Cour d’appel de Rouen, le 11 septembre 2025, n°24/01764

Un arrêt rendu par la cour d’appel de Rouen le 11 septembre 2025 vient rappeler, dans le contexte particulier d’une liquidation judiciaire avec plan de cession, l’étendue de l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur en matière de licenciement économique. Un salarié engagé depuis novembre 2000 en qualité de responsable d’atelier, statut cadre, avait été licencié pour motif économique en novembre 2022 à la suite d’un plan de cession arrêté par le tribunal de commerce. Ce plan prévoyait la reprise de 32 contrats de travail sur les 40 existants. Le salarié contestait son licenciement en invoquant d’abord l’existence d’un licenciement verbal dès l’ouverture de la procédure collective, puis subsidiairement le non-respect de l’obligation de reclassement. Le conseil de prud’hommes l’avait débouté de l’essentiel de ses demandes, ne retenant qu’une indemnisation pour méconnaissance des critères d’ordre des licenciements. En appel, le salarié maintenait ses prétentions principales. La question posée à la cour était double : un salarié peut-il invoquer un licenciement verbal lorsqu’il a été identifié comme potentiellement non repris dans un projet de cession établi par un tiers repreneur ? L’employeur en liquidation judiciaire appartenant à un groupe satisfait-il à son obligation de reclassement lorsqu’il omet d’interroger une société du groupe en redressement judiciaire sur les possibilités de reclassement ? La cour écarte le moyen tiré du licenciement verbal mais accueille celui fondé sur l’insuffisance des recherches de reclassement. Elle infirme partiellement le jugement et fixe au passif de la société diverses créances au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’arrêt mérite examen tant sur la caractérisation du licenciement verbal en contexte de procédure collective (I) que sur l’étendue de l’obligation de reclassement au sein d’un groupe en difficulté (II).

I. Le rejet du moyen tiré du licenciement verbal dans le contexte d’une procédure collective

La cour examine d’abord la prétention du salarié selon laquelle il aurait fait l’objet d’un licenciement verbal dès le mois de juillet 2022 (A), avant de préciser les conditions dans lesquelles cette qualification peut être retenue (B).

A. L’identification anticipée des salariés non repris, une circonstance insuffisante à caractériser le licenciement verbal

Le salarié soutenait avoir été licencié verbalement dès juillet 2022 au motif qu’il avait pu être identifié, à la lecture du projet de reprise établi par le candidat repreneur, comme figurant parmi les salariés susceptibles de ne pas être repris. La cour rappelle le principe selon lequel l’employeur est tenu d’énoncer les motifs du licenciement dans la lettre le notifiant au salarié et qu’un licenciement « notifié au salarié ou annoncé publiquement avant sa notification » est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle précise également que la charge de la preuve du licenciement verbal antérieur incombe au salarié qui l’invoque.

L’examen des faits conduit la cour à constater que « les salariés ont déduit l’identité des salariés susceptibles d’être licenciés économiques en cas de cession a contrario d’une liste établie par le potentiel repreneur et non par leur employeur ». Cette distinction est déterminante. Le projet de reprise émanait d’un tiers, non de l’employeur ou du liquidateur. L’identification des postes supprimés résultait d’une déduction opérée par les salariés eux-mêmes à partir des éléments communiqués par le candidat à la reprise. La cour en déduit logiquement que cette circonstance ne saurait constituer une manifestation de volonté de l’employeur de rompre le contrat de travail.

B. L’absence de décision irrévocable, un critère déterminant de l’analyse

La cour ajoute un second élément à son raisonnement. Elle observe que « les licenciements envisagés dans la perspective de la validation du plan de reprise par le tribunal de commerce n’avaient pas été irrévocablement décidés ». Cette considération s’appuie sur l’évolution du projet de reprise entre juillet et octobre 2022. Le projet initial prévoyait la reprise de 30 emplois. Le plan finalement arrêté par le tribunal de commerce portait sur 32 contrats de travail. Cette modification démontre que la liste des salariés licenciés n’était pas figée et que la décision de licenciement n’avait pas été prise de manière définitive avant la notification formelle.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante exigeant, pour caractériser un licenciement verbal, une manifestation non équivoque de la volonté de l’employeur de mettre fin au contrat de travail. En l’espèce, le projet de reprise ne constituait qu’une offre soumise au tribunal de commerce, susceptible d’être modifiée ou rejetée. La cour fait ainsi preuve de rigueur en refusant d’assimiler une situation d’incertitude, inhérente à toute procédure collective, à une rupture anticipée du contrat de travail. Cette position protège la sécurité juridique des opérations de cession tout en préservant les droits des salariés qui demeurent fondés à contester leur licenciement sur d’autres fondements.

II. L’exigence maintenue d’une recherche effective de reclassement au sein du groupe en difficulté

La cour examine ensuite l’obligation de reclassement dans le contexte particulier d’un groupe dont plusieurs sociétés font l’objet de procédures collectives (A), avant de tirer les conséquences de son inexécution (B).

A. La persistance de l’obligation de reclassement malgré la liquidation judiciaire

Le salarié soutenait que son employeur n’avait pas satisfait à son obligation de reclassement. La cour rappelle les termes de l’article L. 1233-4 du code du travail selon lesquels « le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles ». Elle précise que cette obligation trouve sa limite dans la cessation d’activité de l’entreprise qui n’appartient pas à un groupe, ou dans la cessation d’activité de l’ensemble des entreprises du groupe.

L’analyse du périmètre de reclassement conduit la cour à examiner la situation des trois sociétés composant le groupe. La société employeur faisait l’objet d’une liquidation judiciaire avec cession partielle. La société Ladner était également en liquidation judiciaire avec cession totale. En revanche, la société Tekflow, en redressement judiciaire, avait vu sa période d’observation renouvelée et était autorisée à poursuivre son activité. La cour relève qu’il « n’est nullement établi toutefois que l’activité de la société Tekflow ait cessé du fait de cette cession partielle d’actif ».

B. L’insuffisance des diligences accomplies et ses conséquences

La cour constate qu’il ne résulte pas de la lettre de licenciement que la société Tekflow « ait été interrogée sur une possibilité de reclassement ». Cette carence est d’autant plus significative que cette société, appartenant au même groupe, exerçait « une activité comparable » à celle de la société employeur. La cour en déduit que « l’employeur ne justifie pas avoir recherché toutes les possibilités de reclassement ou encore que ce reclassement ait été impossible ».

Cette solution rappelle que la liquidation judiciaire de l’employeur ne dispense pas celui-ci de l’obligation de reclassement lorsqu’il appartient à un groupe dont certaines sociétés poursuivent leur activité. L’employeur, ou le liquidateur agissant en son nom, doit interroger chaque société du groupe susceptible d’offrir un poste de reclassement. L’absence de toute démarche en ce sens caractérise un manquement à l’obligation de reclassement, privant le licenciement de cause réelle et sérieuse. La cour fixe en conséquence au passif de la société des dommages et intérêts correspondant à trois mois de salaire, retenant une ancienneté de 22 ans et l’âge du salarié, soit 56 ans au moment du licenciement. Elle accorde également l’indemnité compensatrice de préavis de six mois prévue par la convention collective pour les cadres de plus de 55 ans. En revanche, elle refuse le cumul avec l’indemnité pour non-respect des critères d’ordre, ces deux indemnisations réparant un préjudice identique résultant de la perte d’emploi.

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Hassan KOHEN
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