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Par un arrêt de la Cour d’appel de Rouen du 4 septembre 2025, la chambre sociale statue sur une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, assortie de prétentions indemnitaires variées. La décision est principalement infirmative et précise les conditions de gravité des manquements exigées par le droit positif.
Les faits tiennent à l’exécution d’un contrat de travail conclu il y a plus d’une décennie, marqué par une progression de qualification, des aménagements horaires et un épisode ponctuel d’affectation externe à l’entreprise durant l’été 2018. L’année 2020 voit une période d’activité partielle, suivie d’arrêts de travail prolongés. Le différend naît de la réunion alléguée d’erreurs de classification, d’heures supplémentaires dépassant le contingent, d’une modification unilatérale des fonctions, et de manquements invoqués au titre de la sécurité et du chômage partiel.
Par jugement, le conseil de prud’hommes a prononcé la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur et alloué divers dommages et intérêts. La juridiction d’appel, saisie par l’employeur, rejette la résiliation, mais retient des réparations ciblées au titre des durées maximales de travail et de l’exécution déloyale, tout en déboutant plusieurs autres demandes.
La question centrale est double. D’une part, déterminer si les manquements, parfois anciens et en partie régularisés, présentaient une gravité empêchant la poursuite du contrat. D’autre part, préciser le régime probatoire et l’économie des réparations utiles, sans surévaluer la portée d’épisodes ponctuels. La motivation s’ouvre par un rappel de principe: «La voie de la résiliation judiciaire, qui n’est ouverte qu’au salarié, produit, lorsqu’elle est accueillie, tous les effets attachés à un licenciement prononcé sans cause réelle et sérieuse.»
Le cadre juridique est ensuite fixé par deux jalons clairs: «Lorsque les manquements de l’employeur à ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles sont établis, ont revêtu une gravité suffisante et empêchent la poursuite du contrat de travail, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail doit être accueillie.» Il est en outre souligné que «Il appartient au salarié d’apporter la preuve des manquements invoqués.»
I. Conditions de la résiliation judiciaire: contrôle de la gravité et de l’ancienneté des manquements
A. Manquements établis, régularisation et absence d’empêchement de la poursuite
La cour vérifie d’abord, de manière méthodique, la matérialité et la temporalité des griefs. Elle identifie certains manquements établis, comme le retard de classification et la rémunération afférente, ultérieurement régularisés. S’agissant de l’affectation externe ponctuelle à l’été 2018, la cour retient une modification unilatérale d’un mois, mais observe que la salariée a aussitôt repris ses fonctions initiales.
Ce contrôle se nourrit d’un critère directeur fréquemment rappelé: «Des griefs anciens dont le salarié a tardé à se saisir pour introduire son action en résiliation judiciaire peuvent faire apparaître qu’ils n’étaient pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail et donc à justifier la résiliation judiciaire du contrat.» Ainsi, l’ancienneté et la disparition du manquement au jour de la saisine, voire du jugement, minent l’office résolutoire, sans effacer mécaniquement toute responsabilité.
La cour insiste sur la méthode d’examen au cas par cas: «En l’espèce, il appartient à la cour d’examiner si chacun des manquements relevés par la salariée est établi, s’il présente un caractère de gravité justifiant le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail.» Le principe est mis en œuvre avec sobriété, en refusant tout automatisme entre faute et résiliation.
Concernant l’irrégularité ponctuelle relative au chômage partiel fin mars 2020, le manquement est constaté mais jugé trop ancien et isolé pour fonder la résiliation. Le même raisonnement prévaut pour l’affectation externe d’un mois, reconnue mais cantonnée à un épisode précis, non reconduit, et sans effet durable sur la relation contractuelle.
Cette grille de lecture ménage la possibilité d’une indemnisation autonome, sans basculer vers la rupture judiciaire. Elle évite une surqualification du litige en sanctionnant proportionnément ce qui doit l’être.
B. Heures supplémentaires et durées maximales: préjudice réparé, seuil résolutoire non atteint
La motivation aborde ensuite les durées du travail. Elle rappelle que «La durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine.» Elle précise aussi la répartition de la charge probatoire: «La preuve du respect des seuils et plafonds prévues par le droit de l’union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’employeur.»
Après examen des bulletins de paie, la cour retient un dépassement du contingent annuel pour deux exercices, tout en soulignant l’ampleur limitée et le caractère ponctuel des dépassements des plafonds. Elle indemnise donc sobrement le préjudice personnel: «Ces manquements sont établis et ont causé à la salariée un préjudice dans sa vie personnelle et engendré des risques pour sa santé et sa sécurité, de sorte qu’il y a lieu de condamner l’employeur au paiement de la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts.»
La portée résolutoire demeure toutefois écartée, en raison du contexte temporel et de l’intensité mesurée des atteintes. La décision retient que, compte tenu de leur ancienneté et de leur caractère circonscrit, ces manquements ne pouvaient, à eux seuls, rompre la confiance nécessaire à la poursuite du contrat.
La transition vers l’examen de l’obligation de sécurité s’impose, car la salariée invoquait une dégradation de la santé au travail et la carence des mesures préventives.
II. Portée de l’arrêt: obligation de sécurité, office de la preuve et calibrage de la réparation
A. Obligation de sécurité: exigences de l’effectivité et preuve du lien causal
Le standard légal est rappelé avec netteté: «L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.» La décision complète le régime probatoire en ces termes: «Dès lors qu’il s’agit d’une obligation de sécurité à la charge exclusive de l’employeur, la charge de la preuve de son bon accomplissement incombe à ce dernier et non au salarié.»
La cour confronte ces principes aux éléments factuels et retient que des mesures d’adaptation ont été prises en 2018, incluant aménagement horaire et suivi de la charge. Elle constate surtout l’absence d’éléments établissant, pour 2020, un lien certain entre l’état de santé et les conditions de travail, contexte marqué par l’activité réduite et des facteurs extra-professionnels significatifs.
Cette analyse évite de confondre la matérialité d’une difficulté personnelle et l’imputabilité juridique à l’employeur. L’obligation de sécurité reste une obligation de moyens renforcée et d’effectivité, mais son office n’autorise pas une présomption générale de causalité.
L’équilibre retenu préserve la cohérence de la jurisprudence sur la sécurité au travail, en exigeant des indices précis, convergents et actuels pour justifier une résiliation ou des réparations lourdes.
B. Exécution loyale: reconnaissance de la faute et réparation proportionnée
La cour agrège enfin trois éléments fautifs pour qualifier une exécution déloyale: retard de classification, affectation externe ponctuelle, et irrégularité liée au chômage partiel. Le constat est sans ambiguïté: «En ne rémunérant pas la salariée à sa juste classification dès l’obtention par cette dernière de son diplôme, en modifiant unilatéralement son contrat de travail au cours de l’été 2018 et en ne respectant pas les dispositions relatives au chômage partiel, l’employeur n’a pas exécuté loyalement le contrat de travail.»
La réparation retenue demeure mesurée, renforçant l’idée d’un traitement au plus près du préjudice, distinct de la logique résolutoire. Elle s’ajoute à l’indemnité liée aux durées maximales, tout en rejetant les autres postes non caractérisés, notamment l’allégation de prêt de main-d’œuvre dommageable faute de préjudice démontré.
La solution d’ensemble articule avec constance gravité, ancienneté, régularisation et preuve. Elle se conclut par le refus de la résiliation: «La salariée n’établissant pas l’existence de manquements commis par l’employeur suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, il y a lieu, par infirmation du jugement entrepris, de la débouter de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de son employeur ainsi que des demandes subséquentes.»
L’arrêt rappelle, avec pédagogie, que la résiliation judiciaire demeure une sanction ultime, réservée à des manquements actuels, graves et empêchant réellement la continuation du lien contractuel. La voie utile, ici, était indemnitaire, précisément calibrée et rigoureusement justifiée.