Cour d’appel de Rouen, le 12 septembre 2025, n°24/00736

La Cour d’appel de Rouen, chambre sociale et des affaires de sécurité sociale, le 12 septembre 2025, statue sur la reconnaissance hors tableau d’un trouble anxiodépressif réactionnel. Le litige oppose un employeur et la caisse, autour de la prise en charge d’un burn-out déclaré fin 2020 au titre des risques professionnels.

Les faits tiennent à l’élargissement du périmètre de responsabilités du salarié, aux difficultés récurrentes de remplacement, aux sollicitations pendant les congés, ainsi qu’à des remboursements tardifs de frais. Des heures supplémentaires nombreuses et rapprochées sont établies par les bulletins de paie, sur la période précédant immédiatement l’arrêt de travail d’août 2020.

La caisse a reconnu l’origine professionnelle après avis médical spécialisé. La commission de recours amiable a rejeté le recours de l’employeur. Le pôle social du tribunal judiciaire du Havre, le 5 février 2024, a déclaré la décision opposable, condamnant l’employeur aux dépens et à une somme au titre de l’article 700.

L’appelant invoque d’abord l’absence de preuve de transmission de l’avis du médecin du travail au comité régional désigné, puis conteste l’existence d’un lien direct et essentiel. Subsidiairement, il soutient l’insuffisante motivation d’un avis et demande la désignation d’un autre comité, tandis que la caisse sollicite confirmation intégrale.

La question centrale porte sur l’office du juge face aux avis médicaux et sur les critères de causalité exigés pour une maladie hors tableau. La cour rappelle que « En vertu de l’article L. 461-1 alinéa 7 du code de la sécurité sociale, peut être reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime ». Elle écarte le grief procédural comme inopérant et retient l’existence d’un lien direct et essentiel, à partir d’indices objectivés et de l’absence d’éléments extra-professionnels.

I. La procédure médico-administrative: consultation utile et office du juge

A. Transmission de l’avis du médecin du travail: inopérance du grief

La cour relève, au vu des mentions de l’avis spécialisé, que le comité a pris connaissance de l’avis motivé du médecin du travail. En conséquence, le défaut de preuve matérielle de la transmission par la caisse ne vicie pas l’instruction, dès lors que l’organe expert atteste l’avoir consulté. La solution est nette et sobrement formulée: « Le moyen soulevé par l’employeur est par suite inopérant ».

Une telle motivation s’inscrit dans une logique de sécurité juridique, privilégiant la réalité de la consultation sur la formalisation de sa transmission. Elle évite d’ériger un formalisme probatoire excessif, qui ferait dépendre la validité de l’avis d’un document relais plutôt que de son contenu effectif.

B. Portée de l’avis régional et pouvoir d’appréciation du juge

La cour confirme l’autonomie d’appréciation du juge du fond à l’égard des avis rendus par les comités régionaux. Elle refuse d’annuler l’avis critiqué pour motivation insuffisante, rappelant que la juridiction n’est pas liée par son contenu, ni par ses lacunes. L’énoncé est explicite: « dès lors qu’un avis qui serait éventuellement insuffisamment motivé n’a pas pour conséquence de conduire à son annulation, la juridiction n’étant pas tenue par cet avis ».

Cette affirmation clarifie l’office du juge, qui peut s’approprier les éléments du dossier, confronter les pièces, et statuer au vu de l’ensemble. Elle circonscrit utilement les demandes de réitération d’expertise, en réservant la désignation d’un nouveau comité aux hypothèses de carences empêchant l’examen au fond.

II. Le lien direct et essentiel: critères d’objectivation et portée pratique

A. Indices convergents d’une charge accrue et de contraintes anormales

La cour retient un faisceau d’indices concordants, révélant une surcharge durable et une organisation défaillante. L’extension des sites gérés, la suppression d’un appui en cuisine, l’absence de remplacement pendant les absences, et la diffusion d’un numéro personnel, ont accru les sollicitations. Les heures supplémentaires relevées, continues et significatives, objectivent l’intensification des tâches au-delà de la norme ordinaire.

Le raisonnement neutralise l’argument tiré du caractère prétendument opportun des heures, en rappelant le pouvoir de refus de l’employeur si elles étaient injustifiées. Le constat est synthétisé par une formule clé, qui ancre la preuve sur des éléments tangibles: « les éléments évoqués par l’assuré sont objectivés ». À cela s’ajoutent des retards de remboursements, révélateurs de dysfonctionnements opérationnels et d’une absence de soutien hiérarchique effectif.

B. Standard juridique, seuil de preuve et conséquences contentieuses

La cour applique le standard légal avec rigueur, sans exiger une certitude absolue, mais une causalité essentielle et directe, appréciée globalement. Elle souligne l’absence d’interférences extérieures, affirmant que « il n’existe pas d’éléments extra-professionnels à l’origine de la maladie déclarée par le salarié ». L’analyse chronologique relie la dégradation des conditions à l’altération de l’état de santé, dans une dynamique factuelle cohérente.

La conclusion s’impose avec clarté, prolongeant le jugement confirmé: « Il en résulte que c’est à juste titre que le tribunal a retenu l’existence d’un lien direct et essentiel entre la maladie et les conditions de travail ». La portée pratique est importante pour les contentieux de burn-out hors tableau, qui requièrent une objectivation des contraintes et une recherche sérieuse des facteurs étrangers. Elle consacre une méthode probatoire pragmatique, fondée sur des indices convergents et l’exclusion d’explications alternatives crédibles.

L’arrêt stabilise enfin la gestion procédurale des avis, en rappelant que le juge demeure maître de la qualification juridique et de la causalité. Il confirme la décision du pôle social du tribunal judiciaire du Havre du 5 février 2024, tout en ordonnant les dépens et une indemnité au titre de l’article 700, conformément à l’issue du litige.

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