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Par un arrêt de la Cour d’appel de Rouen du 4 septembre 2025, la chambre civile et commerciale statue sur la responsabilité d’un établissement bancaire. Une société commerciale, cliente, reprochait à sa banque l’exécution de trois virements internationaux destinés à des sociétés étrangères, finalement liés à une fraude alléguée. Elle sollicitait la réparation du préjudice correspondant, en invoquant les articles L. 133‑18 et L. 561‑6 du code monétaire et financier. La question tenait à l’étendue de la vigilance due par le teneur de compte lors d’ordres autorisés émis par un représentant social.
Le tribunal de commerce de Rouen, le 13 mai 2024, avait rejeté la demande indemnitaire et refusé de sanctionner l’action en abus. La société cliente a interjeté appel, tandis que la banque sollicitait confirmation et des dommages‑intérêts pour procédure abusive. La cour d’appel confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Elle retient l’absence de faute de la banque et écarte l’abus de droit d’agir invoqué reconventionnellement.
Le litige imposait de qualifier la situation au regard du devoir de vigilance et du principe de non‑ingérence. La cour rappelle que « Le devoir de non-ingérence limite le contrôle de la banque qui ne doit pas s’immiscer dans les affaires de son client en l’absence d’anomalie apparente. » Constatant des ordres réguliers et des justificatifs fournis, elle conclut que « Aucune faute n’a donc été commise par la banque » et confirme le rejet des prétentions indemnitaires.
I. La vigilance bancaire bornée par la non‑ingérence
A. Ordres autorisés et inapplicabilité du régime des opérations non autorisées
Les opérations litigieuses émanaient du représentant légal dûment habilité, qui a confirmé chaque virement, à la suite de contre‑appels et de signatures sur bordereaux. Les adresses de contact correspondaient au dossier du client, et le compte était suffisamment approvisionné, sans dépassement ou incident notable. Ces éléments caractérisent des ordres autorisés au sens du droit des services de paiement. Ils excluent, dès lors, l’application des articles L. 133‑18 et suivants relatifs aux opérations non autorisées.
La solution se comprend d’abord comme un rappel de la frontière entre sécurité des paiements et conseil en investissements. L’établissement n’avait pas à apprécier l’opportunité économique de transferts présentés comme des règlements de factures. Le motif selon lequel « les libellés ne permettaient pas d’identifier des opérations à visée de placements » conforte l’impossibilité d’assimiler le dossier à une fraude de paiement.
B. Anomalies apparentes et contrôle concret opéré
La cour définit la vigilance attendue en ces termes: « La banque en sa qualité de teneur de compte est tenue d’une obligation de vigilance la contraignant à vérifier les anomalies apparentes matérielles ou intellectuelles, notamment d’une ordre de virement. » Elle précise les limites corrélatives du contrôle par le rappel précité du principe de non‑ingérence. La combinaison de ces motifs fixe un standard d’examen circonscrit aux irrégularités visibles, sans investigation systématique.
Appliquant ce standard, la juridiction retient que les bénéficiaires avaient fourni des relevés d’identité bancaire, et que des factures avaient été exigées puis produites. Les montants, bien que significatifs, demeuraient cohérents avec l’activité et la taille de l’entreprise au vu du chiffre d’affaires déclaré. Les virements vers des comptes espagnols n’étaient pas, en eux‑mêmes, atypiques pour un opérateur commercial. La conclusion d’absence d’anomalie apparente s’en trouve logiquement affirmée.
II. Appréciation et portée de la décision
A. Anomalies intellectuelles alléguées et attentes raisonnables
La société exposait un décalage entre un libellé de virement et le nom figurant sur une facture, ainsi qu’une référence à un intermédiaire d’investissement. Ces éléments pouvaient suggérer une anomalie intellectuelle, invitant à une vérification complémentaire. La cour relève toutefois l’absence d’indication explicite d’un placement dans les libellés. Elle observe aussi l’absence de preuve de l’inscription des bénéficiaires sur une liste d’alerte officielle à la date des virements.
La solution retient ainsi une approche stricte de la visibilité de l’irrégularité, circonscrite aux seules apparences objectives. Cette rigueur protège la fluidité des paiements, mais elle élève le seuil probatoire pour engager la responsabilité du banquier. On peut discuter la portée donnée à l’incohérence de désignation d’un bénéficiaire sur un avis d’opéré. L’arrêt ne la qualifie pas d’anomalie, probablement en raison des pièces justificatives fournies et des confirmations intervenues.
Le standard ainsi retenu demeure conforme à la formule selon laquelle le banquier « ne doit pas s’immiscer dans les affaires de son client en l’absence d’anomalie apparente ». Il évite de transformer la vigilance en contrôle de fond de l’objet économique des paiements. Il incite, en contrepartie, les entreprises à internaliser des contrôles ex ante robustes sur leurs circuits d’engagement et de règlement.
B. Procédure abusive et équilibre des droits d’action
Sur la demande reconventionnelle, la cour rappelle la mesure du droit d’agir. Elle énonce que « Le droit d’action en justice ne dégénère en abus qu’en cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol ». Elle ajoute que l’exercice d’un appel ne caractérise pas, à lui seul, un entêtement fautif. L’atteinte à l’image alléguée n’étant pas démontrée, la demande indemnitaire est rejetée.
Cette motivation préserve l’accès au juge dans des contentieux techniques, où les frontières entre vigilance, conseil et sécurité des paiements demeurent discutées. Elle complète l’économie générale de l’arrêt, qui confirme les dépens et alloue une indemnité limitée au titre des frais irrépétibles d’appel. L’ensemble trace une ligne claire entre sanction de la témérité et usage loyal des voies de recours.