Cour d’appel de Rouen, le 11 septembre 2025, n°24/01973

Cour d’appel de Rouen, 11 septembre 2025. La décision tranche un contentieux social mêlant la requalification d’un temps partiel, la preuve des heures supplémentaires et les effets d’une prise d’acte. Elle précise, en outre, les conditions d’octroi d’une prime conventionnelle annuelle et le cadre indemnitaire applicable.

Une vendeuse, engagée à temps partiel, a travaillé au sein de deux magasins relevant de la convention collective du commerce de gros à prédominance alimentaire. Après un arrêt maladie et une mise en demeure pour salaires impayés, elle a pris acte de la rupture. Elle invoquait l’absence de mentions essentielles du contrat, le non‑paiement d’heures supplémentaires et le défaut de prime annuelle.

Le conseil de prud’hommes d’Évreux, le 2 mai 2024, a requalifié le contrat en temps complet, dit la prise d’acte productive d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, alloué divers rappels, ainsi que des primes annuelles, et ordonné la remise des documents. L’employeur a interjeté appel, demandant de voir analyser la prise d’acte en démission et de débouter la salariée du surplus. Cette dernière a conclu à la confirmation sauf rehaussement de certaines sommes, dont les heures supplémentaires et les dommages‑intérêts.

La question posée portait d’abord sur la portée des exigences formelles du temps partiel et, subsidiairement, sur le régime probatoire des heures supplémentaires. Elle portait ensuite sur la gravité du manquement justifiant la prise d’acte, l’étendue des conséquences indemnitaires et l’éligibilité à une prime annuelle. La cour confirme la requalification, accueille la demande d’heures supplémentaires, refuse la prime 2023, confirme les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ajuste les indemnités dans le cadre du barème légal.

I. La requalification en temps complet et le traitement probatoire des heures

A. La présomption de temps complet en l’absence de mentions essentielles

La cour rappelle avec netteté la règle, au plus près du texte. Elle énonce d’abord que « En l’absence d’indication dans le contrat à temps partiel de la durée exacte de travail convenue et/ou de sa répartition sur la semaine (en cas de durée hebdomadaire du travail) ou le mois (en cas de durée mensuelle du travail) le contrat est présumé avoir été conclu à temps complet. » Elle ajoute, avec la même rigueur, « En outre, en l’absence de précision des modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié, l’emploi est présumé à temps complet. »

Le cœur probatoire est explicité par la formule désormais classique : « Dans ces deux hypothèses, s’agissant d’une présomption simple, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’employeur, ces deux conditions étant cumulatives. » Les « plannings » produits, non datés, non signés et non prouvés comme transmis, ne renversent pas la présomption. Les autres éléments internes (tableau de répartition, contrats de collègues) ne renseignent ni la répartition exacte, ni les modalités de communication des horaires.

La conséquence salariale est logiquement rappelée: « En cas de requalification en contrat à temps complet, la durée du travail en résultant correspond à la durée légale (35 heures hebdomadaires ou 151,67 heures mensuelles) ou, si elle est inférieure, à la durée conventionnelle. L’employeur est tenu, du fait de la requalification du contrat de travail à temps partiel, au paiement du salaire correspondant à un temps complet. » La solution, conforme à la jurisprudence constante, protège la prévisibilité du temps de travail et sanctionne l’imprécision contractuelle par un mécanisme probatoire équilibré.

B. Les heures supplémentaires: articulation des preuves et office du juge

La cour cadre le débat par l’attendu de principe: « Il résulte des dispositions de l’article L. 3171-2 al. 1, de l’article L. 3171-3 et de l’article L. 3171-4 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant. »

La salariée présentait un faisceau cohérent: attestations de présence, échanges de messages confirmant des livraisons post‑fermeture et un agenda de travail. L’employeur, gardien légal des horaires, ne fournissait aucun relevé fiable, ni élément contradictoire. La reconnaissance des heures supplémentaires s’impose alors, sans mesure d’instruction, preuve d’un office du juge à la fois pragmatique et protecteur, qui articule la requalification en temps complet avec la rémunération des dépassements au‑delà de la durée légale.

II. La prise d’acte pour manquements salariaux et ses effets

A. La gravité du manquement et la qualification de la rupture

Le cadre juridique est rappelé en des termes constants: « Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail et cesse son travail à raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission. » Il est précisé que « Il appartient au salarié de rapporter la preuve d’un manquement suffisamment grave de l’employeur faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail ; » et que « Des griefs anciens dont le salarié a tardé à se saisir peuvent faire apparaître qu’ils n’étaient pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail. »

Appliquant ce canevas, la cour relève une mise en demeure restée vaine et le non‑paiement d’éléments de rémunération acquis. Elle juge de façon nette que « Le non paiement de l’intégralité de la rémunération à laquelle la salariée avait droit constitue un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail, de sorte que c’est à bon droit que les premiers juges ont dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produirait les effets attachés à un licenciement sans cause réelle et sérieuse. » L’articulation entre rappel d’heures supplémentaires, requalification salariale et gravité du manquement conforte la solution, sans excéder le périmètre des faits contemporains de la rupture.

B. Les conséquences indemnitaires et l’incidence de la prime annuelle

Sur le quantum, la cour se place dans le cadre impératif du barème légal: « Pour une ancienneté de 2 années dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, l’article L. 1235-3 du code du travail prévoit une indemnité comprise entre 0,5 et 3,5 mois de salaire. » Elle retient une indemnité alignée sur deux mois de salaire de référence, accorde le préavis et ses congés payés afférents, puis ordonne la remise des documents sociaux. L’évaluation, motivée par l’âge, l’ancienneté et la situation de l’intéressée, s’inscrit dans une grille proportionnée.

La prime annuelle appelle une solution distincte selon l’année. Si la condition d’ancienneté permettait le versement en 2022, l’exigence d’un contrat en vigueur au moment du versement fait obstacle pour 2023. La formulation de la cour est claire: « En novembre 2023, elle n’était cependant plus titulaire d’un contrat de travail, en ce qu’elle avait pris acte de la rupture le 31 octobre précédent. En application de l’article 3.6.2 précité, elle ne peut en conséquence prétendre à son versement. » La motivation, respectueuse de la lettre conventionnelle, illustre une lecture stricte des conditions d’attribution et sécurise la pratique.

L’ensemble compose une décision didactique. Elle renforce la discipline formelle du temps partiel, réaffirme les exigences probatoires en matière d’heures, et consolide la gravité du non‑paiement comme cause de prise d’acte. Elle ajuste enfin les conséquences indemnitaires à l’intérieur des bornes légales, tout en clarifiant l’indisponibilité de la prime conventionnelle lorsque la condition temporelle fait défaut.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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