Cour d’appel de Saint – Denis, le 27 août 2025, n°23/01647

Par un arrêt du 27 août 2025, la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion s’est prononcée sur la responsabilité d’un expert-comptable à la suite d’un redressement fiscal subi par son client. Une société de promotion immobilière avait confié à un cabinet d’expertise comptable une mission de présentation de ses comptes annuels. À l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale lui a notifié une proposition de rectification portant sur des sommes importantes au titre de la TVA et de l’impôt sur les sociétés. Après divers recours hiérarchiques, une transaction a été conclue avec l’administration le 8 août 2018 pour un montant de 351 239 euros.

Estimant que l’expert-comptable avait commis des fautes à l’origine du redressement, la société cliente l’a assigné le 5 août 2022 en réparation de son préjudice. Par jugement du 26 octobre 2022, le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis a déclaré l’action irrecevable comme prescrite, considérant que le délai quinquennal avait couru à compter de la proposition de rectification du 24 octobre 2016.

La société cliente a interjeté appel, soutenant que le point de départ de la prescription devait être fixé à la date de la transaction conclue avec l’administration fiscale. L’expert-comptable intimé a conclu à la confirmation du jugement, faisant valoir que la prescription avait commencé à courir dès l’expiration du délai de recours contentieux contre la proposition de rectification.

La question posée à la cour d’appel était celle de la détermination du point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité contre un expert-comptable lorsque le dommage résulte d’un redressement fiscal ayant fait l’objet d’une transaction.

La cour d’appel infirme le jugement déféré. Elle retient que « ce n’est finalement qu’à l’issue de la transaction conclue le 8 août 2018 que les sommes dues au titre du redressement ont été définitivement fixées et que le dommage s’est avéré certain en son principe ». Elle condamne l’expert-comptable au paiement de 53 787 euros correspondant aux pénalités fiscales.

Cette décision invite à examiner la détermination du point de départ de la prescription en matière de responsabilité de l’expert-comptable (I), avant d’analyser l’étendue de cette responsabilité et la réparation du préjudice (II).

I. La détermination du point de départ de la prescription de l’action en responsabilité

La solution retenue par la cour d’appel repose sur l’application du critère de la certitude du dommage (A), ce qui conduit à écarter la date de la proposition de rectification fiscale (B).

A. L’application du critère de la certitude du dommage

La cour d’appel rappelle le principe posé par l’article 2224 du code civil selon lequel le délai de prescription court « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Elle précise que « la date de réalisation du dommage est celle à laquelle la personne qui a eu à en souffrir ne pouvait ignorer son principe et non celle à laquelle elle a eu la certitude de son étendue ».

Cette distinction entre le principe du dommage et son étendue est classique en droit de la responsabilité civile. La Cour de cassation l’applique régulièrement en matière de redressement fiscal. La cour d’appel de Saint-Denis s’inscrit dans cette jurisprudence en recherchant à quelle date le dommage est devenu certain dans son principe.

La solution retenue présente l’intérêt de protéger les droits du créancier de l’obligation de réparation. Faire courir la prescription avant que le dommage soit définitif reviendrait à contraindre la victime à agir en justice alors même que son préjudice reste incertain. Cette approche se justifie particulièrement en matière fiscale où la procédure contradictoire peut aboutir à une réduction significative des impositions initialement envisagées.

B. L’exclusion de la date de la proposition de rectification

Le tribunal de première instance avait retenu comme point de départ du délai la date de la proposition de rectification, considérant que le recours gracieux ou hiérarchique n’avait pas interrompu la prescription. La cour d’appel écarte cette analyse en relevant que « la notification du redressement a été le point de départ d’une procédure contradictoire, à l’issue de laquelle l’administration fiscale aurait pu ne mettre en recouvrement aucune imposition ».

Cette motivation met en lumière le caractère aléatoire du dommage au stade de la proposition de rectification. L’administration fiscale peut en effet abandonner tout ou partie des rehaussements envisagés à l’issue de la procédure contradictoire. La transaction conclue en l’espèce a d’ailleurs abouti à un montant sensiblement inférieur à celui de la proposition initiale. Le dommage n’était donc pas réalisé à la date retenue par le premier juge.

La cour d’appel ne se prononce pas sur la question de l’interruption de la prescription par les recours hiérarchiques. Elle n’en a pas besoin puisqu’elle fixe le point de départ du délai à une date postérieure à ces recours. Cette économie de moyens laisse toutefois ouverte la question de l’effet des recours gracieux sur le cours de la prescription.

II. L’étendue de la responsabilité de l’expert-comptable et la réparation du préjudice

La cour d’appel caractérise une faute de l’expert-comptable dans l’exécution de sa mission (A), mais limite la réparation aux seules pénalités fiscales (B).

A. La caractérisation de la faute dans l’exécution de la mission

La cour rappelle que « la responsabilité de l’expert-comptable s’apprécie au regard de la lettre de mission définissant ses obligations » et que celui-ci « est tenu d’une obligation de moyen ». Elle examine les deux griefs soulevés par la société cliente. Le premier concerne l’omission de comptabiliser une partie du prix de vente d’un complexe sportif et la quote-part du résultat d’une indivision. Sur ce point, la cour retient la faute en relevant que l’expert-comptable « était donc tenu de solliciter auprès de la société les justificatifs lui permettant de tenir sa comptabilité, de vérifier la teneur et la régularité de ces derniers ».

La cour écarte en revanche l’argument tiré du défaut de coopération du client. Elle relève que l’expert-comptable « ne justifie pas avoir sollicité auprès de sa cliente les éléments sur la base desquels les déclarations ont été remplies ». Cette solution s’inscrit dans une conception exigeante de l’obligation de l’expert-comptable qui ne peut se contenter d’attendre passivement la transmission des documents nécessaires à sa mission.

Le second grief relatif à la surévaluation du stock est en revanche rejeté car « l’inventaire de stock et leur valorisation n’entrant pas dans les prestations fixées par la lettre de mission ». Cette distinction illustre l’importance de la définition contractuelle de la mission dans l’appréciation de la responsabilité de l’expert-comptable.

B. La limitation de la réparation aux pénalités fiscales

La cour d’appel refuse de condamner l’expert-comptable au paiement de l’intégralité du redressement. Elle retient d’abord que « l’impôt dû au titre du chiffre d’affaires […] aurait été dû par la société ». Le montant de l’impôt éludé ne constitue pas un préjudice réparable puisqu’il correspond à une dette fiscale que la société aurait dû acquitter si les déclarations avaient été correctement établies.

En revanche, la cour considère que la société « n’aurait pas été tenue au paiement de pénalités » sans la faute de l’expert-comptable. Elle condamne donc ce dernier au paiement de 53 787 euros correspondant aux intérêts de retard et majorations. Cette solution est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui distingue l’impôt normalement dû des pénalités constituant le seul préjudice indemnisable.

La portée de cet arrêt est double. Sur le plan de la prescription, il confirme que le point de départ du délai ne peut être fixé à une date où le dommage demeure incertain. Sur le plan de la responsabilité, il rappelle que l’expert-comptable n’est pas le garant du paiement de l’impôt par son client mais répond des conséquences dommageables de ses manquements professionnels. Cette solution équilibrée préserve le caractère indemnitaire de la responsabilité civile tout en assurant une protection effective des victimes de fautes professionnelles.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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