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La saisie immobilière constitue l’une des voies d’exécution les plus rigoureuses du droit français. Elle permet au créancier muni d’un titre exécutoire de poursuivre la vente forcée du bien de son débiteur afin d’obtenir paiement de sa créance. La question de la prescription de l’action du créancier demeure toutefois un moyen de défense fréquemment invoqué par le débiteur saisi.
La cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, par un arrêt du 29 août 2025, a eu à connaître d’un litige opposant une société de recouvrement à un particulier dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière.
Les faits de l’espèce sont les suivants. Par acte authentique du 13 octobre 2005, un établissement bancaire a consenti à deux époux un prêt immobilier d’un montant de 210 440 euros remboursable en 234 mensualités. Face au défaut de paiement des échéances, la banque a prononcé la déchéance du terme par mises en demeure des 15 juin et 9 août 2017. La créance a été cédée le 20 décembre 2021 à un fonds commun de titrisation, lequel a désigné une société comme entité chargée du recouvrement. Le 23 février 2024, cette société a fait signifier au débiteur un commandement de payer valant saisie immobilière pour un montant de 152 661,97 euros.
Le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Saint-Pierre de la Réunion, par jugement du 29 novembre 2024, a déclaré irrecevable la procédure de saisie immobilière et ordonné la radiation du commandement. La société de recouvrement a interjeté appel de cette décision.
Le débiteur soutenait que la prescription biennale prévue par le code de la consommation était acquise. Selon lui, le délai avait commencé à courir le 9 août 2017, date de la déchéance du terme. Après application des causes interruptives et suspensives, la créance serait prescrite depuis le 30 juin 2021, soit antérieurement au commandement de payer du 23 février 2024. La société de recouvrement faisait valoir que le délai avait été suspendu durant l’exécution du plan de surendettement et n’avait repris qu’en août 2023, de sorte que son action demeurait recevable.
La question posée à la cour était donc de déterminer si le délai de prescription biennale était acquis au jour de la délivrance du commandement de payer valant saisie immobilière, compte tenu des périodes de suspension résultant de la procédure de surendettement.
La cour d’appel de Saint-Denis a infirmé le jugement entrepris. Elle a jugé que « le délai de prescription a été interrompu pour la dernière fois le 17 octobre 2018, mais a été suspendu dès le 14 novembre 2018 jusqu’au 1er août 2023 ». Elle a retenu que le commandement de payer valant saisie immobilière ayant été signifié le 23 février 2024, l’action du créancier n’était pas prescrite.
Cette décision permet d’examiner successivement les mécanismes de computation du délai de prescription en matière de créances soumises au droit de la consommation (I), puis les effets de la procédure de surendettement sur le cours de cette prescription (II).
I. La computation du délai de prescription en matière de créances de consommation
L’examen de la prescription suppose d’identifier le délai applicable et son point de départ (A), avant de déterminer les événements susceptibles d’en interrompre le cours (B).
A. Le délai biennal et son point de départ
L’article L. 218-2 du code de la consommation dispose que « l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ». Ce délai, plus court que le délai de droit commun de cinq ans prévu par l’article 2224 du code civil, vise à protéger le consommateur en limitant dans le temps l’exposition aux poursuites du professionnel.
En l’espèce, la cour relève que « le point de départ du délai de prescription, à savoir le 9 août 2017 (déchéance du terme), de même que la nature du délai, à savoir le délai biennal prévu par le code de la consommation, ne sont pas contestés ». Cette absence de contestation témoigne de l’accord des parties sur l’application du régime protecteur du droit de la consommation au prêt litigieux.
La déchéance du terme constitue effectivement le point de départ logique du délai de prescription. Avant cette date, la créance n’est pas exigible dans son intégralité et le créancier ne peut en poursuivre le recouvrement total. C’est la déchéance qui rend exigible l’ensemble des sommes restant dues et ouvre ainsi le délai de prescription. Cette solution est conforme à l’article 2233 du code civil selon lequel « la prescription ne court pas à l’égard d’une créance à terme, jusqu’à ce que ce terme soit arrivé ».
La brièveté du délai biennal implique que le créancier doit agir avec diligence pour préserver ses droits. Cette exigence se trouve toutefois tempérée par les mécanismes d’interruption et de suspension du délai.
B. Les actes d’exécution interruptifs de prescription
L’article 2244 du code civil dispose que « le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d’exécution ou un acte d’exécution forcée ». Cette disposition permet au créancier diligent de faire renaître un nouveau délai de prescription par la mise en œuvre de mesures d’exécution.
La cour d’appel relève précisément les actes interruptifs accomplis par le créancier. Elle constate que « le 16 mai 2018, la CEPAC a signifié à M. et Mme [V] un commandement aux fins de saisie-vente » et que « le délai de deux ans a donc été interrompu ». Elle ajoute que « le délai de deux ans a donc été interrompu à plusieurs reprises par les saisies-attributions qui se sont échelonnées entre juin 2018 et octobre 2018 ».
L’effet interruptif de ces actes est prévu par l’article 2231 du code civil aux termes duquel « l’interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien ». Ainsi, chaque saisie-attribution fait courir un nouveau délai de deux ans à compter de sa signification.
La dernière saisie-attribution ayant été signifiée le 17 octobre 2018, un nouveau délai de deux ans aurait dû expirer le 17 octobre 2020. Toutefois, l’ouverture d’une procédure de surendettement est venue modifier ce calcul.
II. L’incidence de la procédure de surendettement sur le cours de la prescription
La procédure de surendettement produit des effets sur le cours de la prescription tant durant la phase d’examen de la demande (A) que pendant l’exécution des mesures imposées ou recommandées (B).
A. La suspension du délai durant la procédure de surendettement
L’article L. 722-2 du code de la consommation prévoit que « la décision déclarant la recevabilité de la demande emporte suspension et interdiction des procédures d’exécution diligentées à l’encontre des biens du débiteur ». Cette disposition vise à permettre au débiteur de bénéficier d’un répit pour négocier avec ses créanciers sans voir sa situation patrimoniale se dégrader.
La cour d’appel applique ce texte en relevant que « la demande formulée par M. et Mme [V] auprès de la commission de surendettement des particuliers de la Réunion a été déclarée recevable le 14 novembre 2018 ». Elle en déduit logiquement que le délai de prescription s’est trouvé suspendu à compter de cette date.
La suspension se distingue de l’interruption en ce qu’elle « arrête temporairement le cours [de la prescription] sans effacer le délai déjà couru », comme le rappelle l’arrêt commenté. Le créancier conserve donc le bénéfice du temps écoulé avant la suspension, mais ne peut accomplir aucun acte de poursuite durant cette période.
La cour précise qu’« il est indifférent qu’une saisie-attribution ait été délivrée à M. [V] pendant la suspension ». Cette précision est importante car elle signifie que les actes accomplis en violation de l’interdiction des poursuites ne peuvent produire d’effet interruptif. Le créancier doit attendre la fin de la suspension pour reprendre ses diligences.
B. La prolongation de la suspension durant l’exécution du plan
La cour d’appel va plus loin en retenant que la suspension se prolonge durant toute la période d’exécution du plan de surendettement. Elle se fonde sur l’article L. 733-16 du code de la consommation selon lequel « les créanciers auxquels les mesures imposées par la commission en application des articles L. 733-1, L. 733-4 et L. 733-7 ou celles prises par le juge en application de l’article L. 733-13 sont opposables ne peuvent exercer des procédures d’exécution à l’encontre des biens du débiteur pendant la durée d’exécution de ces mesures ».
La cour rappelle également la jurisprudence constante selon laquelle « la prescription se trouve suspendue pendant le temps d’exécution du plan de surendettement et le débiteur ne peut donc exciper de la prescription de la créance qu’il a reconnue en sollicitant un plan de surendettement ».
En l’espèce, le plan prévoyait des mensualités de remboursement jusqu’en octobre 2023 et contenait une clause résolutoire. Le créancier a adressé une mise en demeure le 10 juillet 2023, reçue le 17 juillet 2023, accordant un délai de quinze jours pour régulariser. La cour en déduit que « le délai de prescription a donc recommencé à courir à compter de ce courrier, et plus exactement, concernant M. [V], 15 jours à compter de la date de réception du courrier, soit jusqu’au 1er août 2023 ».
Cette analyse repose sur l’article 2234 du code civil qui dispose que la prescription ne court pas « contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi ». Durant l’exécution du plan, le créancier se trouve dans l’impossibilité juridique de poursuivre le recouvrement forcé de sa créance. La suspension perdure donc jusqu’à ce que cette impossibilité cesse, c’est-à-dire jusqu’à la caducité du plan.
Le commandement de payer valant saisie immobilière ayant été signifié le 23 février 2024, soit moins de deux ans après la reprise du délai le 1er août 2023, l’action du créancier n’était pas prescrite. La cour infirme donc le jugement de première instance et ordonne la vente forcée du bien saisi.
Cette décision illustre la protection accordée au créancier qui se trouve dans l’impossibilité de poursuivre son débiteur en raison d’une procédure collective. Elle rappelle que le débiteur ne peut tirer profit de sa propre demande de surendettement pour échapper à ses obligations. La solution retenue assure un équilibre entre la protection du consommateur surendetté et les droits légitimes du créancier.