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La Cour d’appel de Rouen, 12 septembre 2025, se prononce sur l’opposabilité à l’employeur d’une décision de prise en charge au titre des risques professionnels d’une affection psychique hors tableau. Un salarié a déclaré le 26 août 2022 une dépression réactionnelle; après enquête et avis favorable du comité compétent, la caisse a notifié le 5 avril 2023 la prise en charge. L’employeur a contesté devant la commission de recours amiable puis devant le tribunal judiciaire d’Évreux, pôle social, qui a, le 30 mai 2024, jugé la décision inopposable. La caisse a relevé appel en se prévalant du respect du contradictoire, des délais procéduraux et de l’avis du comité; l’employeur a invoqué divers manquements, notamment la discordance des dates et l’impossibilité de débattre utilement d’éléments déterminants. La question tient à la concordance entre l’instruction et la décision, spécialement quant à la date de première constatation médicale, et à la portée de cette discordance sur l’opposabilité. La cour confirme l’inopposabilité, retenant que la décision finale repose sur une date qui n’a pas été soumise au débat contradictoire pendant l’instruction.
I. Le sens de la décision: la date de la maladie comme pivot de l’opposabilité
A. L’indifférence du débat AT/MP au regard de la nature morbide
À titre liminaire, la cour neutralise un grief tenant à une requalification en accident du travail. Elle rappelle que la pathologie déclarée demeure une maladie, indépendamment de ses déclencheurs factuels. Elle énonce ainsi que la dépression «qui – quelle qu’en soit la cause – est une maladie, de sorte que l’employeur ne peut valablement s’opposer à sa reconnaissance comme maladie professionnelle». Cette précision isole le cœur du litige: non la qualification générique du risque, mais l’exactitude des paramètres de la prise en charge, au premier rang desquels la date de première constatation. La discussion est recentrée sur l’objet précis de la décision de la caisse et sur les exigences du contradictoire.
B. La discordance des dates et l’atteinte au contradictoire
La cour reconstitue la chronologie technique des dates en présence, à partir des pièces du dossier. Elle relève que «Le document intitulé « concertation médico-administrative » démontre que le médecin-conseil a quant à lui retenu comme date de première constatation médicale celle du 10 juillet 2020». Elle constate ensuite que, lors de la notification, «la lettre du 5 avril 2023 […] fait état d’une « date MP » du 29 août 2020». L’écart ainsi mis en lumière n’avait pas été soumis au débat, ni intégré aux échanges de la phase d’instruction. La conséquence en est directe et formulée sans détour: «Il s’ensuit que cette décision, qui porte sur une maladie dont la date n’a jamais été mentionnée lors de l’instruction de la caisse, doit être déclarée inopposable à la société». La solution n’exige donc pas d’examiner les autres griefs touchant aux délais ou à l’accès au dossier, la discordance emportant à elle seule l’inopposabilité.
II. Valeur et portée: une exigence substantielle de cohérence décisionnelle
A. La sanction d’inopposabilité recentrée sur l’objet, non sur les phases
La cour confirme le jugement et s’abstient d’aborder les autres moyens, «sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens». Cette économie de motifs éclaire la hiérarchie des exigences: le respect du contradictoire ne se réduit pas au décompte des «30 jours» puis des «10 jours». Il implique que l’objet exact de la décision soit identique à celui instruit et débattu. La date de première constatation, qui conditionne le rattachement temporel et, souvent, l’imputabilité, devient un élément substantiel. Si elle varie entre l’instruction et la décision, la procédure perd sa cohérence, et l’opposabilité s’éteint. La solution s’inscrit dans une conception matérielle du contradictoire, privilégiant l’effectivité du débat sur les éléments déterminants, plutôt que la seule observance formelle des échéances.
B. Les enseignements pour l’instruction des maladies hors tableau
La décision trace une ligne directrice claire pour la pratique. D’abord, la caisse doit stabiliser la date de première constatation avant la notification, et ne pas retenir en décision une date qui n’a pas été portée à la connaissance de l’employeur dans le dossier communicable. Ensuite, l’avis du comité, aussi déterminant soit-il sur l’étiologie, ne purgera pas une atteinte au contradictoire née d’une discordance non débattue pendant l’instruction. En outre, la structuration en deux phases temporelles ne saurait justifier l’affichage d’une «date MP» nouvelle au stade de la décision. L’exigence est de cohérence: les pièces ouvertes à consultation doivent contenir l’ensemble des paramètres que la décision reprendra, notamment la date retenue par le médecin-conseil. À défaut, l’inopposabilité demeure la sanction adéquate, protectrice des droits de l’employeur sans remettre en cause, par principe, la prise en charge à l’égard de l’assuré.
Par cette affirmation nette, la Cour d’appel de Rouen, 12 septembre 2025, consolide une approche substantielle du contradictoire en matière de maladies professionnelles hors tableau. Elle privilégie la concordance entre instruction et décision, centrée sur la date de première constatation, et confirme que son altération emporte inopposabilité, indépendamment des autres débats procéduraux.