Cour d’appel de Rouen, le 26 juin 2025, n°25/00081

Le droit de constituer avocat en appel se heurte parfois à des obstacles formels dont le non-respect emporte de graves conséquences. La cour d’appel de Rouen, par un arrêt avant dire droit du 26 juin 2025, illustre la rigueur avec laquelle les juridictions veillent au respect des exigences procédurales devant les formations d’appel.

Une société avait vendu un immeuble à un particulier par acte authentique du 15 décembre 2021. Un dégât des eaux survenu avant la vente avait conduit une entreprise spécialisée à effectuer des travaux de remise en état. Cette entreprise a assigné la société venderesse en paiement devant le tribunal de commerce. La société venderesse a alors appelé en intervention forcée l’acquéreur afin de lui rendre opposable le jugement à intervenir. L’acquéreur a soulevé l’incompétence du tribunal de commerce au profit du tribunal judiciaire. Par jugement du 20 décembre 2024, le tribunal de commerce du Havre s’est déclaré incompétent et a renvoyé l’affaire devant le tribunal judiciaire. La société venderesse a interjeté appel de cette décision et obtenu l’autorisation d’assigner à jour fixe. L’acquéreur a tenté de constituer avocat et de déposer ses conclusions par voie électronique le jour de l’audience. Ces actes ont été refusés par le système en raison d’une erreur de numéro de répertoire général. La cour a relevé que la constitution ne comportait aucun timbre fiscal.

La question posée à la cour d’appel de Rouen était de déterminer si la constitution d’avocat et les conclusions de l’intimé, déposées électroniquement sous un numéro de répertoire général erroné et sans acquittement du droit de timbre, pouvaient saisir valablement la juridiction.

La cour d’appel de Rouen ordonne la réouverture des débats. Elle relève que la constitution et les conclusions de l’intimé ont été déposées électroniquement mais refusées pour erreur de numéro de répertoire général. Elle constate également que « la constitution de l’avocat de M. [K] ne comporte aucun timbre fiscal tel que prévu à peine d’irrecevabilité des défenses par l’article 963 du code de procédure civile ». Soulevant d’office ce moyen, elle invite l’intimé à présenter ses observations et, le cas échéant, à régulariser sa situation conformément aux dispositions de l’article 930-1 du code de procédure civile.

Cette décision met en lumière l’articulation entre les exigences de la communication électronique et celles du droit de timbre en appel. Elle conduit à examiner d’abord les conditions de validité de la constitution d’avocat par voie électronique (I), puis le régime du droit de timbre comme condition de recevabilité des défenses en appel (II).

I. Les conditions de validité de la constitution d’avocat par voie électronique

La communication par voie électronique obéit à des règles techniques précises. L’erreur de numéro de répertoire général soulève la question de la recevabilité des actes ainsi transmis (A). La date de dépôt électronique revêt une importance particulière pour apprécier la régularité de la constitution (B).

A. L’exigence d’identification correcte du dossier dans le système de communication électronique

L’article 930-1 du code de procédure civile impose que les actes de procédure soient remis par voie électronique à peine d’irrecevabilité. Cette obligation s’accompagne d’exigences techniques dont le respect conditionne la validité de la transmission. Le numéro de répertoire général permet d’identifier le dossier auquel se rattache l’acte transmis. Une erreur sur ce numéro entraîne le rejet automatique par le système.

La cour relève que « la constitution et les conclusions ont bien été déposées électroniquement le 2 avril 2025 mais qu’elles ont été refusées au motif que le numéro de répertoire général était erroné ». Cette formulation reconnaît l’existence matérielle d’un dépôt électronique tout en constatant son échec technique. Le conseil de l’intimé soutenait que ses actes, même effectués sous un numéro erroné, étaient « de nature à saisir la cour ». Cette argumentation n’a pas été accueillie.

Le formalisme de la communication électronique répond à des impératifs de sécurité juridique et de bonne administration de la justice. L’identification exacte du dossier garantit que les actes parviennent effectivement à la juridiction saisie et sont portés à la connaissance de l’ensemble des parties. Une erreur de numéro rompt cette chaîne de transmission et prive l’acte de son effet.

B. La question de la date de la constitution et de son caractère tardif

Le conseil de l’intimé a tenté de constituer avocat le jour même de l’audience, soit le 2 avril 2025. Cette circonstance temporelle n’est pas indifférente. En matière de procédure à jour fixe, la célérité constitue l’essence même du dispositif. L’intimé assigné à jour fixe doit se défendre dans des délais contraints.

La procédure à jour fixe, prévue aux articles 917 et suivants du code de procédure civile, permet de faire trancher rapidement un litige présentant un caractère d’urgence. Le défendeur dispose d’un temps limité pour organiser sa défense. Constituer avocat le matin de l’audience de plaidoirie témoigne d’une préparation insuffisante ou d’une stratégie procédurale risquée.

La cour ne tranche pas directement la question de savoir si une constitution régulière effectuée le jour de l’audience serait recevable. Elle ordonne une réouverture des débats pour permettre la régularisation. Cette solution pragmatique préserve les droits de la défense tout en maintenant les exigences formelles de la procédure.

II. Le droit de timbre comme condition de recevabilité des défenses en appel

L’article 963 du code de procédure civile soumet la recevabilité de l’appel et des défenses au paiement d’un droit de timbre. La cour soulève d’office le moyen tiré de l’absence de ce timbre (A). Le mécanisme de régularisation offert à l’intimé illustre la conciliation entre formalisme et accès à la justice (B).

A. Le relevé d’office du défaut de timbre fiscal

La cour constate que « la constitution de l’avocat de M. [K] ne comporte aucun timbre fiscal tel que prévu à peine d’irrecevabilité des défenses par l’article 963 du code de procédure civile ». Ce constat s’inscrit dans l’exercice par le juge de son office de vérification des conditions de recevabilité.

L’article 963 du code de procédure civile dispose que les parties doivent justifier, à peine d’irrecevabilité, de l’acquittement du droit prévu à l’article 1635 bis P du code général des impôts. Ce droit de timbre de 225 euros constitue une condition de recevabilité tant de l’appel que des défenses de l’intimé. Son absence peut être relevée d’office par la juridiction.

Le relevé d’office manifeste le caractère d’ordre public de cette exigence. Le droit de timbre participe au financement de l’aide juridictionnelle. Son acquittement ne relève pas d’une simple formalité administrative mais conditionne l’accès à la juridiction d’appel. La cour exerce ainsi pleinement son pouvoir de contrôle sur la régularité de la procédure.

B. L’invitation à régulariser comme expression du contradictoire

La cour n’oppose pas immédiatement une fin de non-recevoir à l’intimé défaillant. Elle ordonne la réouverture des débats et l’invite « à émettre toutes observations sur ce point et, en cas de régularisation, à procéder à nouveau à la notification de sa constitution et de ses conclusions ». Cette démarche respecte le principe du contradictoire énoncé à l’article 16 du code de procédure civile.

Le moyen relevé d’office doit être soumis à la discussion des parties avant que la juridiction ne statue. L’intimé doit pouvoir s’expliquer sur l’absence de timbre fiscal et, le cas échéant, justifier d’un motif d’exemption. L’article 963 prévoit en effet des cas de dispense, notamment pour les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle.

La possibilité de régularisation tempère la rigueur du formalisme. Elle traduit la recherche d’un équilibre entre le respect des règles procédurales et la garantie effective du droit d’accès au juge. L’intimé dispose ainsi d’une seconde chance pour satisfaire aux exigences légales et présenter sa défense au fond. Cette solution évite que des considérations purement formelles ne privent définitivement une partie de son droit d’être entendue.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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