Cour d’appel de Saint – Denis, le 27 août 2025, n°24/00090

Par un arrêt du 27 août 2025, la cour d’appel de Saint-Denis, statuant sur renvoi après cassation, s’est prononcée sur la sanction applicable à l’omission du taux de période dans une offre de prêt immobilier.

Un établissement de crédit a consenti, le 23 février 2013, un prêt immobilier d’un montant de 354 000 euros à deux emprunteurs, remboursable en 240 mensualités au taux effectif global de 4,32 %. Par acte du 17 novembre 2017, les emprunteurs ont assigné le prêteur aux fins d’annulation de la stipulation d’intérêts et, subsidiairement, de déchéance du droit aux intérêts. Le tribunal judiciaire de Saint-Denis, par jugement du 31 janvier 2020, a prononcé la nullité de la stipulation d’intérêts et ordonné la substitution du taux légal au taux conventionnel. Par arrêt du 1er avril 2022, la cour d’appel de Saint-Denis a infirmé le jugement sur la nullité et prononcé la déchéance du droit aux intérêts conventionnels. Sur pourvoi du prêteur, la première chambre civile de la Cour de cassation, par arrêt du 29 novembre 2023, a cassé cette décision au motif que la cour d’appel aurait dû rechercher si l’écart entre le taux effectif global mentionné et le taux réel était supérieur à la première décimale.

Devant la cour de renvoi, le prêteur soutenait que la mention du taux de période n’était pas obligatoire dans les crédits immobiliers, que les emprunteurs ne démontraient pas une erreur supérieure à la décimale réglementaire et que les frais d’assurance, souscrits en délégation, n’avaient pas à être intégrés dans le calcul du taux effectif global. Les emprunteurs faisaient valoir que le taux de période était erroné, que l’intégration des frais d’assurance révélait un écart de taux supérieur à la décimale prescrite et sollicitaient la confirmation de la nullité ou, subsidiairement, la déchéance du droit aux intérêts.

La cour d’appel de Saint-Denis devait répondre à la question de savoir si l’omission du taux de période dans l’offre de prêt immobilier, combinée à l’exclusion des frais d’assurance obligatoire du calcul du taux effectif global, justifiait le prononcé d’une déchéance du droit aux intérêts conventionnels.

La cour d’appel a prononcé la déchéance partielle du droit aux intérêts conventionnels et substitué un taux annuel de 1 % au taux conventionnel. Elle a retenu que le taux de période n’était pas mentionné dans le contrat, que l’assurance était obligatoire et que son coût aurait dû être intégré dans le calcul du taux effectif global, entraînant un écart supérieur à la décimale réglementaire.

Cet arrêt illustre la rigueur du contrôle du taux effectif global dans les crédits immobiliers. Il convient d’examiner les conditions d’appréciation de l’erreur affectant le taux effectif global (I) avant d’analyser la sanction retenue par la cour d’appel (II).

I. Les conditions d’appréciation de l’erreur affectant le taux effectif global

La cour d’appel a d’abord constaté l’absence de mention du taux de période dans l’offre (A) puis déterminé le caractère significatif de l’erreur par l’intégration des frais d’assurance obligatoire (B).

A. L’absence de mention du taux de période dans l’offre de prêt

La cour d’appel relève que « le taux de période n’est pas mentionné dans le contrat de prêt immobilier du 23 février 2013 ». Elle écarte l’argument du prêteur selon lequel cette mention aurait été communiquée ultérieurement en précisant que « le fait qu’il ait été communiqué par courrier du 8 mars 2017 aux emprunteurs est inopérant, la signature du contrat étant antérieure ».

Cette position s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation. L’article R. 313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue du décret du 1er février 2011, impose que le taux de période et sa durée soient expressément communiqués à l’emprunteur. La Cour de cassation a rappelé dans son arrêt de cassation du 29 novembre 2023 que « le taux de période, lequel, ainsi que la durée de la période, doivent être expressément communiqués à l’emprunteur ». L’exigence de communication concomitante à l’offre de prêt répond à l’objectif d’information précontractuelle du consommateur. Celui-ci doit pouvoir vérifier, au moment où il s’engage, la régularité du calcul du taux effectif global et comparer les offres concurrentes. Une communication postérieure, fût-elle intervenue avant toute action en justice, ne saurait régulariser le manquement initial.

Le prêteur soutenait que l’obligation de mentionner le taux de période ne concernait que les crédits professionnels. La cour d’appel rejette implicitement cette analyse en appliquant les textes relatifs aux crédits immobiliers consentis aux consommateurs. Cette solution est conforme aux articles L. 312-8 et R. 313-1 du code de la consommation qui ne distinguent pas selon la nature professionnelle ou non du crédit.

Cette exigence formelle stricte traduit la finalité protectrice du droit de la consommation. Toutefois, l’absence de mention du taux de période ne suffit pas à elle seule à caractériser une irrégularité sanctionnable. Encore faut-il démontrer que cette omission a conduit à une erreur significative sur le taux effectif global effectivement appliqué.

B. L’intégration des frais d’assurance obligatoire dans le calcul du taux effectif global

La cour d’appel constate que « l’intégration dans le calcul du TEG annuel, du montant des cotisations mensuelles d’assurances décès, perte totale et irréversible d’autonomie et ITT/IPT souscrites par les emprunteurs, entraîne un écart supérieur à la première décimale avec le TEG mentionné dans l’offre ». Elle précise qu’il « ressort clairement des mentions des conditions particulières du contrat de crédit du 23 février 2013, que ces frais ont été omis dans le calcul du TEG ».

L’article L. 313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable, prévoit que doivent être ajoutés aux intérêts « les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects ». La jurisprudence a précisé que les frais d’assurance doivent être intégrés lorsque la souscription de cette assurance est imposée comme condition d’octroi du prêt. La cour d’appel cite expressément l’arrêt de la première chambre civile du 13 novembre 2008 selon lequel il incombait « à la banque, qui subordonnait l’octroi d’un crédit immobilier à la souscription d’une assurance, de s’informer auprès du souscripteur du coût de celle-ci avant de procéder à la détermination du taux effectif global ».

En l’espèce, la cour d’appel relève que selon les conditions générales du contrat, la mise à disposition des fonds était subordonnée notamment à « l’agrément de l'(des) emprunteur(s) (…) par la compagnie d’assurance au titre de l’assurance décès groupe ». Le caractère obligatoire de l’assurance n’était d’ailleurs pas contesté par le prêteur. Celui-ci soutenait seulement que le coût de cette assurance, souscrite en délégation, était indéterminable au moment de l’émission de l’offre. La cour d’appel écarte cet argument en rappelant l’obligation pour le prêteur de s’informer du coût de l’assurance avant d’établir le taux effectif global.

Le rapport d’analyse mathématique produit aux débats, sur lequel le prêteur ne formulait aucune critique, établissait un taux effectif global réel de 4,75587 % contre 4,32 % mentionné dans l’offre. Cet écart de plus de 0,43 point dépasse manifestement la tolérance d’une décimale prévue par l’article R. 313-1 du code de la consommation. Cette démonstration chiffrée répond précisément à l’exigence posée par la Cour de cassation dans son arrêt de renvoi.

La caractérisation d’une erreur supérieure à la décimale réglementaire ouvre la voie au prononcé d’une sanction. La cour d’appel devait alors déterminer la nature et l’étendue de celle-ci au regard du préjudice subi par les emprunteurs.

II. La sanction de l’erreur affectant le taux effectif global

La cour d’appel a écarté la nullité de la stipulation d’intérêts au profit de la déchéance partielle du droit aux intérêts (A) et a procédé à une modulation de la sanction au regard du préjudice des emprunteurs (B).

A. Le choix de la déchéance partielle au détriment de la nullité

La cour d’appel prononce « la déchéance partielle de la Sofider du droit aux intérêts conventionnels » et non la nullité de la stipulation d’intérêts sollicitée à titre principal par les emprunteurs. Elle retient que « le défaut de communication du taux de période est sanctionné par la déchéance, totale ou partielle, du droit aux intérêts ».

Cette solution se conforme strictement à la cassation intervenue. La Cour de cassation avait rappelé dans son arrêt du 29 novembre 2023 que la sanction applicable était « la déchéance, totale ou partielle, du droit aux intérêts ». L’article L. 312-33 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 19 septembre 2000, prévoyait expressément cette sanction pour les irrégularités affectant le taux effectif global des crédits immobiliers.

Le débat sur la nature de la sanction applicable a longtemps divisé la jurisprudence. Certaines décisions avaient retenu la nullité de la clause de stipulation d’intérêts, entraînant la substitution automatique du taux légal au taux conventionnel. La Cour de cassation a progressivement imposé le recours à la déchéance, qui présente l’avantage d’une modulation possible au regard des circonstances de l’espèce. Cette évolution traduit un souci de proportionnalité entre la gravité du manquement et ses conséquences financières.

La déchéance se distingue de la nullité par son caractère facultatif et modulable. Le juge apprécie souverainement l’étendue de la sanction en fonction du préjudice effectivement subi par l’emprunteur. La nullité, à l’inverse, produit un effet automatique de substitution du taux légal, sans considération pour les circonstances particulières de l’espèce. Le choix de la déchéance permet ainsi une meilleure adaptation de la réponse juridique à la situation concrète des parties.

Les emprunteurs soutenaient que la nullité n’était pas exclue par les textes et était régulièrement prononcée par les juridictions. La cour d’appel ne répond pas expressément à cet argument mais tranche en faveur de la déchéance, conformément à la jurisprudence désormais établie de la Cour de cassation. Cette solution assure la sécurité juridique des relations contractuelles tout en préservant la fonction sanctionnatrice du droit de la consommation.

B. La modulation de la sanction au regard du préjudice des emprunteurs

La cour d’appel relève que « les emprunteurs ont subi un préjudice puisqu’ils ont reçu une mauvaise information quant au coût réel du crédit souscrit le 23 février 2013 et qu’ils n’ont pas pu bénéficier d’un élément de comparaison avec d’autres offres ». Elle en déduit que « la gravité de ce manquement justifie que la déchéance partielle du droit aux intérêts soit prononcée, le taux conventionnel étant substitué par un taux annuel de 1 % ».

La fixation du taux de substitution à 1 % constitue une sanction mesurée. Le taux conventionnel initial de 4,32 % est réduit de plus de trois points, ce qui représente une économie substantielle pour les emprunteurs sur la durée restante du prêt. Cette solution se distingue de celle retenue par le tribunal judiciaire qui avait substitué le taux légal de 0,04 % en vigueur au jour de la conclusion du contrat. La cour d’appel opte pour un taux intermédiaire qui sanctionne le manquement sans aboutir à une quasi-gratuité du crédit.

La caractérisation du préjudice repose sur le défaut d’information des emprunteurs. Ceux-ci n’ont pas été mis en mesure de comparer utilement l’offre litigieuse avec d’autres propositions de financement. Le taux effectif global constitue l’instrument légal de cette comparaison. Son inexactitude prive l’emprunteur de la faculté d’exercer un choix éclairé et fausse le jeu de la concurrence entre les établissements de crédit.

Le prêteur invoquait la mauvaise foi des emprunteurs et l’absence de préjudice pour s’opposer à toute sanction. La cour d’appel écarte implicitement ces arguments en relevant l’existence d’un préjudice certain. La bonne ou mauvaise foi des emprunteurs est sans incidence sur le caractère objectif du manquement aux obligations d’information pesant sur le prêteur. La sanction ne vise pas à réparer un dommage mais à sanctionner le non-respect des prescriptions légales protectrices du consommateur.

La solution retenue assure un équilibre entre les intérêts en présence. Le prêteur conserve une rémunération de son crédit, certes réduite, tandis que les emprunteurs bénéficient d’une réparation effective de leur préjudice informationnel. Cette approche pragmatique évite les effets d’aubaine qu’aurait pu produire une substitution du taux légal proche de zéro.

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Hassan KOHEN
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