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Par un arrêt du 4 septembre 2025, la cour d’appel de Rouen, chambre sociale et des affaires de sécurité sociale, statue sur la légitimité d’un licenciement disciplinaire pour faute grave prononcé contre une salariée cuisinière. L’enjeu tient à la qualification et à l’imputabilité de manquements graves aux règles d’hygiène en restauration collective, dans un établissement accueillant de très jeunes enfants.
La salariée, engagée depuis 1989, a connu un accident du travail en 2021, puis une reprise à temps partiel thérapeutique en septembre 2022. Début février 2023, l’employeur relève des dégradations sanitaires en cuisine, assorties d’une mise à pied conservatoire et d’un licenciement pour faute grave quelques jours plus tard. La lettre de rupture vise des négligences graves, un non-respect des normes d’hygiène et des conditions de stockage, avec risques sanitaires importants.
Saisi, le conseil de prud’hommes du Havre requalifie la faute grave en cause réelle et sérieuse, alloue le préavis et l’indemnité légale, et déboute la salariée de dommages et intérêts. En appel, la salariée conteste l’imputabilité, critique la force probante des pièces et invoque l’absence de formation adaptée. L’employeur sollicite la confirmation de la légitimité du licenciement disciplinaire, à titre principal pour faute grave.
La question posée aux juges du second degré est double. D’une part, déterminer si les faits invoqués sont établis, imputables à la salariée et d’une gravité telle qu’ils rendaient impossible son maintien. D’autre part, apprécier l’incidence d’une organisation du travail partagée et de l’éventuel défaut de formation sur la qualification disciplinaire.
La cour infirme le jugement et retient la faute grave. Elle rappelle le cadre probatoire, constate la matérialité des manquements, écarte l’argument d’un motif économique déguisé, et déduit la gravité au regard du public accueilli. Elle énonce notamment que « La faute grave s’entend d’une faute d’une particulière gravité ayant pour conséquence d’interdire le maintien du salarié dans l’entreprise » et précise la charge probatoire et son office.
I. La caractérisation juridictionnelle de la faute grave
A. Les rappels normatifs décisifs sur la charge de la preuve et l’office du juge
La cour restitue d’abord la grille classique de la faute grave, exigeant une gravité intrinsèque interdisant la poursuite du contrat, et une réaction prompte. L’arrêt affirme que « Les faits invoqués comme constitutifs de faute grave doivent par conséquent être sanctionnés dans un bref délai », ce qui pose la temporalité disciplinaire comme indicateur de gravité et de cohérence.
Le rappel probatoire est tout aussi net et ordonné. La décision précise que « La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l’employeur et à lui seul » et que le juge apprécie, au regard du dossier, si les faits « sont établis, imputables au salarié, et s’ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant ». Cette formulation articule trois séquences logiques, dont chacune conditionne la suivante, et structure l’examen du dossier.
L’office du juge se déduit ainsi d’une triple vérification cumulative. La matérialité des manquements se contrôle à partir des pièces versées. Leur imputabilité s’examine au regard des tâches confiées et de la situation concrète de travail. Leur gravité s’évalue in concreto, selon la nature des fonctions exercées et les risques attachés. La méthode retenue conduit à un contrôle serré, mais entièrement inscrit dans le droit positif.
B. L’établissement des manquements, leur imputabilité et la gravité en contexte sensible
La cour retient que des constats convergents témoignent d’une altération des conditions sanitaires en cuisine, corroborée par photographies et attestations. Elle juge que « Ces éléments établissent la matérialité des faits reprochés à la salariée », écartant la critique d’un défaut de date dès lors que les pièces se confortent mutuellement et ne sont pas utilement contredites.
L’imputabilité ressort des tâches confiées et de la chronologie. La cour relève que la salariée avait la veille cuisiné des gâteaux avec les œufs concernés, et qu’elle a indiqué ne pas procéder au décartonnage selon la pratique requise. Elle note encore que « La cour constate enfin que la salariée se contente de contester les faits reprochés et leur imputabilité sans produire d’éléments au soutien de ses contestations », ce qui renforce la conviction probatoire.
La gravité est déduite d’un double critère, fonctionnel et contextuel. D’une part, la qualité de cuisinière impose une vigilance de base, indépendamment de formations spécifiques. D’autre part, la restauration d’enfants en bas âge commande une exigence renforcée de sécurité alimentaire. L’arrêt le formuler avec netteté: « En outre, il y a lieu de relever que les manquements aux règles d’hygiène reprochés à la salariée, au surplus cuisinière, relèvent de la connaissance de tout un chacun sans qu’il y ait lieu à une formation particulière. »
Enfin, la conclusion est clairement assumée. « Au regard de ces éléments, de l’expérience de la salariée, du fait qu’elle travaillait au sein d’une crèche et confectionnait en conséquence des repas pour de très jeunes enfants, nonobstant son absence d’antécédent disciplinaire, il y a lieu de juger son licenciement justifié par une faute grave. » L’exigence d’un milieu à risque trace ici la ligne de partage entre simple insuffisance et gravité disciplinaire.
II. Valeur et portée de la solution rendue
A. La cohérence de la motivation au regard des obligations respectives et de la proportionnalité
La motivation présente une cohérence d’ensemble. La cour reconnaît la critique relative aux formations hygiène et traçabilité, puis borne sa portée. Elle énonce que, même en l’absence de formation dédiée, certains réflexes élémentaires relèvent d’une vigilance ordinaire exigible d’un professionnel expérimenté, spécialement dans une crèche. Cette position s’accorde avec le principe de sécurité des denrées, sans excès de technicité probatoire.
La proportionnalité de la sanction est appréciée sous l’angle du risque encouru et non seulement du dommage réalisé. Aucune intoxication n’ayant été avérée, la cour n’en conclut pas moins à l’impossibilité du maintien. L’approche finaliste de la faute grave demeure orthodoxe. La réactivité disciplinaire, rappelée par la formule selon laquelle les faits « doivent par conséquent être sanctionnés dans un bref délai », vient ici conforter la logique d’éviction immédiate.
L’argument d’un motif économique dissimulé est fermement écarté, faute d’éléments objectifs. L’arrêt indique que « Si la salariée soutient que la véritable cause de son congédiement serait en lien avec ce projet, elle ne verse aux débats aucun élément tendant à établir que son licenciement prononcé pour motif disciplinaire aurait en réalité été de nature économique. » La motivation se tient ainsi à distance des conjectures et se concentre sur le faisceau probatoire disponible.
B. Les enseignements pour la pratique probatoire et la prévention en restauration collective
La solution éclaire la pratique probatoire en matière d’hygiène alimentaire. Les photographies, non datées isolément, voient leur force probante consolidée par des attestations concordantes et par l’absence de contre‑preuves crédibles. L’office du juge du contrat repose alors sur une appréciation globale, où la cohérence du dossier l’emporte sur des contestations de forme non étayées.
L’arrêt souligne aussi l’importance du contexte d’intervention. Les activités de préparation de repas pour de très jeunes enfants renforcent l’exigence de prudence, et déplacent le seuil de gravité vers une vigilance accrue. La faute grave peut ainsi être retenue en prévention d’un risque sanitaire sérieux, dès lors que les manquements touchent des règles élémentaires d’hygiène et de conservation.
Enfin, la décision invite les employeurs à documenter précisément l’organisation de la cuisine, la traçabilité des denrées et l’effectivité des contrôles, sans se dispenser de former. Elle rappelle toutefois que l’absence de formation dédiée ne neutralise pas la responsabilité professionnelle quand les manquements portent sur des évidences pratiques liées à la sécurité des aliments. L’équilibre retenu préserve le principe de responsabilité sans excéder la charge probatoire.
Au total, l’arrêt articule clairement la trilogie matérialité, imputabilité et gravité, dans un cadre probatoire exigeant et proportionné au risque. En retenant la faute grave, la cour d’appel de Rouen confère une portée normative nette aux règles élémentaires d’hygiène, spécialement en présence d’un public particulièrement vulnérable.