique suffit à caractériser la diligence de la caisse et que l’absence de réponse dans un délai raisonnable établit l’impossibilité matérielle.

B. Les conséquences de l’impossibilité sur la validité de la procédure

La cour tire de l’impossibilité matérielle une double conséquence : « il ne peut lui être reproché de ne pas l’avoir transmis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles pas plus qu’il ne peut être reproché à ce dernier d’avoir statué sans en disposer ». L’impossibilité matérielle neutralise ainsi le grief tant à l’encontre de la caisse qu’à l’encontre du comité. La régularité de l’avis du comité n’est pas affectée par l’absence d’un élément que personne n’était en mesure de lui transmettre.

Cette solution préserve l’équilibre entre les intérêts de l’employeur, qui dispose d’un droit à contester l’opposabilité des décisions de prise en charge, et ceux du salarié, dont la reconnaissance de la maladie professionnelle ne peut être indéfiniment retardée par l’inertie d’un tiers. Elle s’inscrit dans une évolution jurisprudentielle tendant à apprécier la régularité de la procédure au regard des diligences effectivement accomplies par la caisse plutôt que du seul résultat obtenu. La portée de l’arrêt invite les caisses à conserver la preuve de leurs sollicitations auprès des médecins du travail et les employeurs à mesurer les limites de leurs contestations procédurales lorsque la caisse justifie avoir accompli les démarches prescrites par les textes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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