- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Rendue par la Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre sociale, le 29 août 2025, la décision tranche un contentieux de recouvrement de cotisations sociales opposant un organisme de sécurité sociale à un travailleur indépendant. La contrainte, signifiée le 3 avril 2023 pour un montant total de 16 076 euros, visait des régularisations de 2016, 2017 et 2018, ainsi que le quatrième trimestre 2019. L’opposition du cotisant soutenait la prescription et, subsidiairement, une erreur sur le revenu 2017. Le pôle social du tribunal judiciaire de Saint‑Denis avait annulé la contrainte pour prescription. L’appel a porté principalement sur l’application des textes adoptés durant la crise sanitaire et sur l’effet interruptif allégué d’un échéancier.
La question posée tenait à l’articulation du délai triennal de l’article L.244-8-1 du code de la sécurité sociale avec la suspension instaurée par l’ordonnance n° 2020‑312 du 25 mars 2020, ainsi qu’avec le mécanisme de rattrapage de l’article 25 de la loi de finances rectificative pour 2021, et à la qualification d’un plan proposé comme reconnaissance interruptive au sens de l’article 2240 du code civil. La cour confirme la prescription pour les régularisations 2016 à 2018, mais valide le recouvrement du quatrième trimestre 2019, tout en ordonnant la remise des majorations de retard en raison d’une procédure collective.
I. Le sens de la décision
A) Données factuelles, cheminement procédural et question de droit
L’organisme de recouvrement a adressé deux mises en demeure, la première le 10 octobre 2019 pour les régularisations 2016, 2017 et 2018, la seconde le 15 février 2020 pour le quatrième trimestre 2019. La contrainte a été signifiée le 3 avril 2023. Le premier juge a retenu la prescription et annulé la contrainte, condamnant l’organisme aux dépens. L’appelant a plaidé la suspension entre le 12 mars et le 30 juin 2020, puis le bénéfice d’une année pour émettre les actes entre le 2 juin 2021 et le 30 juin 2022, enfin l’effet interruptif d’un échéancier notifié le 7 juillet 2022.
La cour rappelle, au visa de l’article 472 du code de procédure civile, que, faute de comparution de l’intimé, elle ne peut accueillir les prétentions d’appel que si elles sont « régulières, recevables et bien fondées », sans tirer d’inférences du défaut. Elle constate que la prescription de l’action en recouvrement a bien été débattue devant le premier juge. La question litigieuse est donc circonscrite au point de départ, à la suspension et à l’interruption du délai triennal, sans qu’il soit statué sur la recevabilité de l’opposition ou sur l’exigibilité de la créance.
B) La solution retenue: suspension Covid, inapplicabilité de la LFR 2021 et absence d’interruption
S’agissant des régularisations 2016 à 2018, le délai de prescription, expirant au 18 novembre 2022, est prolongé de 110 jours par l’ordonnance n° 2020‑312, ce qui conduit à une échéance au 8 mars 2023. La cour en déduit que « ce texte ne permet donc pas d’écarter la prescription de l’action en recouvrement à la date de signification de la contrainte au 03 avril 2023 ». Elle écarte la loi de finances rectificative de 2021, retenant qu’« il en est de même des dispositions tirées […] de l’article 25 VII […] dès lors que le délai de prescription expirait le 18 novembre 2022 soit postérieurement à la période d’émission du 2 juin 2021 au 30 juin 2022 ».
L’échéancier du 7 juillet 2022 ne produit aucun effet interruptif. La décision souligne que la notification « est une simple proposition de la caisse qui n’a reçu aucun commencement d’exécution », puis ajoute: « le débiteur n’est pas à l’initiative de cet échéancier et celui‑ci n’a été suivi d’aucun acte susceptible de démontrer de manière non équivoque qu’il aurait accepté la créance ». La cour conclut nettement: « Dans ces conditions, cette proposition d’échéancier ne saurait avoir un effet interruptif de prescription. » Il en résulte que « l’action en recouvrement est prescrite s’agissant des régularisations 2016, 2017 et 2018. »
Pour le quatrième trimestre 2019, la même suspension prolonge l’échéance au‑delà du 23 mars 2023, la cour retenant que « la prolongation du délai de prescription de 110 jours […] conduit à retenir une expiration du délai au 23 avril 2023 de sorte que la contrainte a été signifiée en temps utile le 03 avril 2023. » Elle juge en conséquence que « l’action en recouvrement n’est donc pas prescrite concernant le 4ème trimestre 2019. » La créance résiduelle de période s’élève à 5 267 euros incluant 342 euros de majorations, dont le caractère infondé n’est pas établi par le débiteur.
II. Valeur et portée
A) Cohérence normative de la motivation et lignes jurisprudentielles
La décision articule avec clarté les trois textes directeurs. D’abord, l’article L.244‑8‑1 du code de la sécurité sociale fixe le délai triennal à compter de l’expiration du délai imparti par mise en demeure. Ensuite, l’ordonnance n° 2020‑312 suspend « les délais régissant le recouvrement des cotisations et contributions sociales […] entre le 12 mars 2020 et le 30 juin 2020 inclus ». Enfin, l’article 25 VII de la loi de 2021 ouvre un délai d’un an pour émettre des actes « à une date comprise entre le 2 juin 2021 et le 30 juin 2022 ». La cour réserve intelligemment chaque mécanisme à son champ: la suspension est temporalement ajoutée au délai de prescription en cours; le rattrapage ne vaut qu’à l’égard des actes devant être émis durant la fenêtre légale.
La solution sur l’échéancier s’inscrit dans une ligne constante: la reconnaissance interruptive suppose un acte émanant du débiteur, non équivoque et, souvent, accompagné d’un commencement d’exécution. En rappelant que la notification « n’a reçu aucun commencement d’exécution » et qu’elle ne contenait pas d’acceptation tacite, la cour tient un standard probatoire élevé, conforme à l’article 2240 du code civil et à la doctrine dominante. L’exigence de manifestation claire prévient les interruptions artificielles nées d’initiatives unilatérales de l’organisme.
Une nuance mérite toutefois d’être relevée. Pour la seconde mise en demeure, la cour retient une échéance reportée au 23 avril 2023. L’énoncé se fonde sur « la prolongation du délai de prescription de 110 jours » mais n’explicite pas la méthode de calcul appliquée à un délai ayant son point de départ proche de la période de suspension. Cette économie d’explication ne remet pas en cause le sens de la solution, mais elle invite à clarifier, à l’avenir, la construction précise du report lorsque le point de départ du délai chevauche la période neutralisée.
B) Conséquences pratiques, portée et précisions utiles
La portée de l’arrêt est double. Pour les organismes, la décision confirme que la suspension Covid s’ajoute mécaniquement au délai triennal, mais que la loi de finances rectificative de 2021 ne peut, hors fenêtre d’émission, servir d’outil générique de prorogation. Elle souligne la nécessité d’un suivi fin des échéances et l’inutilité, à elle seule, d’une proposition d’échéancier non acceptée ni exécutée pour interrompre la prescription.
Pour les cotisants, la solution consolide la protection contre des actes tardifs. Le rappel des conditions d’une reconnaissance interruptive limite les effets d’une simple correspondance standardisée. La motivation insiste, en outre, sur la charge de la preuve du caractère infondé de la créance, le juge relevant que le débiteur « n’[a] pas […] rapporté la preuve du caractère infondé de cette créance » pour la période non prescrite.
La décision précise enfin les incidences de la procédure collective. Après avoir validé l’action pour la période non prescrite, la cour « fixe au passif […] la somme de 4.925 euros correspondant aux cotisations et contributions sociales dues au titre du 4ème trimestre 2019 » en appliquant l’article L.243‑5 du code de la sécurité sociale, « prévoyant en son dernier alinéa qu’en cas de procédure collective et hors le cas du travail dissimulé, les majorations de retard dues par le redevable à la date du jugement d’ouverture étaient remises. » Les dépens de première instance et d’appel sont également fixés au passif, tandis que les frais de signification et l’indemnité sollicitée au titre de l’article 700 du code de procédure civile sont rejetés. La cour indique d’ailleurs qu’« il n’y a pas lieu de “juger” ni même de rappeler les dispositions de l’article L.244‑9 du code de la sécurité sociale », circonscrivant avec rigueur l’office du juge de l’exécution dans ce contentieux.
L’arrêt produit ainsi un équilibre mesuré: il confirme la prescription pour les périodes anciennes, reconnaît l’efficacité d’un acte récent au bénéfice de la suspension Covid, et encadre strictement les effets d’un échéancier unilatéral. Par ces précisions, il contribue à la sécurité juridique des délais de recouvrement et, partant, à la prévisibilité des pratiques des organismes de sécurité sociale.