Cour d’appel de Rouen, le 11 septembre 2025, n°24/02586

La rupture du contrat d’apprentissage pendant la période d’essai constitue une prérogative patronale encadrée par des conditions de forme et de délai dont le contentieux révèle les difficultés d’application. La cour d’appel de Rouen, par un arrêt du 11 septembre 2025, vient préciser les modalités de computation du délai de quarante-cinq jours et les conditions dans lesquelles une discrimination peut être caractérisée.

Une salariée avait été engagée par contrat d’apprentissage le 1er juillet 2022 en vue de l’obtention du brevet professionnel de coiffure. L’employeur lui a notifié la rupture de son contrat le 27 septembre 2022. La salariée a contesté cette rupture devant le conseil de prud’hommes du Havre, invoquant son caractère tardif et discriminatoire. Par jugement du 18 juin 2024, le conseil de prud’hommes a débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes. Celle-ci a interjeté appel le 17 juillet 2024.

Devant la cour, l’appelante soutenait que la rupture était intervenue au-delà du délai de quarante-cinq jours prévu par le code du travail et qu’elle présentait un caractère discriminatoire en raison de sa concomitance avec un arrêt de travail. L’employeur répliquait que le délai n’avait pas expiré compte tenu des périodes de suspension et que la rupture était justifiée par des raisons professionnelles.

La question posée à la cour était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si la rupture du contrat d’apprentissage était intervenue dans le délai légal de quarante-cinq jours de formation pratique effective. Il convenait ensuite d’examiner si les circonstances de cette rupture laissaient présumer l’existence d’une discrimination fondée sur l’état de santé.

La cour d’appel de Rouen confirme le jugement entrepris. Elle juge que la rupture est intervenue régulièrement après vingt jours de présence effective, le délai de quarante-cinq jours ayant été suspendu pendant les périodes d’absence pour maladie et congés payés. Elle retient également que la seule concomitance entre un arrêt de travail et la rupture ne constitue pas un élément de fait suffisant pour caractériser une discrimination.

Cette décision appelle une analyse en deux temps. La cour précise les règles de computation du délai de résiliation unilatérale du contrat d’apprentissage (I) avant de rappeler les conditions strictes de caractérisation de la discrimination (II).

I. La computation du délai de résiliation unilatérale du contrat d’apprentissage

La cour procède à une application rigoureuse des règles relatives au calcul du délai de quarante-cinq jours (A) tout en confirmant le formalisme allégé de la notification de rupture (B).

A. Le décompte des jours de formation pratique effective

L’article L. 6222-18 alinéa 1er du code du travail dispose que « le contrat d’apprentissage peut être rompu par l’une ou l’autre des parties jusqu’à l’échéance des quarante-cinq premiers jours, consécutifs ou non, de formation pratique en entreprise effectuée par l’apprenti ». La cour rappelle que « la période de libre résiliation unilatérale du contrat est suspendue pendant les périodes d’absence pour maladie de l’apprenti ».

Cette règle de suspension revêt une importance pratique considérable. Le législateur a entendu garantir à l’employeur un temps suffisant pour apprécier les aptitudes de l’apprenti dans l’exercice effectif de ses fonctions. Les périodes pendant lesquelles l’apprenti n’exécute pas sa prestation de travail ne sauraient être comptabilisées.

En l’espèce, la salariée avait été en congés payés du 11 au 24 juillet 2022, en arrêt maladie du 3 août au 2 septembre 2022, puis absente pour enfant malade les 16 et 17 septembre 2022. La cour relève que l’employeur « produit un décompte des jours de travail effectif de présence de [la salariée] au sein du salon de coiffure pour la période comprise entre le 1er juillet et le 24 septembre 2022, le total s’élevant à 20 jours ».

La charge de la preuve concernant le décompte des jours travaillés repose sur l’employeur qui dispose des éléments de pointage et des bulletins de salaire. La cour observe que « si [la salariée] conteste le nombre de jours de présence effective sur son lieu d’apprentissage, elle ne produit aucun élément contestant utilement les pièces produites par l’employeur ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante imposant au salarié qui conteste les éléments produits par l’employeur d’apporter des éléments contraires.

B. Le formalisme de la notification de rupture

La rupture du contrat d’apprentissage pendant le délai de quarante-cinq jours obéit à un formalisme simplifié. La cour rappelle que « la rupture anticipée du contrat d’apprentissage ou de la période d’apprentissage fait l’objet d’un document écrit » et que « la rupture du contrat d’apprentissage se situe à la date où l’employeur a manifesté sa volonté d’y mettre fin par l’envoi de la lettre notifiant la rupture ».

L’absence de signature du formulaire par l’apprenti ne constitue pas une irrégularité de nature à vicier la rupture. La cour constate que l’employeur « verse aux débats un formulaire de résiliation du contrat d’apprentissage daté du 26 septembre 2022, stipulant une rupture du contrat au 27 septembre 2022, signé par la société et non signé par l’apprentie ». Elle ajoute que l’employeur « justifie avoir adressé à l’apprentie son certificat de travail, son solde de tout compte et son attestation Pôle emploi ».

Cette solution se justifie par la nature même du délai de quarante-cinq jours qui constitue une période d’essai pendant laquelle chaque partie peut rompre le contrat sans avoir à justifier d’un motif particulier. La cour le rappelle expressément : « la rupture du contrat d’apprentissage par l’une ou l’autre des parties pendant le délai de résiliation unilatérale n’est pas subordonnée à l’existence d’un motif particulier ». Le formalisme exigé vise uniquement à assurer une preuve de la date de rupture et non à protéger le salarié contre une décision arbitraire.

II. Les conditions restrictives de caractérisation de la discrimination

La cour applique le mécanisme probatoire propre au droit de la discrimination (A) pour conclure à l’insuffisance des éléments présentés par la salariée (B).

A. Le rappel du mécanisme probatoire en matière de discrimination

La cour rappelle le régime probatoire aménagé en matière de discrimination résultant des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail. Elle énonce qu’« il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer une discrimination directe ou indirecte » et qu’« au vu de ces éléments, il appartient à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ».

Ce régime probatoire en deux temps constitue une protection essentielle du salarié qui ne dispose généralement pas des moyens d’établir directement l’intention discriminatoire de l’employeur. Le législateur a allégé sa charge probatoire en lui permettant de se contenter de présenter des indices, à charge pour l’employeur de les combattre.

La cour définit également la discrimination comme « un traitement différent en raison de l’un des motifs prohibés par l’article L. 1132-1 ». Cette définition rappelle que la discrimination suppose la réunion de deux éléments : un traitement défavorable et un lien de causalité avec un critère prohibé. La simple coïncidence temporelle entre une mesure patronale et un événement relevant d’un critère protégé ne suffit pas à établir ce lien.

B. L’insuffisance de la seule concomitance temporelle

La salariée invoquait deux éléments au soutien de son allégation de discrimination. Elle faisait valoir la concomitance entre la rupture de son contrat et son arrêt de travail. Elle soutenait également avoir été connue de l’employeur depuis plusieurs années en raison d’un premier contrat d’apprentissage qui s’était déroulé sans difficulté.

La cour écarte le second argument en relevant que « le contrat d’apprentissage du 1er juillet 2021 […] n’a pas été signé avec la société [employeur] mais avec [une autre société], qu’il a été exécuté au sein d’un salon de coiffure situé [à une autre adresse] ». Elle observe que « s’il apparaît que les deux sociétés appartiennent au même groupe […], il n’est pas établi que la salariée a travaillé pour le compte du même employeur ». L’appartenance à un même groupe n’emporte pas identité d’employeur, de sorte que l’expérience antérieure de la salariée ne pouvait être opposée à la société.

Concernant la concomitance temporelle, la cour affirme que « la seule concomitance entre un arrêt de travail et la rupture d’un contrat d’apprentissage n’apparaît pas un élément de fait suffisant ». Elle relève à l’appui de cette analyse que « l’apprentie a repris son apprentissage le 3 septembre 2022 et que son contrat n’a été rompu que le 27 septembre suivant ».

Cette motivation revêt une portée importante. La cour refuse de faire de la proximité temporelle entre un arrêt maladie et une rupture un indice suffisant de discrimination. Elle exige des éléments complémentaires permettant d’établir un lien entre l’état de santé et la décision patronale. En l’espèce, le délai de près d’un mois écoulé entre la reprise du travail et la rupture constituait un élément objectif excluant toute présomption de discrimination.

Cette solution présente une valeur certaine au regard de la spécificité du contrat d’apprentissage. Le délai de quarante-cinq jours a précisément pour objet de permettre à l’employeur d’apprécier l’adéquation de l’apprenti au poste. Admettre qu’une rupture intervenue peu après un arrêt maladie laisse présumer une discrimination conduirait à neutraliser cette faculté de résiliation chaque fois que l’apprenti aurait été malade pendant la période d’essai. La portée de cette décision invite les employeurs à documenter les motifs professionnels justifiant leur décision, même lorsque la rupture intervient pendant le délai de libre résiliation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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