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Par un arrêt de la Cour d’appel de Rouen du 11 septembre 2025, la chambre sociale statue sur la requalification de missions d’intérim invoquant le caractère saisonnier d’un poste d’opérateur de production « vrac ». La juridiction tranche simultanément l’exception d’irrecevabilité tirée d’une prétendue rétention de pièces, puis les conséquences indemnitaires de la rupture, la réintégration étant sollicitée à titre principal.
Un salarié a enchaîné, de 2021 à 2024, des missions au sein d’une entreprise utilisatrice spécialisée dans la production d’un vaccin antigrippal. Les contrats mentionnaient un « emploi saisonnier », au fil de campagnes Nord puis Sud. Estimant occuper un emploi lié à l’activité normale et permanente, l’intéressé a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir la requalification en contrat à durée indéterminée.
Le premier juge l’a débouté. En appel, le salarié demande l’infirmation, la requalification à compter du premier contrat irrégulier, la nullité puis, à défaut, la reconnaissance d’un licenciement sans cause. L’entreprise utilisatrice oppose l’irrecevabilité pour défaut de production des annexes, et soutient le bien‑fondé d’un motif saisonnier, outre l’absence de faute quant aux avantages revendiqués.
La question posée tient, d’abord, à savoir si l’action en requalification peut être déclarée irrecevable du fait d’un défaut de communication de pièces allégué, alors que l’intérêt à agir se définit en droit objectivement. Elle porte, ensuite, sur le point de savoir si la qualification de travail « saisonnier » est compatible avec une production industrialisée quasi ininterrompue, et si les éléments de preuve soumis suffisent à établir une tâche véritablement cyclique, distincte d’un pourvoi durable d’emploi.
La cour admet la recevabilité de l’action, juge non établi le caractère saisonnier de l’emploi, et prononce la requalification dès le premier contrat irrégulier. Elle écarte la nullité et la réintégration, mais retient une rupture « sans cause réelle et sérieuse » et alloue diverses sommes, y compris au titre d’avantages perdus. Elle énonce d’abord que « il convient de déclarer recevable l’action en requalification intentée par l’appelant ». Sur le fond, « il y a lieu de considérer que le caractère saisonnier de l’emploi confié […] n’est pas établi » et « La requalification étant encourue dès le premier contrat irrégulier ». En conséquence, « la rupture est intervenue sans mise en œuvre d’une procédure de licenciement et sans justification d’un motif, de sorte qu’elle est sans cause réelle et sérieuse ».
I. Le sens de la décision
A. La recevabilité de l’action en requalification
La cour commence par séparer nettement l’intérêt à agir de toute exigence probatoire incidente. Elle rappelle la définition fonctionnelle de l’intérêt, « l’avantage que procurerait au demandeur la reconnaissance par le juge du bien-fondé de sa prétention ». Elle ajoute que « cette condition de recevabilité de l’action est totalement étrangère aux diligences procédurales effectuées ou pas par la partie concernée ». Ainsi, l’échec d’une sommation de communiquer ne vicie pas, à lui seul, la recevabilité.
En conséquence, la juridiction déclare l’action recevable, sans préjuger de la valeur probatoire des pièces manquantes au fond, où l’employeur supporte la charge de la preuve du motif de recours. Le dispositif le consacre, en ces termes nets : « il convient de déclarer recevable l’action en requalification intentée par l’appelant ». Le contentieux se déplace donc sur le terrain substantiel du motif saisonnier.
B. Le motif saisonnier, la charge de la preuve et la requalification
La cour rappelle que le contrat de mission « ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ». Elle souligne ensuite la règle de preuve : « Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la réalité du motif de recours au contrat de mission qui s’apprécie à la date de conclusion du contrat ». Le cadrage normative distingue nettement la saisonnalité véritable de l’accroissement d’activité ponctuel, en exigeant périodicité régulière et contraintes extérieures.
Le raisonnement repose sur une exigence d’objectivation. La cour estime que « en l’absence d’éléments objectifs et chiffrés sur l’activité industrielle et commerciale, la cour ne peut retenir que la modification bi‑annuelle des souches des vaccins est un élément suffisant pour établir que la mise en production est nécessairement saisonnière ». Elle observe, de surcroît, une planification quasi continue de la production « vrac » sur l’année civile, à l’exception d’une brève interruption. Les constats ponctuels de fermeture d’un bâtiment ne sauraient, à eux seuls, attester un rythme cyclique contraint, d’autant que la production concernée n’épuise pas l’activité globale de l’utilisateur.
La solution s’impose alors. La juridiction conclut que « le caractère saisonnier de l’emploi […] n’est pas établi », et que les missions « ont pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente » de l’utilisateur. Elle en déduit la requalification, rappelant le principe directeur : « La requalification étant encourue dès le premier contrat irrégulier ». La rupture, intervenue au terme du dernier contrat, s’analyse en licenciement dépourvu de cause, ce que la cour exprime ainsi : « de sorte qu’elle est sans cause réelle et sérieuse ».
II. Valeur et portée
A. Une exigence probatoire renforcée et conforme à la finalité de l’intérim
La décision retient une ligne exigeante, cohérente avec la finalité du travail temporaire. En matière de saisonnalité, la preuve ne peut reposer sur des schémas internes non sourcés ou des constats de fermeture limités. Elle appelle des données « objectives et chiffrées » corrélant les pics d’activité à des contraintes extérieures et prévisibles, distinctes de la stratégie industrielle ou des choix d’organisation.
Cette méthode protège l’économie de l’interdiction du pourvoi durable d’emplois par l’intérim. Elle évite qu’un étalement pluriannuel d’une production, même fondée sur des cycles théoriques, ne se mue en continuité déguisée par la seule alternance des marchés ou des hémisphères. La motivation, précise et contextualisée, éclaire utilement la frontière entre temporalité industrielle et authentique saisonnalité. L’exigence d’objectivation, résumée par la formule « en l’absence d’éléments objectifs et chiffrés », constitue le pivot technique du contrôle.
Le rejet de la nullité s’inscrit aussi dans une orthodoxie contentieuse. La cour juge que « il ne peut se prévaloir utilement d’une violation de cette liberté fondamentale », en l’absence de lien causal entre l’action en justice et la fin de contrat. L’office du juge se concentre sur la requalification et ses suites ordinaires, sans ériger l’échec du délai d’orientation en cause de nullité.
B. Conséquences pratiques et effets d’entraînement
La portée de l’arrêt est concrète pour les secteurs invoquant la saisonnalité en contexte de production continue. Les utilisateurs devront établir, par des séries chiffrées et sourcées, un rythme cyclique non imputable à leur organisation propre, et démontrer que l’emploi confié n’est pas structurel. À défaut, la requalification interviendra « dès le premier contrat irrégulier », avec son cortège d’effets.
Sur les réparations, la cour applique la mécanique classique. Elle alloue l’indemnité de requalification d’un mois de salaire, puis le préavis et ses congés afférents, l’indemnité conventionnelle, et une indemnité pour licenciement sans cause dans la borne légale. Elle répare encore la perte d’avantages liés à la qualité de salarié de l’utilisateur, au titre de titres cadeaux et de l’intéressement‑participation, sur une base indemnitaire. Elle ordonne enfin le remboursement aux organismes d’assurance chômage, rappelant qu’« il convient d’ordonner le remboursement […] dans la limite de six mois ».
L’arrêt offre une grille lisible pour la preuve de la saisonnalité et du recours au travail temporaire. Il conforte une lecture protectrice, qui subordonne le motif saisonnier à des indicateurs probants, extérieurs et prévisibles. Il délimite, avec mesure, les remèdes, en écartant la nullité sans preuve d’atteinte à une liberté fondamentale, tout en assurant la plénitude des effets de la requalification sur la rupture et les accessoires de la rémunération.