Cour d’appel de Toulouse, le 11 juillet 2025, n°23/02563

Par un arrêt de la Cour d’appel de Toulouse du 11 juillet 2025 (4e chambre, section 1), la juridiction confirme le rejet des demandes d’un salarié relatives au harcèlement moral, à l’obligation de sécurité et à la résiliation judiciaire. La cour précise le régime probatoire applicable, apprécie les diligences de prévention mises en œuvre et statue sur la gravité des manquements invoqués à l’appui d’une rupture aux torts de l’employeur.

Le salarié, engagé en contrat à durée indéterminée en 2016, a connu plusieurs arrêts de travail en 2017, puis a repris son poste au début de septembre. Une procédure disciplinaire a été engagée fin septembre, ayant abouti à un avertissement notifié en octobre. En 2018, une nouvelle absence pour maladie est intervenue. En 2019, le médecin du travail a déclaré l’intéressé inapte avec impossibilité de reclassement, ce qui a conduit à un licenciement pour inaptitude.

Saisi en 2018, le conseil de prud’hommes a finalement débouté le salarié après réinscription de l’affaire au rôle. En appel, celui-ci a sollicité la reconnaissance d’un harcèlement moral, la condamnation de l’employeur pour manquement à l’obligation de sécurité, la résiliation judiciaire produisant les effets d’un licenciement nul ou, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse, ainsi que des indemnités. L’employeur a conclu à la confirmation du jugement.

La question portait d’abord sur la réunion d’éléments laissant supposer un harcèlement moral au sens des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail. Elle visait ensuite l’étendue de l’obligation de sécurité au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2, notamment en présence d’une alerte relative aux risques psychosociaux et d’une visite de reprise manquante. Elle interrogeait enfin la gravité des manquements invoqués justifiant, le cas échéant, une résiliation judiciaire.

La cour retient que « Il convient de procéder à l’examen de chacun de ces agissements afin de déterminer s’ils sont matériellement établis et si, pris dans leur ensemble, en ce compris les éléments médicaux produits aux débats, ils sont de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral ». Elle constate un seul manquement avéré lié à la visite de reprise, mais juge que « Se référant aux développements qui précèdent, la cour constate que le seul agissement matériellement établi […] ne permet pas de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral, lequel suppose des agissements répétés ». Sur la sécurité, la cour rappelle que « Ne méconnaît pas l’obligation légale […] l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L 4121-1 et L4121-2 du code du travail ». Enfin, s’agissant de la résiliation judiciaire, elle souligne que « Les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d’une gravité suffisante » et « Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ».

I. Le régime probatoire du harcèlement moral et l’appréciation des faits

A. L’examen individualisé des griefs et la méthode retenue

La cour procède à un contrôle en deux temps, d’abord factuel puis synthétique. Elle rappelle la nécessité d’éléments précis et concordants, pris isolément et dans leur ensemble. Ce schéma s’ancre dans la charge probatoire aménagée de l’article L. 1154-1, qui commande au salarié d’abord, puis à l’employeur ensuite, de produire des éléments objectifs. Le considérant suivant résume la démarche adoptée : « Il convient de procéder à l’examen de chacun de ces agissements […] s’ils sont de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral ». La cour vérifie ainsi la matérialité de chaque fait, en écartant ceux non objectivés par des pièces et en retenant un seul manquement relatif à la reprise.

L’absence de visite de reprise après un arrêt supérieur à trente jours est tenue pour établie. La cour le dit nettement : « Ce grief est donc matériellement établi ». Le constat répond au texte alors applicable, en rappelant l’obligation de l’employeur d’organiser cette visite. Cette étape circonscrit cependant l’utilité probatoire de ce manquement, en limitant sa portée à l’office du juge en matière de harcèlement.

B. L’exigence d’agissements répétés et la neutralisation des griefs non objectivés

L’arrêt fait un usage rigoureux du critère d’itération, condition cardinale du harcèlement moral. Les allégations de pressions, retraits d’outils, ou vol d’effets personnels sont écartées faute d’objectivation suffisante. Le reproche disciplinaire est, quant à lui, maintenu, la cour relevant d’une part la tardiveté de la contestation, d’autre part la reconnaissance de propos injurieux par le salarié. La conséquence est formulée ainsi : « Il s’ensuit que la notification injustifiée d’un avertissement le 30 octobre 2017 n’apparaît pas matériellement établie ».

L’analyse d’ensemble conduit à refuser l’induction d’un harcèlement à partir d’un seul manquement, même avéré. La cour l’exprime sans ambiguïté : « le seul agissement matériellement établi […] ne permet pas de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral, lequel suppose des agissements répétés ». Ce rappel de méthode éclaire la solution, en réaffirmant la protection contre des qualifications extensives qui dénatureraient le régime légal.

II. L’obligation de sécurité et la résiliation judiciaire : portée et appréciation critique

A. Des diligences de prévention jugées suffisantes malgré une visite de reprise manquante

La cour contrôle les mesures mises en place à la suite de l’alerte relative aux risques psychosociaux. Elle relève des entretiens dédiés, la sollicitation de la médecine du travail, la programmation d’un rendez-vous médical, ainsi que l’organisation d’un entretien contradictoire, assorti d’un accompagnement exceptionnel. Sur cette base, elle retient que « Ne méconnaît pas l’obligation légale […] l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L 4121-1 et L4121-2 du code du travail ».

Le manquement unique, tenant à l’absence de visite de reprise en septembre 2017, demeure isolé. La cour en nie l’incidence démontrée sur la santé ou sur l’inaptitude ultérieure, faute d’éléments établissant un lien causal certain. Elle en déduit que la demande indemnitaire au titre de la sécurité n’est pas fondée : « Non fondée, sa demande de ce chef sera rejetée, par confirmation de la décision déférée ». Cette appréciation privilégie une lecture concrète et documentée de la prévention, fidèle aux textes.

B. L’insuffisance de la gravité des manquements pour emporter résiliation judiciaire

La cour rappelle le standard d’exigence applicable à la résiliation judiciaire, qui n’est pas une sanction automatique mais une réponse à des manquements graves, actuels et imputables. Le visa est clair : « Les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d’une gravité suffisante ». En l’absence de pluralité d’atteintes ou d’atteinte déterminante, la demande est rejetée, d’autant que la rupture est intervenue pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

La solution est conséquente avec l’ensemble du raisonnement et s’inscrit dans une économie de confirmation. Le dispositif le consacre par la formule suivante : « Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, » et, s’agissant des demandes accessoires, « Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ». Ce choix renforce la cohérence d’un arrêt qui hiérarchise les preuves, individualise les manquements et refuse leur extension indue à des qualifications engageant la responsabilité.

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Hassan KOHEN
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