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La présomption d’imputabilité en matière d’accident du travail constitue un mécanisme cardinal du droit de la sécurité sociale. Elle permet au salarié de bénéficier de la prise en charge de ses lésions dès lors que certaines conditions sont réunies, sans avoir à démontrer un lien de causalité direct. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rouen le 4 juillet 2025 illustre les difficultés que rencontre un employeur lorsqu’il entend renverser cette présomption.
Une employée de laboratoire, travaillant au sein d’un site classé Seveso spécialisé dans la fabrication de colorants et pigments, a ressenti un malaise le 20 avril 2021, décrit initialement comme un « manque d’air ». Un certificat médical établi le même jour mentionnait une « inhalation de produit chimique sans détresse somatique », avant d’être rectifié pour faire état de « céphalées suite à l’inhalation de produit chimique ». Le 8 juin 2021, la salariée a déclaré une nouvelle lésion consistant en des rhinites purulentes et brûlures nasales. La caisse primaire d’assurance maladie a pris en charge l’accident du travail le 5 août 2021, puis la nouvelle lésion le 10 août suivant. L’employeur a contesté ces décisions devant la commission de recours amiable, puis devant le pôle social du tribunal judiciaire d’Évreux. Les premiers juges ont déclaré les décisions de prise en charge opposables à la société par jugement du 31 août 2023. L’employeur a interjeté appel, soutenant que la salariée n’avait pas été victime d’un accident du travail mais d’une simple crise d’angoisse, en s’appuyant notamment sur un rapport de police concluant en ce sens.
La question posée à la Cour d’appel de Rouen était de déterminer si les éléments produits par l’employeur suffisaient à renverser la présomption d’imputabilité attachée aux lésions déclarées par la salariée au temps et au lieu du travail.
La Cour a confirmé le jugement entrepris, estimant que la présomption d’imputabilité trouvait à s’appliquer. Elle a relevé que « le certificat médical initial rectificatif, établi le jour du fait accidentel et délivré à [la salariée], faisait état de céphalées après inhalation de produit chimique ». Elle a également souligné que « l’avis du fonctionnaire de police qui n’a pas de compétence en matière médicale, n’était étayé par aucune pièce ». La Cour a encore observé « une concordance dans les récits des salariées » et noté que « leur récit est constant et cohérent concernant la survenance du fait accidentel au temps et au lieu du travail ».
L’application de la présomption d’imputabilité au fait accidentel survenu au temps et au lieu du travail mérite d’être examinée (I), avant d’analyser les limites de la contestation patronale fondée sur une qualification alternative des faits (II).
I. L’application de la présomption d’imputabilité au fait accidentel survenu au temps et au lieu du travail
La présomption légale bénéficiant au salarié repose sur des conditions d’application précises (A), dont la réunion entraîne une inversion de la charge probatoire au détriment de l’employeur (B).
A. Les conditions d’application de la présomption légale
L’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale définit l’accident du travail comme celui survenu « par le fait ou à l’occasion du travail ». La jurisprudence a précisé que tout accident survenu au temps et au lieu du travail est présumé imputable à l’activité professionnelle. Cette présomption constitue une faveur accordée au salarié, qui n’a pas à démontrer l’existence d’un lien de causalité entre son travail et la lésion constatée.
En l’espèce, la Cour relève que « la lésion était apparue au temps et au lieu de travail ». Le certificat médical initial rectificatif mentionnait des « céphalées après inhalation de produit chimique ». La salariée exerçait ses fonctions dans un laboratoire d’un site classé Seveso, où des émanations de produits chimiques avaient été signalées. Une collègue travaillant dans le même laboratoire avait également ressenti des vertiges et « avait déclaré aux policiers avoir alerté la société à plusieurs reprises, avant l’incident, concernant la présence d’une odeur ».
Ces éléments suffisaient à caractériser la survenance d’un fait accidentel au temps et au lieu du travail. La constatation médicale d’une lésion, même bénigne, permet de déclencher le mécanisme présomptif. L’absence de détresse somatique grave importe peu dès lors qu’une atteinte corporelle est objectivée par un praticien.
B. L’inversion de la charge de la preuve au détriment de l’employeur
Une fois la présomption établie, il appartient à l’employeur de la renverser. Il doit démontrer que l’accident trouve sa cause exclusive dans un fait étranger au travail. Cette charge probatoire est particulièrement lourde et suppose de rapporter la preuve d’une cause totalement extérieure à l’activité professionnelle.
La Cour souligne que l’employeur « n’avait formulé aucune réserve » lors de la déclaration d’accident. Cette absence de contestation initiale fragilise la position de la société. Elle a certes contesté ultérieurement les décisions de prise en charge, mais son recours devant la commission de recours amiable a été déclaré irrecevable pour forclusion. La contestation tardive ne saurait pallier l’absence de réserves formulées au moment de la déclaration.
L’employeur invoquait une crise d’angoisse pour expliquer les symptômes de la salariée. La Cour rejette cet argument en relevant que « l’avis du fonctionnaire de police qui n’a pas de compétence en matière médicale, n’était étayé par aucune pièce, alors que le certificat initial rectificatif faisait état, quant à lui, de constatations médicales par un praticien de l’hôpital ». La qualification médicale retenue par un professionnel de santé prime sur l’appréciation profane d’un policier.
II. Les limites de la contestation patronale fondée sur une qualification alternative des faits
L’argumentation de l’employeur reposait sur une requalification du fait accidentel en crise d’angoisse, laquelle s’est heurtée à l’insuffisance des éléments probatoires avancés (A). La concordance des témoignages et des constatations médicales a consolidé l’application de la présomption (B).
A. L’insuffisance des éléments probatoires avancés par l’employeur
La société s’appuyait essentiellement sur le rapport de police concluant à une crise d’angoisse. La Cour écarte cet élément en soulignant l’absence de compétence médicale du fonctionnaire de police. Cette position est conforme à une jurisprudence constante qui privilégie les constatations médicales sur les appréciations profanes.
La Cour observe que l’employeur « reprend devant la cour ses moyens et prétentions de première instance, sans produire d’élément nouveau ». Cette absence de moyens nouveaux en appel témoigne de la difficulté pour l’employeur de réunir des éléments probants susceptibles de renverser la présomption. La simple affirmation d’une crise d’angoisse ne suffit pas à établir une cause étrangère au travail.
L’employeur aurait pu produire un avis médical contradictoire ou des éléments démontrant l’existence d’un état pathologique antérieur de la salariée. En l’absence de tels éléments, sa contestation restait purement déclarative. La Cour note d’ailleurs que « cette dernière prétention n’étant pas plus étayée en cause d’appel qu’en première instance » concernant la nouvelle lésion.
B. La consolidation de la présomption par la concordance des témoignages et constatations médicales
La Cour relève « une concordance dans les récits des salariées ». La collègue de la victime avait ressenti des vertiges le même jour et avait alerté la direction sur la présence d’odeurs suspectes. Le rapport de l’agent de la médecine du travail précisait que « sont plus incriminées des vapeurs de produits provenant de la fabrication attenante que des produits utilisés à l’intérieur du laboratoire ».
Cette convergence d’éléments renforce la crédibilité du récit de la salariée. La Cour souligne que « leur récit est constant et cohérent concernant la survenance du fait accidentel au temps et au lieu du travail et des lésions médicales ont été constatées par les praticiens hospitaliers ». La constance du récit et sa cohérence avec les témoignages d’autres salariés constituent des indices déterminants.
La prise en charge de la nouvelle lésion déclarée le 8 juin 2021 bénéficie également de cette présomption. Les rhinites purulentes et brûlures nasales présentent un lien avec l’inhalation initiale de produit chimique. L’employeur n’a pas davantage établi que cette lésion trouvait son origine dans une cause étrangère au travail.
La solution retenue par la Cour d’appel de Rouen s’inscrit dans une jurisprudence protectrice des salariés victimes d’accidents du travail. Elle rappelle que l’employeur qui entend contester le caractère professionnel d’un accident doit apporter des éléments probants et non se contenter d’une interprétation alternative des faits dépourvue de fondement médical.