Cour d’appel de Toulouse, le 1 juillet 2025, n°24/01173

Par un arrêt du 1er juillet 2025, la cour d’appel de Toulouse s’est prononcée sur l’admission au passif d’une procédure de redressement judiciaire de créances résultant d’un contrat de prêt, et plus particulièrement sur le sort des clauses indemnitaires stipulées au profit du prêteur.

Une exploitation agricole à responsabilité limitée avait souscrit le 12 avril 2019 un prêt d’un montant de 37 156 euros auprès d’un établissement bancaire. Par jugement du 18 avril 2023, le tribunal judiciaire de Toulouse a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de cette société. La banque a déclaré sa créance au passif pour un montant de 19 790,90 euros. Le mandataire judiciaire a contesté cette déclaration. Par ordonnance du 25 mars 2024, le juge-commissaire a admis la créance à hauteur de 19 214,47 euros à échoir, outre intérêts au taux de 1,50 %, mais a débouté la banque de ses demandes relatives à l’indemnité de 3 % en cas de production à un ordre et à l’indemnité forfaitaire de 5 % en cas d’exigibilité anticipée. La banque a interjeté appel.

Devant la cour d’appel de Toulouse, l’établissement bancaire sollicitait la confirmation partielle de l’ordonnance quant au montant principal admis, mais demandait l’infirmation en ce qu’elle avait rejeté ses demandes relatives aux indemnités contractuelles. La société débitrice concluait à la confirmation et s’en rapportait à la cour concernant le point de départ des intérêts.

La cour devait déterminer si les clauses indemnitaires prévues par le contrat de prêt, stipulant une indemnité de 5 % en cas d’exigibilité anticipée et une indemnité de 3 % en cas de production à un ordre, pouvaient être admises au passif d’une procédure de redressement judiciaire lorsque le débiteur n’était pas défaillant à la date d’ouverture de la procédure.

La cour d’appel de Toulouse a partiellement infirmé l’ordonnance. Elle a confirmé l’admission de la créance principale et fixé le point de départ des intérêts au 9 mai 2023. Elle a admis la créance au titre de l’indemnité de 5 % pour mémoire, considérant qu’il s’agissait d’une créance éventuelle devant être déclarée conformément à l’article L. 622-24 du code de commerce. En revanche, elle a rejeté la demande relative à l’indemnité de 3 % en cas de production à un ordre, jugeant que « la mise en œuvre de la clause a bien pour effet d’aggraver les obligations de la débitrice en mettant à sa charge des frais supplémentaires en l’absence de toute défaillance et du seul fait de l’ouverture de sa procédure collective ».

Cette décision invite à examiner le régime des créances éventuelles dans les procédures collectives (I) avant d’analyser les limites opposées aux clauses indemnitaires aggravant la situation du débiteur (II).

I. L’admission des créances éventuelles au passif de la procédure collective

L’arrêt illustre la nécessité pour le créancier de déclarer l’ensemble de ses créances, y compris celles dont l’exigibilité demeure incertaine (A), tout en précisant les règles applicables au cours des intérêts (B).

A. La déclaration pour mémoire des créances conditionnelles

La cour rappelle que « les créances dont le montant n’est pas encore définitivement fixé doivent être déclarées sur la base d’une évaluation » en application de l’article L. 622-24 du code de commerce. Cette obligation de déclaration s’étend aux créances éventuelles, c’est-à-dire celles dont la naissance dépend de la réalisation d’une condition future et incertaine.

L’indemnité forfaitaire de 5 % en cas d’exigibilité anticipée constituait précisément une telle créance. La cour relève que « la déclaration de créance de la banque prend seulement en compte la perspective encore éventuelle de réalisation d’une des causes de résiliation anticipée prévues au contrat ». Cette perspective inclut notamment l’hypothèse d’une liquidation judiciaire ou d’une cessation d’activité.

La technique de la déclaration pour mémoire permet de préserver les droits du créancier sans figer définitivement le montant de sa créance. La cour précise utilement que « le créancier ne concourra à la distribution que si les conditions lui permettant de bénéficier de cette indemnité sont effectivement réunies ». Cette solution assure un équilibre entre la protection du créancier et la préservation des intérêts de la masse.

B. Le maintien du cours des intérêts pour les prêts à long terme

La cour fait application de l’exception prévue par l’article L. 622-28 du code de commerce au principe de l’arrêt du cours des intérêts. Elle rappelle que ce texte exclut de la règle « les intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ».

La cour précise que cette exception « vise tous les intérêts sans en exclure les intérêts de retard prévus par la convention de prêt », citant un arrêt de la chambre commerciale du 16 juin 2021. Cette interprétation extensive favorise les établissements de crédit en leur permettant de déclarer les intérêts de retard sur les échéances à échoir.

Le point de départ des intérêts a été fixé au 9 mai 2023, date de la première échéance impayée postérieure au jugement d’ouverture. Cette précision, omise par le juge-commissaire, était nécessaire pour déterminer l’étendue exacte de la créance admise.

II. Le rejet des clauses indemnitaires aggravant la situation du débiteur non défaillant

La cour opère une distinction subtile entre les clauses indemnitaires selon leurs effets concrets sur le débiteur (A), s’inscrivant dans une jurisprudence protectrice des entreprises en difficulté (B).

A. La distinction entre clause générale et clause d’aggravation

L’article 11 des conditions générales du prêt prévoyait une indemnité de 3 % « dans le cas où, pour arriver au recouvrement de sa créance, la banque serait obligée de produire à un ordre, d’introduire une instance ou d’engager une procédure quelconque ». La cour reconnaît que cette clause, « d’une portée très générale, vise toutes les hypothèses où le prêteur est contraint d’engager des frais pour le recouvrement de sa créance en l’absence d’exécution spontanée ».

La cour refuse de considérer cette clause comme présumée non écrite de manière abstraite. Elle juge qu’elle « n’a pas, en elle-même, pour objet d’aggraver la situation du débiteur du seul fait de l’ouverture de la procédure collective ». Cette approche in concreto se distingue d’une analyse purement formelle du contrat.

Cependant, l’application de cette clause aux circonstances de l’espèce conduit à une solution différente. La cour relève que « le prêt n’était pas exigible à la date du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la débitrice et cette dernière n’était pas défaillante dans l’exécution de ses obligations ». Dans cette hypothèse particulière, la clause produirait des effets contraires à l’ordre public des procédures collectives.

B. La protection du débiteur in bonis à l’ouverture de la procédure

La solution retenue s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la Cour de cassation, la cour d’appel visant expressément un arrêt de la chambre commerciale du 22 février 2017. Cette décision avait posé le principe selon lequel les clauses ayant pour effet d’aggraver les obligations du débiteur du seul fait de l’ouverture d’une procédure collective doivent être écartées.

La ratio decidendi repose sur l’absence de défaillance du débiteur antérieure à l’ouverture de la procédure. La cour souligne que la mise en œuvre de la clause reviendrait à « mettre à sa charge des frais supplémentaires en l’absence de toute défaillance ». Cette analyse protège le débiteur dont la situation résulte non pas d’une inexécution contractuelle, mais de difficultés économiques ayant conduit à l’ouverture d’une procédure collective.

Cette solution témoigne de la volonté du droit des entreprises en difficulté de ne pas pénaliser le débiteur au-delà de ce que justifie sa situation réelle. Elle participe de l’objectif de sauvegarde de l’entreprise en évitant que des clauses contractuelles n’alourdissent artificiellement le passif. La distinction opérée entre l’indemnité d’exigibilité anticipée, admise pour mémoire car dépendant d’événements futurs, et l’indemnité de production à un ordre, rejetée car sanctionnant la seule ouverture de la procédure, révèle une appréciation nuancée des stipulations contractuelles au regard de leur fonction économique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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