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Par un arrêt du 4 septembre 2025, la cour d’appel de Rouen, chambre sociale, se prononce sur des demandes relatives aux heures supplémentaires, au harcèlement moral et à la rupture du contrat de travail.
Un salarié engagé en 2015 comme chauffeur, soumis à la convention des entreprises de travaux agricoles de Haute‑Normandie, a démissionné le 14 février 2019 avec un préavis de six semaines. Il a, en 2022, contesté la rupture et sollicité divers rappels salariaux et indemnités.
Le conseil de prud’hommes de Dieppe, par jugement du 30 avril 2024, a jugé l’action recevable, rejeté le harcèlement moral, refusé la requalification de la démission et débouté l’ensemble des demandes financières. En appel, le salarié sollicite l’infirmation, la requalification de sa démission et des rappels pour heures supplémentaires. L’employeur conclut à la confirmation, soulève plusieurs prescriptions et conteste le quantum.
La cour est appelée à trancher le point de départ et l’étendue de la prescription des créances salariales, le régime probatoire des heures supplémentaires, ainsi que la qualification des faits allégués de harcèlement et leurs effets sur la rupture. Elle retient une prescription avant le 1er février 2019, n’accorde que trois heures supplémentaires sur la période non prescrite, écarte le harcèlement et refuse la requalification, certaines actions étant par ailleurs prescrites.
I. Prescription salariale et preuve des heures supplémentaires
A. Point de départ du délai et lecture de l’article L. 3245-1
La cour rappelle le texte applicable: « Aux termes de l’article L. 3245-1 du code du travail, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. » Elle en déduit que la seconde phrase ne permet pas d’élargir rétroactivement la période quand la connaissance des faits n’est pas postérieure à la rupture.
La solution repose ensuite sur l’identification concrète de la date de connaissance. La cour énonce que « Or, les heures supplémentaires étant payées en fin de mois, c’est à la date du 28 février qu’il a eu connaissance de leur non-paiement pour l’ensemble du mois de février et il convient donc de dire que sa demande de rappel de salaire est prescrite pour les heures supplémentaires accomplies antérieurement au 1er février 2019 et non au 22 février 2019. » L’ancrage au paiement mensuel privilégie une approche objective et sécurise le calcul des périodes exigibles.
Cette lecture, attentive à la structure mensuelle de la créance, circonscrit utilement les rappels à des périodes précisément identifiables. Elle confirme que l’option « trois années précédant la rupture » n’a de portée que si la connaissance intervient au moment ou après la rupture. La méthode protège la prévisibilité des situations et limite les effets d’un décalage artificiel des points de départ.
B. Aménagement probatoire et évaluation souveraine du quantum
Sur la charge de la preuve, la cour reprend la formule classique: « Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. » Elle précise encore: « Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments. » et « Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant. »
Le document produit par le salarié, détaillant jour par jour des heures effectuées sans mentionner les horaires précis, est jugé suffisamment précis. L’employeur réplique par des attestations situant certaines présences sur le temps de convivialité, et non en travail effectif. La cour, fidèle à son office, modère alors le décompte et n’accorde, au‑delà des heures déjà payées, que trois heures supplémentaires sur la période non prescrite.
La solution illustre la double exigence: un minimum de précision du côté du salarié, puis une discussion effective par l’employeur, avant une appréciation globale et souveraine. Elle rappelle aussi la distinction essentielle entre temps de présence sur site et temps de travail effectif, décisive pour le quantum.
II. Harcèlement moral et effets sur la rupture
A. Grille de preuve et absence de présomptions suffisantes
La cour expose le cadre légal: « Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » Elle rappelle ensuite le mécanisme probatoire: « L’article L. 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. »
Appliquant ces textes, la cour relève l’absence de pièces accréditant des agissements répétés, au‑delà des décomptes horaires. Elle souligne que « le seul fait d’effectuer des heures supplémentaires, quand bien même elles le seraient sur certains mois dans des proportions conséquentes, n’est pas de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral, seul un manquement à l’obligation de sécurité pouvant éventuellement être retenu à défaut de tout contexte hostile les entourant. » La thèse d’un harcèlement est donc écartée, faute d’indices concordants relatifs à la dégradation des conditions de travail.
Ce rappel distingue nettement surcharge ponctuelle et harcèlement, lequel exige une matérialité répétée et contextualisée. Il incite, en pratique, à documenter précisément les faits et leurs effets, notamment médicaux, pour franchir le seuil probatoire des présomptions.
B. Démission claire, requalification et délais d’action
Sur les délais, la cour rappelle le texte: « Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture. » Cette borne temporelle commande l’irrecevabilité de la requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse, introduite au‑delà du délai. Elle écarte également les demandes accessoires frappées par la prescription biennale applicable à l’exécution, ainsi que l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé, dont la nature gouverne le délai. La cour précise d’ailleurs: « La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l’action en paiement d’une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, qui naît lors de la rupture du contrat en raison de l’inexécution par l’employeur de ses obligations, est soumise à la prescription biennale de l’article L. 1471-1, alinéa 1, du code du travail. »
Quant à la requalification en licenciement nul, l’absence de harcèlement prive la demande de son fondement. Surtout, la juridiction retient que « les termes de cette démission étaient clairs et non équivoques, sans que l’apparition d’un différend trois ans plus tard ne puisse la rendre équivoque. » La solution combine donc l’exigence d’une ambiguïté contemporaine de la démission et la rigueur des délais, pour encadrer les remises en cause tardives.
L’ensemble établit une cohérence d’ensemble: lecture stricte des prescriptions selon la nature des créances, exigence probatoire élevée pour le harcèlement, et protection de la stabilité des ruptures claires, sauf vice caractérisé.