Cour d’appel de Rouen, le 3 juillet 2025, n°25/00387

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rouen le 3 juillet 2025 illustre le contrôle opéré par le juge sur les mesures de traitement du surendettement des particuliers. Cette décision s’inscrit dans le contentieux du rééchelonnement des dettes et de la répartition des efforts entre créanciers.

Une débitrice avait saisi la commission de surendettement d’une seconde demande de traitement de sa situation, déclarée recevable le 28 février 2023. Le 9 avril 2024, la commission a imposé un plan de rééchelonnement sur 158 mois avec une mensualité de 505,58 euros. Un créancier a contesté ces mesures par lettre du 17 avril 2024. Par jugement du 7 janvier 2025, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire du Havre a déclaré le recours recevable, modifié le plan en ramenant sa durée à 155 mois au taux de 0 %, tout en maintenant la mensualité à 505,58 euros. La débitrice a interjeté appel le 27 janvier 2025, sollicitant une modification de l’échéancier afin de consacrer 200 euros mensuels au remboursement du créancier contestataire et le solde de 305,58 euros à l’apurement des autres dettes.

La question posée à la cour était de déterminer si la débitrice pouvait obtenir une réduction de la part affectée au remboursement d’un créancier particulier dans le cadre du plan de rééchelonnement.

La Cour d’appel de Rouen confirme le jugement déféré. Elle relève que la débitrice « ne justifie pas des raisons pour lesquelles la mensualité prévue pour le remboursement de ce créancier devrait être revue pour être diminuée » et que « les autres créanciers n’ont pour leur part élevé aucune contestation ». La cour considère que le premier juge a « exactement apprécié les éléments du dossier et la situation particulière » du créancier concerné.

Cette décision appelle un examen du pouvoir d’appréciation du juge dans la modification des mesures de surendettement (I), avant d’envisager l’exigence de motivation pesant sur le débiteur sollicitant une modification du plan (II).

I. Le pouvoir d’appréciation souverain du juge dans le réaménagement des mesures de surendettement

L’office du juge en matière de surendettement lui confère une latitude importante pour adapter les mesures aux circonstances de l’espèce (A), tout en préservant un équilibre entre les intérêts du débiteur et ceux des créanciers (B).

A. L’étendue du pouvoir de modification des mesures imposées par la commission

L’article L. 733-1 du code de la consommation énumère les mesures que la commission peut imposer. Le juge, saisi d’une contestation ou d’un appel, dispose du pouvoir de réformer ces mesures. En l’espèce, le premier juge avait modifié la décision de la commission « en fixant le taux d’intérêt des mensualités de remboursement des créances à 0 % afin de raccourcir la durée du plan de réaménagement à 155 mois au lieu de 158 mois ». Cette modification témoigne de la capacité du juge à adapter le plan pour le rendre plus favorable au débiteur sans augmenter la charge mensuelle. La cour d’appel valide cette appréciation en relevant que le premier juge a « exactement apprécié les éléments du dossier ».

Le juge n’est pas lié par les propositions de la commission. Il peut modifier la durée, le taux applicable et la répartition entre créanciers. Cette latitude s’exerce toutefois dans le respect du cadre légal, notamment la durée maximale de sept ans prévue par l’article L. 733-1 du code de la consommation. En l’espèce, la durée de 155 mois demeure conforme aux dispositions légales relatives aux emprunts immobiliers en cours.

B. La préservation de l’équilibre entre débiteur et créanciers

La cour relève que la débitrice perçoit un salaire moyen de 2 149 euros et que ses charges s’élèvent à 1 597 euros. La mensualité de 505,58 euros apparaît donc compatible avec sa capacité contributive. Le maintien de cette mensualité préserve les droits des créanciers tout en respectant le reste à vivre de la débitrice.

La cour prend en considération « la situation particulière » du créancier ayant formé contestation. Ce créancier avait initialement obtenu une mensualité de 408,45 euros, portée à 505,58 euros par le premier juge. La demande de la débitrice de réduire cette part à 200 euros aurait modifié l’équilibre du plan au détriment de ce créancier. La cour refuse cette modification en l’absence de justification suffisante. Cette approche manifeste le souci de ne pas avantager certains créanciers au détriment d’autres sans motif légitime.

II. L’exigence d’une justification circonstanciée à l’appui de toute demande de modification

Le débiteur qui sollicite une modification du plan doit en démontrer la nécessité (A). L’absence de contestation des autres créanciers constitue par ailleurs un élément d’appréciation déterminant (B).

A. La charge de la preuve pesant sur le débiteur appelant

La cour relève que la débitrice « ne justifie pas des raisons pour lesquelles la mensualité prévue pour le remboursement de ce créancier devrait être revue ». Cette formulation révèle l’exigence probatoire qui pèse sur le débiteur sollicitant une modification du plan. Il ne suffit pas de proposer une nouvelle répartition. Le débiteur doit établir les motifs justifiant cette modification.

En l’espèce, la débitrice n’a produit aucun élément démontrant pourquoi la part affectée au créancier contestataire devrait être diminuée. Ses bulletins de salaire établissent au contraire une situation stable lui permettant d’honorer la mensualité fixée. La cour a été autorisée à recevoir des pièces complémentaires en cours de délibéré, mais celles-ci ont confirmé la capacité contributive de la débitrice sans fournir d’argument en faveur de la modification sollicitée.

B. L’incidence de l’attitude des autres créanciers sur l’appréciation du juge

La cour relève que « les autres créanciers n’ont pour leur part élevé aucune contestation ». Cette circonstance n’est pas neutre. L’absence de contestation des autres créanciers signifie qu’ils acceptent la répartition actuelle du plan. Modifier cette répartition en faveur de la débitrice reviendrait à bouleverser un équilibre tacitement accepté.

Le droit du surendettement repose sur un principe de traitement collectif des créanciers. Chacun doit supporter une part de l’effort proportionnée à sa créance et à la situation du débiteur. Lorsqu’un seul créancier conteste et que les autres demeurent silencieux, le juge peut légitimement considérer que le plan répond à un équilibre satisfaisant. La demande de la débitrice tendant à réduire la part du créancier contestataire apparaît dès lors comme une tentative de modifier cet équilibre sans justification objective. La cour sanctionne cette insuffisance en confirmant intégralement le jugement déféré.

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Hassan KOHEN
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