Cour d’appel de Saint-Denis, le 30 juin 2025, n°22/00316

La cour d’appel de Saint-Denis, par un arrêt du 30 juin 2025, apporte une précision notable sur l’articulation entre la procédure de partage judiciaire et la recevabilité des demandes nouvelles en appel. Le litige s’inscrit dans le cadre d’une succession ouverte en 1966 et 1970, les époux défunts ayant laissé huit enfants héritiers, dont certains sont eux-mêmes décédés au cours de l’instance, transmettant leurs droits à leurs propres descendants.

Les faits à l’origine du contentieux concernent un bien immobilier indivis situé à la Réunion. Par assignation du 12 septembre 2012, plusieurs cohéritiers ont sollicité l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession. Un jugement du 20 août 2014 avait ordonné ces opérations et désigné un notaire. Ce dernier a dressé un procès-verbal de difficultés le 23 février 2018, mentionnant deux contestations : l’évaluation du bien immobilier et le montant de l’indemnité d’occupation. Le tribunal judiciaire de Saint-Denis, par jugement du 26 octobre 2021, a prononcé la licitation aux enchères publiques du bien et fixé l’indemnité d’occupation à 24 000 euros. L’un des cohéritiers a interjeté appel. Son décès en cours d’instance a conduit ses propres héritiers à intervenir volontairement. Ces derniers ont alors formé, pour la première fois devant la cour, une demande d’attribution préférentielle du bien indivis.

La question de droit soumise à la cour était double : une demande d’attribution préférentielle formée pour la première fois en appel est-elle recevable lorsqu’elle n’a pas été mentionnée au procès-verbal de difficultés établi par le notaire ? Par ailleurs, comment s’articulent les règles de preuve applicables aux créances d’un indivisaire contre l’indivision au titre d’améliorations et de charges acquittées ?

La cour d’appel déclare irrecevable la demande d’attribution préférentielle au motif qu’elle constitue une « demande nouvelle en cause d’appel ». Elle confirme en outre le jugement entrepris sur la licitation et l’indemnité d’occupation, tout en limitant la créance des appelants à 1 330 euros au titre des seules taxes foncières dûment justifiées.

L’intérêt de cet arrêt réside dans la rigueur avec laquelle la cour applique les règles procédurales propres au partage judiciaire (I), ainsi que dans l’exigence probatoire qu’elle impose aux indivisaires revendiquant une créance contre l’indivision (II).

I. L’irrecevabilité de la demande nouvelle en matière de partage judiciaire

La cour d’appel de Saint-Denis sanctionne la tardiveté de la demande d’attribution préférentielle (A), révélant ainsi la fonction structurante du procès-verbal de difficultés dans la délimitation du litige soumis au juge (B).

A. La sanction de la demande d’attribution préférentielle formée pour la première fois en appel

La cour rappelle que « la demande formée par les héritiers a été formée pour la première fois dans le cadre de la présente instance devant la cour ». Elle constate que « cette question n’a pas été débattue ou, à tout le moins, identifiée comme une difficulté au sens de l’article 837 » du code civil dans sa version applicable au litige. Le procès-verbal du notaire du 23 février 2018 ne mentionnait que deux points de contestation : l’évaluation du bien et l’indemnité d’occupation. L’attribution préférentielle n’y figurait pas.

Les appelants invoquaient plusieurs moyens pour contester cette irrecevabilité. Ils soutenaient que la demande tendait aux mêmes fins que la saisine initiale et s’inscrivait dans la continuité de l’exception de prescription acquisitive précédemment soulevée. La cour écarte ces arguments. Elle retient que, « faute d’avoir été présentée au procès-verbal et seulement soulevée devant le juge d’appel », la demande est irrecevable au visa de l’article 564 du code de procédure civile.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle les demandes nouvelles sont en principe prohibées en appel, sauf exceptions limitativement énumérées. La demande d’attribution préférentielle ne pouvait être considérée comme l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes formées en première instance. Elle constituait une prétention autonome, distincte de la contestation portant sur l’évaluation ou l’indemnité.

B. La fonction déterminante du procès-verbal de difficultés dans la saisine du juge

L’article 837 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la réforme des successions, organise la procédure de partage judiciaire. Lorsque les copartageants ne parviennent pas à un accord, le notaire dresse un procès-verbal mentionnant les points de désaccord. Ce document délimite l’objet de la saisine du juge. La cour le souligne : « le procès-verbal du notaire de difficultés et des dires des parties du 23 février 2018, saisissant la juridiction », ne mentionnait pas l’attribution préférentielle.

Les appelants faisaient valoir que l’un des cohéritiers n’avait pas été convoqué devant le juge commis. La cour répond que cette circonstance est « indépendante » de la recevabilité de la demande. Le défaut de convocation ne saurait permettre de contourner l’exigence selon laquelle les difficultés doivent être soulevées devant le notaire pour être ensuite tranchées par le juge.

Cette position procédurale rigoureuse garantit la loyauté des débats et la prévisibilité du litige. Elle impose aux parties d’exposer l’ensemble de leurs prétentions dès le stade notarial. La procédure de partage judiciaire, parce qu’elle repose sur une phase préalable de conciliation et d’identification des difficultés, ne tolère pas que des demandes substantielles surgissent pour la première fois en appel.

II. L’exigence probatoire pesant sur l’indivisaire créancier de l’indivision

La cour d’appel se montre également exigeante quant à la preuve des créances alléguées par les appelants (A), tout en confirmant le montant de l’indemnité d’occupation selon une logique d’évaluation objective du bien occupé (B).

A. Le rejet des créances insuffisamment établies au titre des améliorations

Les héritiers de l’occupant soutenaient que ce dernier avait édifié et financé des constructions sur le terrain indivis. Ils invoquaient les articles 815-2 et 815-13 du code civil pour réclamer une récompense au titre du profit subsistant. La cour reconnaît que « les photographies de famille, les photographies aériennes ainsi que les divers témoignages » établissent que des travaux ont été réalisés dans les années 1970. Elle relève toutefois qu’il « n’est produit aucune pièce probante permettant, de manière circonstanciée, de dater ou de valoriser en temps et matériaux les modifications effectuées sur le bâti ».

Ce raisonnement illustre la distinction entre l’existence d’un fait et sa quantification. Les appelants prouvaient l’accomplissement de travaux, mais ils échouaient à en établir le coût ou la valeur ajoutée. La cour conclut qu’ils « échouent à apporter la preuve qui leur incombe de leur dette revendiquée à l’égard de l’indivision ».

S’agissant des taxes foncières, les appelants alléguaient avoir réglé 250 euros par an depuis 1970. La cour limite leur créance aux seules sommes « retenues par le notaire dans son décompte au vu des avis produits », soit 1 330 euros correspondant aux années 2012 à 2016. Elle juge que « le surplus des pièces produites » reste « insuffisamment circonstancié pour constituer des preuves ». Cette appréciation restrictive de la preuve protège l’indivision contre des revendications tardives et mal documentées.

B. La confirmation de l’indemnité d’occupation fondée sur la nature construite du bien

Les appelants contestaient le montant de l’indemnité d’occupation. Ils soutenaient que celle-ci devait être calculée sur la base d’un terrain nu, estimant avoir eux-mêmes édifié les constructions. La cour rejette cette analyse au visa de l’article 815-9 du code civil. Elle retient que « le bien immobilier est construit depuis plus de cinq ans » et que « l’occupation des lieux est une occupation à titre d’habitation ». L’indemnité est donc due « au titre d’un bien construit ».

La cour précise que « la détermination de son montant est indépendante des débats sur la dette alléguée de l’indivision ». Cette distinction méthodologique est essentielle. L’indemnité d’occupation rémunère la jouissance privative d’un bien indivis. Son calcul repose sur la valeur locative objective du bien tel qu’il existe, non sur l’origine du financement des constructions. La circonstance que l’occupant ait contribué à l’édification n’affecte pas la qualification du bien comme construit.

La cour confirme le montant de 24 000 euros retenu par les premiers juges pour une occupation de soixante mois, observant que « la fixation d’une indemnité d’occupation pour le bien bâti à la somme mensuelle de 400 euros n’est pas discutée dans son quantum ». Les appelants, faute d’avoir contesté précisément ce montant, ne peuvent obtenir sa révision. Cette solution rappelle que la charge de la preuve et l’exigence de contradiction s’imposent avec la même rigueur en appel qu’en première instance.

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Hassan KOHEN
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