- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Par un arrêt du 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale) statue sur un contentieux relatif aux heures supplémentaires, au respect des durées maximales de travail, au travail dissimulé et à la résiliation judiciaire. Un salarié engagé en juin 2019 comme directeur d’exploitation d’un restaurant relevant de la convention HCR a travaillé avant et entre deux périodes de fermeture sanitaire, puis a été placé en arrêt de travail à compter du 21 mai 2021. Il revendiquait des heures supplémentaires accomplies principalement en 2019 et 2020 et invoquait une surcharge structurelle.
Le 25 août 2021, il a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen d’une demande de résiliation judiciaire, rejetée par jugement du 23 avril 2024. Appel a été interjeté le 16 mai 2024. Un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement est intervenu le 17 septembre 2024. En cause d’appel, le salarié sollicitait la résiliation judiciaire, un important rappel d’heures, des dommages-intérêts pour dépassement des durées maximales, l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé, et diverses sommes. L’employeur concluait à la confirmation, contestait toute heure supplémentaire non payée, invoquait l’autonomie du poste et l’absence d’intention dolosive.
La juridiction devait préciser le régime probatoire applicable aux heures supplémentaires et aux durées maximales, déterminer l’existence d’un préjudice, apprécier l’élément intentionnel du travail dissimulé, puis vérifier si les manquements retenus étaient d’une gravité empêchant la poursuite du contrat. La cour infirme partiellement, alloue 9 493,5 euros de rappel d’heures et 943,35 euros de congés payés afférents, indemnise de 1 000 euros la violation ponctuelle des durées maximales, rejette le travail dissimulé et la résiliation judiciaire, et condamne l’employeur aux dépens et à l’article 700.
I. Le régime probatoire des heures supplémentaires et des durées maximales
A. L’aménagement de la preuve au bénéfice du salarié et l’évaluation souveraine du juge
La cour rappelle le standard probatoire désormais classique. Elle cite que, « il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ». Elle ajoute que, « Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées ». Enfin, elle souligne qu’« Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant ».
Au soutien de sa demande, le salarié produisait des plannings hebdomadaires, un récapitulatif manuscrit, des échanges écrits, une attestation d’une collègue et des éléments issus d’une enquête de sécurité sociale. L’employeur répliquait par la nature prévisionnelle des plannings, leur élaboration par le salarié, l’absence de pauses indiquées, une baisse d’activité liée à la réouverture progressive, ainsi que des états préparatoires de paie mentionnant 169 heures mensuelles pour tous. La cour constate l’insuffisance d’éléments sur les horaires effectivement réalisés par l’employeur, relève l’étonnante absence générale d’heures supplémentaires déclarées, et retient des incohérences limitées dans les pièces du salarié.
L’absence de réclamation d’heures pendant l’exécution du contrat ne constitue pas une renonciation. La cour l’énonce clairement: « Il sera rappelé que le salarié qui, pendant la durée de son contrat de travail, ne formule pas de demande spécifique à l’employeur en paiement d’heures supplémentaires, ne renonce pas pour autant à son droit de les réclamer, dans la limite de la prescription de l’article L 3245-1 du code du travail ». Conformément à la méthode de l’article L. 3171-4 du code du travail, elle reconnaît des heures supplémentaires mais en réduit le quantum, eu égard aux fonctions exercées, au contexte sanitaire et aux pièces, sans ordonner de mesure d’instruction.
B. La charge de la preuve du respect des plafonds et le préjudice attaché aux dépassements
La solution prolonge cette logique pour les durées maximales. La cour énonce que, « La preuve du respect des seuils et plafonds prévues par le droit de l’union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’employeur ». Elle rappelle en outre que, « Le non respect des durées maximales de travail crée au salarié un préjudice dans sa vie personnelle et engendre des risques pour sa santé et sa sécurité ». L’employeur ne justifiant d’aucun suivi probant, l’instance retient des dépassements ponctuels et alloue une indemnisation spécifique de 1 000 euros, distincte du rappel d’heures et proportionnée à l’ampleur constatée.
L’articulation opérée est nette. Les heures supplémentaires ouvrent droit à rappel de salaire et congés payés afférents, selon une évaluation souveraine du juge. Le dépassement de plafonds produit, quant à lui, un préjudice présumé réparé par des dommages-intérêts autonomes. Cette dissociation conforte la finalité préventive du droit du temps de travail et responsabilise l’employeur sur la tenue des preuves.
II. Les conséquences: travail dissimulé écarté et résiliation judiciaire refusée
A. L’exigence d’une intention frauduleuse: un garde‑fou au contentieux du temps de travail
Sur le travail dissimulé, la cour retient l’absence d’élément intentionnel. Elle rappelle que, « Ainsi, la dissimulation d’emploi salarié n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle ». Elle souligne encore que, « L’attribution par une juridiction au salarié d’heures supplémentaires non payées ne constitue pas à elle seule la preuve d’une dissimulation intentionnelle ». Cette double affirmation ferme la voie à une automaticité indemnisatrice, conforme à l’article L. 8223-1 du code du travail.
Au regard des pièces, l’existence d’états préparatoires de paie, l’erreur de qualification sur les bulletins compensée par des cotisations afférentes au statut revendiqué, et l’absence de preuves positives d’une stratégie de soustraction délibérée, font défaut à l’élément moral. La pratique discutable de non‑déclaration systématique rapportée par un témoignage ne suffit pas, en l’espèce, à caractériser une volonté consciente d’éluder salaires ou cotisations. La demande indemnitaire forfaitaire est donc rejetée.
B. La résiliation judiciaire recentrée sur la gravité actuelle des manquements
La cour rappelle la condition cardinale de gravité appréciée à la date de la rupture ou de la décision. Elle cite que, « Lorsque les manquements de l’employeur à ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles sont établis, ont revêtus une gravité suffisante et empêchent la poursuite du contrat de travail, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail doit être accueillie, avec effet à la date de la décision la prononçant, lorsqu’à cette date le contrat de travail est toujours en cours ou à la date de rupture effective du contrat, c’est à dire dans l’hypothèse considérée à la date du licenciement ». Elle ajoute une mise en garde utile sur la temporalité des griefs: « Des griefs anciens dont le salarié a tardé à se saisir pour introduire son action en résiliation judiciaire peuvent faire apparaître qu’ils n’étaient pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail et donc à justifier la résiliation judiciaire du contrat ».
L’application est rigoureuse. Les dépassements et rappels obtenus restent ponctuels et circonscrits aux périodes d’activité, dans un contexte sanitaire atypique. À la date de la demande de résiliation, le salarié n’avait pas travaillé depuis de nombreux mois. La chronologie des faits, l’absence de réclamations antérieures sur les heures, l’échec des discussions de rupture conventionnelle, et l’interruption d’activité prolongée, ne permettent pas d’établir une atteinte actuelle empêchant la poursuite du contrat. La résiliation judiciaire est refusée, sans incidence du licenciement pour inaptitude, notifié postérieurement et conservant son effet.
Cette décision ménage un équilibre fidèle au droit positif. Elle garantit une réparation effective des écarts probatoires et des atteintes au repos, tout en maintenant des garde‑fous contre les dérives indemnitaires automatiques et les résiliations sans gravité contemporaine. Par une motivation structurée, la Cour d’appel de Rouen clarifie ainsi la portée respective des mécanismes de rappel salarial, de responsabilité en matière de durées maximales, et des sanctions attachées à l’intention frauduleuse.