Cour d’appel de Rouen, le 12 septembre 2025, n°24/00731

Par un arrêt du 12 septembre 2025, la Cour d’appel de Rouen tranche un contentieux AT/MP centré sur la fixation de la date de guérison. Une tendinopathie de l’épaule droite a été reconnue en 2019 au titre professionnel, puis une tendinopathie de l’épaule gauche en 2020. La caisse a fixé la guérison au 1er novembre 2022, décision contestée par l’assuré devant la commission médicale de recours amiable. La commission ayant confirmé, le pôle social du tribunal judiciaire de Rouen a, le 15 janvier 2024, retenu l’absence de guérison de l’épaule gauche. La caisse a relevé appel, sollicitant l’infirmation, subsidiairement une expertise, et demandant l’injonction de produire le rapport de la commission. En défense, l’assuré s’est prévalu d’examens de décembre 2022 et de soins poursuivis en 2023 et 2024, soutenant la persistance des lésions.

La question portait sur les critères de la guérison en matière professionnelle et, corrélativement, sur la preuve d’une continuité symptomatique à la date retenue. La cour confirme le cadre de définition, puis écarte les éléments versés, en considérant que les examens postérieurs n’établissent pas, à eux seuls, la persistance lésionnelle au 1er novembre 2022. Elle infirme le jugement et déboute l’assuré de son recours, en retenant que « c’est à tort que le tribunal a considéré que la tendinopathie de la coiffe des rotateurs gauche n’était pas guérie au 1er novembre 2022 ».

I. Le sens de la décision

A. La notion de guérison en AT/MP

La cour approuve d’abord la définition rappelée par les premiers juges, qui constitue le socle du raisonnement. Elle cite que « la guérison consistait en la disparition des lésions occasionnées par l’accident du travail ou la maladie professionnelle et qu’en cas de guérison il ne subsistait aucune séquelle fonctionnelle qui serait la conséquence de cet accident ou de cette maladie ». Cette formule resitue clairement la frontière avec la consolidation, laquelle admet des séquelles fixées, alors que la guérison suppose l’extinction de toute atteinte imputable au risque.

Appréciant cette notion à la date litigieuse, la cour rattache la qualification à l’état lésionnel objectivé et à l’absence de séquelles fonctionnelles pertinentes. En l’espèce, l’enjeu tient à l’épaule gauche et à la question de savoir si les constatations ultérieures prolongent, sans rupture, la symptomatologie antérieure ou relèvent d’un processus distinct. Le critère retenu est temporel et causal, car le juge vérifie l’existence de lésions imputables au risque à la date du 1er novembre 2022.

B. La preuve de la continuité symptomatique

La motivation repose ensuite sur les éléments médicaux postérieurs, dont la portée probatoire est discutée. La cour reprend l’analyse du médecin-conseil, selon laquelle « la tendinite calcifiante constitue une autre pathologie que celle prise en charge comme maladie professionnelle, ». Elle souligne encore que « les examens de décembre 2022 n’apportent pas la preuve d’une continuité de la symptomatologie depuis le 1er novembre précédent, dès lors que l’indication de ces examens était : « douleurs, antécédents de chirurgie à droite », ». L’argument s’attache à la nature des lésions relevées et à l’indication des examens, laquelle brouille l’attribution à l’épaule gauche à la date en cause.

S’ajoutent des données contextuelles, étrangères à l’épaule gauche, qui relativisent la valeur démonstrative des pièces produites. La décision rappelle « une demande de soins post consolidation a été effectuée en novembre 2022 pour l’épaule droite ainsi qu’une demande de rechute, adressée en février 2023, ne mentionnant que des lésions sur cette épaule, » et précise que « l’assuré a bénéficié d’une infiltration pour cette même épaule droite. » L’ensemble ne suffit donc pas, selon la cour, à établir la persistance de lésions imputables à la maladie professionnelle de l’épaule gauche à la date fixée, ce qui conduit à l’infirmation.

II. Valeur et portée

A. Le contrôle probatoire du juge technique

La solution met en lumière un contrôle resserré de la preuve autour de la date de guérison, sans automaticité liée à des soins ultérieurs. Les examens postérieurs, même rapprochés, ne démontrent pas la continuité s’ils décrivent une entité pathologique distincte ou si leur indication entretient une ambiguïté. Le juge conserve, ce faisant, la maîtrise de l’office en matière médicale, sans méconnaître le caractère technique du litige. L’expertise sollicitée subsidiairement n’est pas ordonnée, la cour estimant le dossier suffisamment instruit pour trancher la question posée.

Cette retenue procédurale rappelle que l’expertise n’est pas un préalable obligatoire, mais un moyen d’instruction opportun si l’état du dossier l’exige. La charge de l’allégation utile et la production de pièces pertinentes pèsent sensiblement sur le contestataire de la date de guérison. La conséquence suit d’ailleurs mécaniquement sur le terrain procédural, la cour énonçant que « L’intimé qui perd son procès est condamné aux dépens de première instance et d’appel. » Le rappel souligne la logique de responsabilité procédurale attachée à l’échec de la contestation.

B. La délimitation des pathologies professionnelles et ses effets

La portée de l’arrêt se mesure principalement à l’exigence d’une stricte identité lésionnelle au regard de la maladie professionnelle reconnue. En qualifiant la tendinite calcifiante d’« autre pathologie », la cour réaffirme que la guérison se juge au périmètre de la pathologie prise en charge, et non à l’aune de troubles voisins révélés postérieurement. Le raisonnement illumine la frontière entre l’évolution d’une tendinopathie reconnue et l’apparition d’un processus calcifiant, lequel peut relever d’une histoire naturelle différente.

Cette précision emporte des conséquences pratiques significatives. Le demandeur doit concentrer la preuve sur des éléments contemporains de la date contestée, démontrant la persistance de lésions imputables au risque professionnel, sans glissement vers des atteintes nouvelles. À défaut, la guérison demeure acquise, fermant la voie aux suites indemnitaires attachées à la maladie initiale. L’arrêt invite ainsi à une vigilance accrue quant à la qualification médicale et à l’articulation, le cas échéant, avec les mécanismes de rechute ou de soins post-consolidation pertinents.

La lecture d’ensemble atteste une solution équilibrée, qui clarifie le seuil probatoire et la délimitation nosologique, tout en réaffirmant l’office du juge social en matière médicale. Elle sécurise la fixation de la guérison lorsqu’aucune continuité lésionnelle probante n’est rapportée, tout en rappelant que des éléments contemporains et identifiés pourraient, à l’inverse, emporter conviction.

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