Cour d’appel de Rouen, le 12 septembre 2025, n°23/02727

Cour d’appel de Rouen, 12 septembre 2025. L’arrêt tranche un litige relatif au point de départ d’une pension de retraite et à la responsabilité de la caisse liquidatrice. L’assurée avait sollicité l’ouverture de ses droits, la caisse ayant fixé l’entrée en jouissance au 1er avril 2021 à la suite d’une demande du 21 mars 2021. Elle soutenait avoir déposé, dès septembre 2020, un dossier papier en agence durant la période pandémique, sans récépissé, réclamant réparation de mois prétendument perdus.

Après rejet de son recours amiable, le pôle social du tribunal judiciaire d’Evreux, le 15 juin 2023, a refusé toute rétroactivité tout en allouant 1 500 euros de dommages-intérêts. Appel ayant été interjeté par la caisse, l’assurée a demandé la confirmation, tandis que l’appelante contestait toute faute et défendait la date d’effet notifiée. La question tenait à la preuve du dépôt antérieur et, partant, à l’engagement de la responsabilité de la caisse en l’absence de récépissé.

La cour juge que « La preuve de la remise à la caisse d’une demande de retraite personnelle ne peut résulter des seules allégations de l’assuré. » S’appuyant sur l’article R. 351-34 du code de la sécurité sociale, auquel elle rappelle que « Il est donné au requérant récépissé de cette demande et des pièces qui l’accompagnent », elle écarte toute faute et réforme la condamnation. Partant, « Il convient en conséquence d’infirmer le jugement qui lui a alloué des dommages-intérêts » et de condamner l’assurée aux dépens.

I. Le régime probatoire du dépôt de la demande de retraite

A. Les exigences formelles dégagées du texte de référence

Le cadre normatif impose un circuit précis de dépôt, matérialisé par un accusé. La décision cite l’article R. 351-34 et souligne que « Il est donné au requérant récépissé de cette demande et des pièces qui l’accompagnent ». La délivrance du récépissé constitue la preuve attendue d’un dépôt régulier, avec une fonction probatoire claire et anticipée. En l’espèce, l’assurée ne produit ni récépissé, ni attestation, ni autre trace objective, alors que ses démarches antérieures sur l’espace numérique rendaient possibles des enregistrements vérifiables.

Cette exigence de forme n’est pas un formalisme vain. Elle traduit un équilibre entre la sécurité juridique des flux de liquidation et la prévisibilité des effets pécuniaires attachés au point de départ. En période de contraintes sanitaires, la remise en boîte dédiée n’exonérait pas de précautions élémentaires de preuve, telles qu’un dépôt contre émargement ou l’envoi recommandé, que la juridiction tient ici pour décisives.

B. La charge de la preuve et l’insuffisance des seules allégations

La solution centrale est formulée sans détour : « La preuve de la remise à la caisse d’une demande de retraite personnelle ne peut résulter des seules allégations de l’assuré. » Le critère n’admet pas l’auto-affirmation comme substitut à la trace matérielle du dépôt, ce qui s’inscrit dans la logique ordinaire de la charge probatoire. La cour constate l’absence d’éléments concordants, qu’il s’agisse d’un récépissé, d’un accusé numérique, ou d’une attestation interne retraçant un transfert de dossier.

L’appréciation concrète exclut toute présomption tirée de la simple cohérence des dates envisagées par l’assurée, jugée insuffisante à établir une faute imputable à la caisse. La rigueur probatoire ainsi affirmée verrouille le lien de causalité allégué entre un manquement supposé et la perte de prestations, en l’absence d’un fait générateur objectivé.

II. Portée contentieuse et limites de la solution

A. L’absence de rétroactivité et l’écartement de la responsabilité

La conséquence contentieuse immédiate résulte de l’absence de faute caractérisée, la cour décidant qu’« Il convient en conséquence d’infirmer le jugement qui lui a alloué des dommages-intérêts ». L’assurée, qui succombe, est en outre condamnée aux dépens de première instance et d’appel, ce qui marque la pleine réception du standard probatoire retenu. La date d’effet notifiée reste inchangée, faute d’élément probant susceptible d’ouvrir un droit antérieur, la rétroactivité demeurant étrangère au régime de la liquidation en l’espèce.

Cette solution s’accorde avec la finalité de sécurité des régimes de base, où l’entrée en jouissance s’adosse à l’initiative prouvée du titulaire. Elle dissuade les contentieux fondés sur des dépôts non tracés, en arrimant la réparation à la preuve d’un manquement effectif de l’organisme, qui fait ici défaut.

B. Les enseignements pratiques et les réserves liées au contexte

L’arrêt éclaire la pratique en période de discontinuité d’accueil, en rappelant que la chaîne probatoire ne peut être remplacée par des déclarations, fussent-elles circonstanciées. Si l’organisation matérielle du service a pu, ponctuellement, fragiliser la traçabilité, la cour maintient un seuil probatoire élevé, privilégiant la stabilité des effets financiers. Le message opérationnel est clair : privilégier des canaux donnant lieu à récépissé, conserver des copies datées, solliciter des attestations de remise lorsque des procédures dérogatoires sont employées.

Cette rigueur peut paraître sévère dans des situations où l’accès au guichet fut réduit, mais elle évite une incertitude systémique sur l’antériorité des demandes. Elle laisse cependant ouverte, en droit, l’hypothèse d’une responsabilité si des éléments objectifs établissaient une remise effective non tracée par la caisse, ce qui ferait alors basculer l’analyse vers la faute de conservation ou d’enregistrement, non caractérisée en l’espèce.

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