Cour d’appel de Saint-Denis, le 29 août 2025, n°24/00237

Par un arrêt de la Cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion, chambre sociale, 29 août 2025, les juges confirment la prise en charge d’une affection de l’épaule au titre du tableau 57 A. La juridiction d’origine était le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion, 31 janvier 2024, qui avait appliqué la présomption légale attachée au tableau.

La salariée, employée de longue date devenue référente qualité hygiène, a déclaré en janvier 2022 une tendinopathie avec déchirure de la coiffe. Son poste impliquait contrôles de DLC, retraits de produits non conformes, réception et rangement de consommables, ainsi que vérifications d’étiquetage en linéaires. L’employeur contestait l’intensité et la durée de ces gestes en élévation.

Après un avis défavorable du comité régional saisi au titre des travaux hors liste limitative, la caisse a refusé la prise en charge. Le premier juge a retenu l’applicabilité du tableau 57 A, écarté la nécessité d’un avis complémentaire, et condamné la caisse. En appel, la caisse soutenait l’insuffisance des travaux listés et sollicitait la désignation d’un nouveau comité régional.

La question portait sur la réunion de la condition relative à la liste limitative des travaux du tableau 57 A, et, corrélativement, sur l’utilité d’une saisine d’un second comité régional. La cour confirme, relevant que « la présomption légale devait trouver à s’appliquer sans qu’il y ait lieu à saisine préalable d’un second comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ».

I. L’affirmation de la présomption professionnelle du tableau 57 A

A. Le cadre légal: présomption d’origine et inutilité de la saisine du comité

Le raisonnement s’ouvre par le rappel clair du texte. La cour cite d’abord l’axiome de base: « L’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale énonce qu’est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau. » Cette formule commande l’analyse ultérieure de la condition litigieuse relative aux travaux.

La juridiction souligne ensuite la portée de cette présomption lorsqu’elle est intégralement acquise. Elle énonce que « la réunion des conditions édictées par un tableau de maladie professionnelle dispense la victime de prouver l’existence d’un lien de causalité […] et la caisse de saisir pour avis un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ». Cette affirmation, reprise in extenso, opère un déplacement décisif: l’avis du comité redevient subsidiaire, cantonné à l’hypothèse d’une défaillance d’au moins une condition du tableau.

Ce rappel n’occulte pas l’office du juge lorsqu’un désaccord persiste sur la satisfaction d’une condition. La cour mentionne l’article réglementaire, rappelant qu’« [l]orsque le différend porte sur la reconnaissance de l’origine professionnelle […] le tribunal recueille préalablement l’avis d’un comité régional autre que celui qui a déjà été saisi ». Toutefois, cet aiguillage ne s’active que si la voie tabellaire est impraticable. La logique de présomption exclut la saisine supplémentaire dès lors que la liste limitative est remplie.

B. La démonstration probatoire de la condition de travaux en abduction

La difficulté résidait dans l’appréciation factuelle de la liste limitative. La cour rappelle la définition du tableau 57 A et les paramètres gestuels exigés. Elle cite que le tableau « associe la rupture partielle ou transfixiante de la coiffe des rotateurs […] à des travaux comportant des mouvements ou le maintien de l’épaule sans soutien en abduction », notamment « avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé » ou « avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé ». Il est encore précisé que « les mouvements en abduction correspondent aux mouvements entraînant un décollement des bras par rapport au corps ».

Sur cette base, la cour instruit la matière probatoire en s’appuyant sur l’enquête administrative, les réponses circonstanciées de la salariée, les réserves de l’employeur, et des éléments médicaux complémentaires. La présence de tâches de contrôle en hauteur, de retraits et de rangement de charges en étagères est corroborée. Le juge du fond tient compte de la taille modeste de l’intéressée et de l’organisation concrète du magasin, ce qui accentue l’ampleur des angles d’élévation requis pour atteindre les rayons supérieurs.

L’argument selon lequel le comité régional avait écarté un lien direct n’emporte pas la conviction. La cour cite la motivation du comité: « le comité ne peut établir une relation directe entre la pathologie […] et son activité professionnelle ». Cette impossibilité, propre à la voie hors tableau, devient indifférente si les travaux listés sont objectivement caractérisés. Le raisonnement se renforce par une pièce médicale récente attestant que « le médecin du travail [a] proscrit l’élévation des bras au dessus de 90 ° », ce qui corrobore l’exposition à des postures en abduction significatives sur le poste.

Enfin, la prise en charge antérieure d’une atteinte symétrique de l’épaule opposée pour les mêmes fonctions milite pour la continuité d’appréciation. La cour en déduit que les gestes et durées requis par le tableau sont atteints lorsque l’on rapporte les séquences hebdomadaires à un temps complet. L’issue s’impose: la présomption tabellaire s’applique, rendant inutile toute nouvelle saisine du comité régional.

II. Valeur et portée de la solution

A. L’office du juge du contentieux technique et la charge probatoire aménagée

La décision précise l’office des juridictions sociales face aux troubles musculo-squelettiques encadrés par un tableau. La cour réaffirme que le juge contrôle l’exacte réunion des conditions du tableau et apprécie souverainement la preuve des travaux. Elle consacre la hiérarchie des instruments: la présomption prime, l’expertise collégiale n’intervient qu’à titre supplétif si une condition manque.

La portée de ce rappel est double. D’abord, il confirme que l’avis d’un comité régional ne lie pas le juge lorsque la voie tabellaire est recouvrée par l’examen des tâches et de leurs durées. Ensuite, il éclaire l’économie probatoire: l’assuré n’a pas à établir le lien causal si les gestes et postures du tableau sont caractérisés, leur démonstration résultant d’éléments factuels convergents. La cour en tire la conséquence normative attendue, en reprenant que « la présomption légale devait trouver à s’appliquer sans qu’il y ait lieu à saisine préalable d’un second comité régional ».

Ce positionnement s’inscrit dans une ligne cohérente avec l’article L. 461-1 et les textes d’application. Il renforce la lisibilité des contentieux où la qualification des travaux, plutôt que la causalité médico-légale, devient l’axe décisif du litige. Il circonscrit, par voie de conséquence, l’office de l’article réglementaire relatif à la consultation d’un second comité.

B. Incidences pratiques sur la reconnaissance des TMS de l’épaule et exigences de preuve

L’arrêt produit des effets concrets pour les acteurs. Il incite les employeurs à documenter précisément les rotations de tâches, les aides disponibles en rayon, et les aménagements effectifs de poste. À défaut, les enquêtes administratives et les attestations générales ne suffisent pas à renverser des descriptions circonstanciées, croisées avec des indices objectifs d’exposition et des avis de santé au travail.

Pour les organismes sociaux, la solution rappelle qu’une orientation prématurée hors liste limitative expose à voir l’avis du comité relativisé si l’analyse juridictionnelle rétablit l’applicabilité du tableau. Le recours à un nouveau comité, régi par le texte réglementaire, ne se justifie pas lorsque la condition litigieuse est tenue pour remplie après contrôle judiciaire. La cour consacre ainsi une économie procédurale, évitant des délais supplémentaires sans valeur ajoutée probatoire.

L’arrêt porte également sur la qualification des postes hybrides, mêlant tâches administratives et interventions physiques ponctuelles mais cumulées. La cour admet qu’un cumul hebdomadaire reparti sur plusieurs jours peut satisfaire les seuils journaliers, une fois rapporté à un temps complet et à l’organisation réelle du service. Cette approche, nuancée et pragmatique, semble de nature à mieux refléter les expositions intermittentes mais régulières dans la grande distribution.

La décision illustre enfin la vigilance exigée en présence d’antécédents professionnels symétriques pertinents. La reconnaissance antérieure de l’épaule opposée, sur fonctions identiques, crée un faisceau d’indices dont la cohérence pèse dans l’appréciation globale des travaux. La cour conclut dans le sens attendu, rappelant que « [l]e jugement contesté doit en conséquence être confirmé ».

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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