Cour d’appel de Rouen, le 4 septembre 2025, n°24/02444

Par un arrêt du 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Rouen tranche un contentieux relatif aux heures supplémentaires, aux congés payés et aux suites de la rupture. Un cuisinier employé d’abord en CDD puis en CDI dans la restauration rapide revendiquait un volume hebdomadaire conduisant à des heures supplémentaires non rémunérées. L’employeur contestait les horaires allégués, invoquant des attestations contraires, la présence d’autres salariés et des horaires d’ouverture différents.

Le conseil de prud’hommes de Louviers, le 11 juin 2024, avait largement accueilli les demandes salariales et indemnitaires du salarié. En appel, la décision est partiellement infirmée sur l’évaluation des heures supplémentaires et sur le rappel du mois de mai 2022. La cour fixe un rappel d’heures supplémentaires réduit, accorde un salaire pour la période du 1er au 9 mai, confirme les dommages pour dépassements de durées maximales et l’indemnité compensatrice de congés payés, rejette la demande au titre du travail dissimulé.

La question centrale portait sur la charge et les modalités de preuve du temps de travail et sur l’obligation d’assurer la jouissance effective et le paiement des congés. La cour devait encore apprécier l’intentionnalité alléguée d’une dissimulation d’emploi, ainsi que la date de rupture et ses conséquences pécuniaires.

I. La preuve du temps de travail et l’office du juge

A. Les « éléments suffisamment précis » et la réponse attendue de l’employeur

La cour rappelle le régime probatoire aménagé par le code du travail. Il est énoncé que « il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies ». L’exigence n’impose ni décompte minute par minute ni preuve parfaite, mais un faisceau cohérent permettant un débat utile.

L’arrêt retient que les documents contractuels, l’absence d’heures supplémentaires sur les bulletins, des attestations concordantes et la carte d’établissement mentionnant des amplitudes étendues suffisent à déclencher la charge de la réponse. L’employeur n’apporte alors aucun système fiable de suivi, ni registre du personnel demandé, ni planning utile, et des pièces ponctuelles relatives à une seule date apparaissent insuffisantes. La cour souligne, de manière décisive, qu’« Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant. » L’ajustement à la baisse du quantum, motivé par la présence ponctuelle d’un autre cuisinier et l’appui d’une salariée à l’ouverture et à la fermeture, illustre cette souveraineté.

Cette solution s’inscrit dans une ligne constante qui articule loyauté probatoire et office d’évaluation du juge. Elle rappelle aux employeurs la nécessité d’un dispositif de contrôle des horaires fiable et conservé, sans quoi la conviction juridictionnelle se forme au profit du salarié.

B. Les durées maximales de travail et la réparation du préjudice

La cour transpose ce schéma à la question des plafonds. Elle affirme que « La preuve du respect des seuils et plafonds prévues par le droit de l’union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’employeur. » En l’absence d’éléments produits, les dépassements ressortent des jours travaillés et des amplitudes retenues par ailleurs.

La juridiction énonce encore que « Le non respect des durées maximales de travail crée au salarié un préjudice dans sa vie personnelle et engendre des risques pour sa santé et sa sécurité. » L’allocation de dommages-intérêts, d’un montant mesuré, est donc justifiée. La démarche est cohérente avec l’économie du droit de l’Union et du droit interne, qui font peser la prévention et la traçabilité sur l’employeur, non sur le salarié.

II. Les congés payés, la bonne foi contractuelle et les limites des sanctions

A. L’obligation d’assurer la prise des congés et la preuve du paiement effectif

S’agissant des congés payés, la cour rappelle la valeur supérieure de la norme de repos. Elle énonce que « Le droit au repos a valeur constitutionnelle et il appartient à l’employeur d’établir la preuve que le salarié a bien bénéficié de son congé, ou du moins qu’il a pris les mesures nécessaires pour que le salarié en bénéficie effectivement. » L’absence de preuves d’une fermeture annuelle effective et de suivi des droits acquis conduit à retenir un solde non pris.

Deux axiomes structurent la solution. D’une part, « La prise des congés payés est obligatoire. » D’autre part, « Nonobstant la délivrance d’un solde de tout compte, c’est à l’employeur de prouver le paiement effectif des sommes mentionnées. » L’indemnité compensatrice équivalente aux jours acquis non pris est confirmée, de même que des dommages-intérêts autonomes pour la privation du droit au repos. La décision réaffirme une exigence probatoire forte, en phase avec la finalité protectrice du régime.

B. Le travail dissimulé, l’intentionnalité requise et les accessoires de la rupture

La cour exclut la qualification de travail dissimulé, faute d’élément intentionnel distinct. Elle rappelle que « L’attribution par une juridiction au salarié d’heures supplémentaires non payées ne constitue pas à elle seule la preuve d’une dissimulation intentionnelle. » En conséquence, « Il s’en suit qu’il n’est pas démontré que c’est sciemment que l’employeur a omis de payer des heures supplémentaires à son salarié. » La ligne est classique : la sanction spécifique suppose une volonté de se soustraire aux obligations déclaratives, non un simple défaut de paiement.

L’appréciation des accessoires de la rupture suit la même méthode probatoire. La cour constate que « Il ne ressort ainsi des éléments produits ni que le salarié ait abandonné son poste ni qu’il ait effectivement démissionné. » Elle fixe en outre la date de rupture à partir des pièces probantes en ces termes : « En l’absence d’éléments produits par le salarié tendant à établir qu’il a travaillé au-delà du 9 mai 2022, cette date sera retenue comme étant la date de rupture du contrat de travail. » Le rappel de salaire du 1er au 9 mai est alloué, tandis que la prétention indemnitaire de l’employeur pour exécution déloyale est écartée faute de preuve positive.

L’arrêt opère ainsi un équilibre rigoureux entre protection des droits fondamentaux du salarié et exigence de preuves spécifiques pour les sanctions les plus graves. La remise d’un bulletin rectificatif, sans astreinte à ce stade, parachève une solution pragmatique, centrée sur l’effectivité des droits et la responsabilité probatoire de l’employeur.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture