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Par un arrêt du 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Rouen a infirmé un jugement prud’homal portant sur un licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle. Le litige naît d’une incapacité consécutive à une maladie professionnelle, suivie d’un avis d’inaptitude et d’un licenciement pour impossibilité de reclassement.
Le salarié, engagé depuis de nombreuses années comme opérateur, a été déclaré inapte après avis du médecin du travail en juillet 2022. L’employeur a consulté le comité social et économique, puis notifié l’impossibilité de reclassement et procédé au licenciement en août 2022.
Saisi en 2023, le conseil de prud’hommes a rejeté l’ensemble des demandes. En appel, le salarié a soutenu un manquement à l’obligation de sécurité et, surtout, une recherche de reclassement défaillante et déloyale. L’employeur a invoqué la prise en compte constante des risques, la formation délivrée, et l’incompatibilité des postes disponibles avec les restrictions médicales.
La Cour identifie le cœur du litige dans l’étendue, la loyauté et la preuve de la recherche de reclassement en cas d’inaptitude d’origine professionnelle. Elle retient un manquement déterminant et prononce l’absence de cause réelle et sérieuse, allouant des dommages et intérêts. L’analyse qui suit explicite le sens de la solution, puis en apprécie la valeur et la portée.
I. Le contrôle du reclassement en cas d’inaptitude professionnelle
A. Le cadre légal rappelé et sa logique opératoire
La Cour s’adosse aux textes du code du travail qui structurent l’office de l’employeur. Elle rappelle d’abord que « Selon l’article L. 1226-10 du code du travail, lorsque le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L. 4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. » Ce rappel installe une obligation de moyens renforcée, engageant une recherche sérieuse et personnalisée.
Cette recherche n’est pas purement formelle, car « L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. » La comparabilité s’apprécie au regard des indications médicales, mais aussi des possibles aménagements organisationnels disponibles.
La Cour souligne enfin le verrou probatoire et procédural applicable : « L’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail. » Il en résulte que l’impossibilité alléguée doit être objectivée par des éléments précis, vérifiables et complets, notamment quant aux postes disponibles et à ceux aménageables.
B. L’application aux faits : indications médicales, information du CSE et défaut de preuve
Les préconisations médicales, claires et positives, ont structuré la recherche. La Cour cite l’avis médical selon lequel le salarié « ‘Pas d’élévation du membre supérieur droit au dessus de 90°, pas d’utilisation d’outils vibrants avec le membre supérieur droit, pas de manutention avec le membre supérieur droit de charges supérieures à 5 kg. Pourrait occuper un poste administratif en bureau par exemple. Son état de santé lui permet de suivre une formation.’ » Ce socle commande d’identifier des postes compatibles et, au besoin, d’en adapter les tâches.
La correspondance avec le médecin du travail fait apparaître une piste concrète, formulée sans ambiguïté : « Par courrier du même jour, le médecin du travail a rappelé ses préconisations et noté que dans la liste des fiches de postes transmise, il y était précisé soit ‘travaux avec bras au dessus du coeur’, soit ‘manutention de charges’ et qu’ainsi pour répondre à la question, seul le poste de magasinier dépôt/chauffeur-livreur pourrait correspondre sous réserve de ne pas manutentionner une charge supérieure à 5 kg avec le membre supérieur droit. » La recherche aurait dû intégrer loyalement cette option, puis vérifier sa faisabilité concrète, y compris par aménagements.
Or, l’information transmise au comité social et économique ne mentionne pas cette ouverture favorable et conditionnée, et l’employeur n’a pas produit le registre unique du personnel pour établir l’absence d’autres postes disponibles. Cette double défaillance – d’abord d’information, ensuite de preuve – a privé la recherche de sa loyauté et de sa complétude. La Cour en déduit une insuffisance caractérisée des diligences.
II. Valeur et portée de la solution retenue
A. Une exigence probatoire renforcée et un contrôle de loyauté assumé
La solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui exige une recherche effective, documentée et adaptée, y compris au sein des entités du groupe lorsque la structure le permet. Le contrôle porte autant sur la réalité des postes envisagés que sur la transparence du processus, notamment à l’égard du comité social et économique. L’absence du registre unique du personnel, pièce simple et décisive, emporte un doute que l’employeur devait dissiper par des éléments positifs et actuels.
En outre, la Cour valorise la place du médecin du travail en consacrant la portée prescriptive de ses indications, non seulement pour exclure des postes incompatibles, mais aussi pour stimuler l’exploration des alternatives compatibles. La recherche ne peut occulter un poste signalé comme possible, même sous réserve d’aménagements, sans en justifier l’impossibilité factuelle et organisationnelle.
B. Conséquences pratiques sur la conduite des reclassements et le contentieux
La décision trace des lignes opératoires claires. Il convient de recenser exhaustivement les postes disponibles et aménageables, de conserver la preuve de ce recensement, et d’informer loyalement le comité social et économique des pistes favorables, fussent-elles conditionnées. L’alignement entre les préconisations médicales, les fiches de poste et les possibilités d’aménagement doit être tracé, daté et opposable.
La Cour dégage, en outre, une économie contentieuse nette. « Dès lors, et sans qu’il soit nécessaire d’examiner la question du manquement de l’employeur à l’origine de l’inaptitude, il convient, au regard du manquement à l’obligation de reclassement, de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse. » Le défaut de reclassement suffit à faire tomber le licenciement, indépendamment du débat, parfois complexe, sur l’obligation de sécurité. L’indemnisation allouée s’inscrit dans le cadre de l’article L. 1235-3-1, au regard de l’ancienneté et de la situation d’emploi.
En somme, la Cour d’appel de Rouen confirme un contrôle exigeant, centré sur la loyauté de l’information, la traçabilité des démarches et la preuve positive de l’impossibilité, ce qui renforce la sécurité juridique du processus de reclassement.