Cour d’appel de Saint-Denis, le 25 août 2025, n°24/01632

La cour d’appel de Saint-Denis, chambre sociale, 25 août 2025, statue sur renvoi après cassation partielle du 20 septembre 2023. Le litige naît d’un licenciement pour faute grave notifié à une salariée récemment recrutée en contrat à durée indéterminée, à la suite d’un parcours débuté sous contrat de professionnalisation, avec des actes allégués de transferts contractuels irréguliers, d’édition de bulletins contestés, d’usage indu d’une mutuelle et surtout d’un comportement qualifié de déloyal. La lettre de licenciement mentionnait notamment la soustraction de cachets et la suppression de données de ressources humaines. La juridiction prud’homale avait retenu l’absence de cause réelle et sérieuse, solution en partie modifiée en appel en 2018, puis censurée pour défaut d’examen d’un grief déterminant.

La cassation avait reproché aux juges du fond d’avoir jugé sans examiner le grief tiré du comportement déloyal, qualifié en ces termes: « a statué sans examiner le grief, énoncé par la lettre de licenciement, tiré du comportement déloyal vis-à-vis de l’employeur consistant à avoir subtilisé les cachets de l’entreprise et volontairement supprimé les données de ressources humaines sur son poste informatique dans une période cruciale pour la société. » Le renvoi impose donc de vérifier la cause exacte du licenciement, la matérialité des griefs et la suffisance des éléments produits. En cause incidente figurent aussi le droit à une indemnité repas selon la convention collective, la prime annuelle, l’ancienneté retenue pour le préavis et l’indemnisation due en cas d’absence de cause réelle et sérieuse pour une ancienneté inférieure à deux ans.

La décision commentée confirme l’absence de cause réelle et sérieuse, faute de preuve suffisante de la faute grave, et tire les conséquences indemnitaires en matière de préavis et de dommages-intérêts. Elle refuse la prime annuelle, accorde une indemnité repas, annule la mise à pied conservatoire et ordonne la remise des documents de fin de contrat rectifiés. La solution s’appuie sur une exigence soutenue de la preuve, sur la délimitation par la lettre de licenciement et sur l’application équilibrée des règles conventionnelles et légales.

I. L’examen resserré de la cause et de la preuve

A. La cause exacte au prisme du renvoi et de la lettre de licenciement

Le renvoi prescrivait de confronter le grief omis par la précédente juridiction, relatif au comportement déloyal, au standard probatoire exigé. La cour rappelle d’abord la méthode. Elle souligne que « L’exigence d’une cause exacte signifie que le juge ne doit pas seulement vérifier que les faits allégués par l’employeur comme cause de licenciement existent ; il doit également rechercher si d’autres faits évoqués par le salarié ne sont pas la véritable cause du licenciement. » Cette formule encadre doublement le contrôle: d’une part, la motivation doit correspondre aux faits établis; d’autre part, le juge vérifie l’absence d’une cause réelle concurrente.

La lettre de licenciement constitue l’axe du débat, puisqu’elle « fixe les limites du litige ». Dans ce cadre, la cour expose les griefs énumérés par l’employeur et vérifie leur consistance. Elle retient en particulier la nécessité d’examiner le grief de disloyauté, précisément visé par la cassation. Toutefois, l’examen s’effectue sans renverser la charge probatoire et sans neutraliser les autres moyens utiles, ce qui maintient une cohérence avec l’office du juge prud’homal et avec le principe du contradictoire.

La définition matérielle de la faute grave est également rappelée, avec un standard exigeant: « La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits, imputable au salarié, constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’il rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même pendant la durée du préavis. » Cette définition structure l’analyse des manquements imputés et la qualification finale.

B. L’insuffisance des éléments versés et la rigueur probatoire exigée

La cour pose clairement le fardeau probatoire: « La charge de la preuve d’une faute repose exclusivement sur l’employeur qui l’invoque. » Elle évalue ensuite la valeur des pièces sur plusieurs griefs. Les transferts contractuels sont appréciés à la lumière d’attestations et de validations financières, la décision estimant l’irrégularité non démontrée. Les bulletins qualifiés de « frauduleux » sont écartés au regard de la connaissance salariale implicite du dirigeant. S’agissant de l’affiliation à une mutuelle, le lien avec le cas d’espèce n’est pas établi de manière probante.

Le cœur du renvoi porte sur le grief de disloyauté. La cour examine l’unique attestation produite à l’appui, non conforme aux prescriptions de l’article 202 du code de procédure civile. Elle n’en tire pas une nullité automatique, rappelant une règle utile: « il est de principe que la violation des dispositions de l’article 202 du code de procédure civile n’est pas prescrite à peine de nullité et qu’il appartient au juge d’apprécier souverainement si une attestation non -conforme à ces dispositions présente ou non des garanties suffisantes pour emporter sa conviction et ne pas l’écarter des débats. » L’énoncé est important, car il autorise l’examen au fond malgré l’irrégularité formelle. Cependant, l’attestation, « peu circonstanciée », ne suffit pas à prouver une soustraction de cachets ni une suppression de données. L’exigence probatoire n’est donc pas satisfaite, ce qui conduit logiquement à écarter la faute grave et à retenir l’absence de cause réelle et sérieuse.

II. Les effets induits sur les accessoires et la réparation

A. Les suites de l’absence de faute grave: restitutions, indemnités et accessoires

L’absence de faute grave emporte annulation de la mise à pied conservatoire. La décision s’aligne ainsi sur sa propre motivation, sans ajouter de sanction autonome. Un rappel utile des textes s’opère également pour le préavis: « En application de l’article L.1234-1, 2° du code du travail, lorsque le licenciement n’est pas motivé par une cause grave , le salarié a droit à un prévis d’un mois s’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté comprise entre 6 mois et 2 ans . » Le calcul de l’ancienneté, repris depuis le contrat antérieur, est retenu au vu des mentions du contrat ultérieur, qui affirmait sa suite, ce qui fonde l’octroi du préavis et des congés afférents.

Sur les demandes pécuniaires périphériques, la cour refuse la prime annuelle, faute de stipulation de proratisation et de preuve d’un usage. À l’inverse, elle accueille la demande d’indemnité repas, en appliquant la convention collective applicable: « Aux termes de l’article 5 de la convention collective applicable, l’alinéa C prévoit que les salariés ne bénéficiant ni d’une cantine ni de tickets restaurant perçoivent une indemnité de repas pour chaque journée de travail. » Elle précise ensuite l’articulation avec les titres-restaurant: « la convention collective prévoit également que si l’entreprise utilise un système de titres-restaurants, le montant de sa participation est déduit du montant de l’indemnité de repas. » Cette séquence illustre une mise en œuvre concrète de la hiérarchie des normes et de la preuve des usages.

Enfin, l’indemnisation du licenciement injustifié s’inscrit dans le cadre antérieur aux ordonnances de 2017. La cour cite la règle de référence: « Par application des dispositions de l’article 1235-5 du code du travail, dans sa version applicable entre le 1er mai 2008 au 10 août 2016, s’agissant d’un licenciement notifié antérieurement au 24 septembre 2017 d’un salarié ayant moins de deux années d’ancienneté, ce dernier est fondé à obtenir une indemnité réparant le préjudice subi. » Le quantum est arrêté en fonction de l’ancienneté, de l’âge, du salaire de référence et des recherches d’emploi non établies.

B. Portée et enseignements: rigueur probatoire, délimitation du litige et sécurité des pratiques

L’arrêt renforce la dialectique entre la lettre de licenciement et l’examen au fond. D’un côté, la lettre « fixe les limites du litige »; de l’autre, le juge doit confronter la cause alléguée à la « cause exacte » et vérifier l’absence d’un motif réel concurrent. Cette articulation limite les risques d’instrumentalisation de la lettre et sécurise le débat probatoire. Elle s’accorde avec la censure initiale qui imposait l’examen du grief de disloyauté, sans préjuger de son bien-fondé.

La portée probatoire est nette: une attestation irrégulière peut être examinée, mais sa force probante dépend de sa précision intrinsèque. La formule citée le résume avec clarté. En pratique, l’employeur doit réunir des éléments objectifs, circonstanciés et convergents, spécialement lorsqu’il allègue des manipulations informatiques ou des soustractions matérielles. À défaut, la faute grave, « d’une importance telle qu’il rend impossible le maintien du salarié », ne peut être retenue.

Sur les accessoires, la solution apporte un rappel utile. L’indemnité repas découle directement de la convention collective lorsque les conditions sont réunies, tandis que la prime annuelle ne se présume ni ne se prorate sans texte ou usage. Le traitement de l’ancienneté montre enfin l’effet utile de la mention contractuelle établissant la continuité, qui influe sur le préavis et ses congés afférents. La décision, ainsi, réaffirme des lignes constantes du droit du travail tout en illustrant la vigilance requise en matière de preuve et de qualification de la faute grave.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture