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Rendue par la Cour d’appel de Rouen le 11 septembre 2025, la décision commente un licenciement pour motif économique notifié dans le cadre d’une liquidation avec poursuite d’activité et d’un plan de cession. Elle tranche deux questions imbriquées, relatives au prétendu licenciement verbal et à l’étendue de l’obligation de reclassement au sein d’un groupe durant la procédure collective.
Le salarié, engagé en 1995 et occupant en dernier lieu un poste d’usinage, a été convoqué à entretien préalable le 8 novembre 2022, dispensé d’activité le lendemain, puis licencié le 19 novembre 2022. Un jugement de liquidation avait été prononcé en juillet 2022 et un plan de cession arrêté en octobre 2022, prévoyant la reprise d’une partie seulement des contrats en cours.
Par jugement du 18 avril 2024, le Conseil de prud’hommes de Louviers a en partie rejeté les demandes du salarié, n’accordant qu’une somme limitée pour l’ordre des licenciements. Appel a été interjeté, aux fins principales de voir juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, d’obtenir des dommages-intérêts, le préavis, des indemnités liées à la priorité de réembauche, ainsi que la garantie de l’organisme de garantie des créances salariales.
La difficulté tenait, d’abord, à la preuve d’un licenciement verbal, allégué au mois de juillet 2022 à partir d’éléments communiqués par un potentiel cessionnaire. Elle portait, ensuite, sur la réalité des recherches de reclassement au sein d’entités du groupe non intégralement à l’arrêt, malgré la liquidation en cours.
La Cour d’appel de Rouen écarte le licenciement verbal, mais retient la méconnaissance de l’obligation de reclassement, privant la rupture de cause réelle et sérieuse. Elle fixe des créances au passif au titre de l’article L.1235-3 du code du travail et du préavis, refuse l’indemnisation autonome au titre de l’ordre des licenciements, écarte les demandes liées à la priorité de réembauche et aux préjudices moral et matériel, et ordonne, au visa de l’article L.1235-4, le remboursement limité des allocations de chômage.
I. L’exigence de cause réelle et sérieuse en contexte de cession
A. Rejet de la thèse du licenciement verbal, faute de décision irrévocable et de preuve utile
La cour rappelle avec netteté la charge de la preuve. Selon ses propres termes, « C’est au salarié qui prétend avoir été licencié verbalement avant la notification de la lettre de licenciement d’établir la réalité du licenciement verbal antérieur qu’il invoque. » La grille de lecture demeure classique et protectrice de la lettre de notification, pivot temporel et matériel du licenciement.
Les éléments communiqués par un éventuel cessionnaire durant l’été 2022 n’étaient ni un acte de l’employeur, ni une décision irrévocable. La cour souligne que « les licenciements envisagés dans la perspective de la validation du plan de reprise par le tribunal de commerce n’avaient pas été irrévocablement décidés ». Elle distingue donc lucidement la préfiguration d’effectifs cédés et l’acte juridique de rupture, et prévient l’assimilation fautive entre intentions de reprise et décisions patronales de congédiement.
Cette solution s’inscrit dans la structure du droit positif, où la procédure d’information, notamment en période collective, ne saurait se substituer à l’acte écrit énonçant les motifs. Elle évite une confusion préjudiciable entre la communication économique de projet et l’exercice du pouvoir de rompre, toujours enfermé dans le cadre légal minimal de la lettre.
B. Affirmation renforcée de l’obligation de reclassement dans le groupe malgré la procédure collective
Le contrôle se déplace vers l’exigence de reclassement, appréciée dans le périmètre pertinent. La cour rappelle les bornes utiles: « En exécution de ces dispositions, l’obligation de reclassement qui pèse sur l’employeur, fût-il en liquidation judiciaire, […] trouve sa limite dans la cessation d’activité de l’entreprise qui n’appartient pas à un groupe. Il en va également de même si la cessation d’activité concerne l’ensemble des entreprises du groupe. » Elle ajoute encore que l’employeur « n’est pas tenu de rechercher des reclassements extérieurs à l’entreprise, lorsqu’il ne relève pas d’un groupe. »
La motivation vérifie concrètement que certaines entités du groupe poursuivaient une activité, de sorte qu’une recherche sérieuse devait être accomplie et tracée. Or, la cour constate l’absence d’éléments probants établissant des démarches effectives, ciblées et adaptées. D’où cette conclusion, ferme et décisive: « Ainsi, l’employeur ne justifie pas avoir recherché toutes les possibilités de reclassement ou encore que ce reclassement ait été impossible. » La conséquence logiquement attachée s’énonce sans détour: « Il y a lieu dès lors retenir que l’employeur a méconnu son obligation de reclassement, privant de ce fait le licenciement de cause réelle et sérieuse ».
La solution prolonge une jurisprudence cohérente qui internalise l’effort de reclassement dans le groupe lorsque l’activité n’est pas intégralement arrêtée. Elle confirme que la procédure collective ne suspend ni le périmètre, ni l’intensité de l’obligation, sauf cessation avérée et générale, démontrée par l’employeur.
II. Les effets indemnitaires et procéduraux du défaut de cause
A. Réparation encadrée, non‑cumul et impact du contrat de sécurisation professionnelle
Le défaut de cause ouvre droit à réparation selon l’article L.1235-3, la cour fixant une indemnité au regard de l’ancienneté, de l’âge et des circonstances de la rupture. Elle accorde également l’indemnité de préavis, le contrat de sécurisation professionnelle se trouvant privé de cause en l’absence de motif économique établi.
La logique de remboursement s’applique ensuite. La cour cite expressément: « En application de l’article L.1235-4 du code du travail, en l’absence de motif économique, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause, l’employeur est tenu de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié. » Le remboursement est circonscrit, ce qui témoigne d’un calibrage proportionné de la sanction financière.
Le non‑cumul avec l’indemnité attachée au défaut de cause réelle et sérieuse conduit à refuser une indemnisation autonome au titre des critères d’ordre. La cour veille ainsi à la cohérence des chefs de préjudice et à l’articulation entre sanctions concurrentes, sans étendre la réparation au‑delà de ce qui est justifié par la rupture injustifiée.
B. Priorité de réembauche, choix du défendeur et portée pratique de la solution
La cour clarifie la nature et la cible de la priorité de réembauche en cas de cession. Elle souligne que « si le bénéfice de la priorité de réembauche subsiste en cas de reprise de l’entité économique par un autre employeur, l’indemnité prévue par l’article L. 1235-13 du code du travail ne peut être demandée qu’à l’encontre de ce dernier. » Deux exigences se cumulent donc, la preuve d’un poste compatible devenu disponible et la mise en cause du bon débiteur.
Faute d’éléments prouvant une vacance et une compatibilité, et faute d’actionner l’employeur effectivement débiteur après la reprise, la demande est rejetée. L’arrêt rappelle utilement la logique organique de la priorité de réembauche, attachée à l’entité reprise et au nouvel employeur, non au liquidateur de l’ancien.
La cour écarte enfin les préjudices moral et matériel, faute de circonstances vexatoires comme de preuve de retards fautifs spécifiques. L’ensemble dessine une solution mesurée, efficace et pragmatique, qui répare la rupture injustifiée, maintient la discipline des charges probatoires et balise précisément les responsabilités après cession.