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Par arrêt du 12 septembre 2025, la cour d’appel de Toulouse s’est prononcée sur la contestation d’une mise à pied disciplinaire et sur des demandes de rappels de salaire présentées par un salarié à l’encontre de son employeur, une société exploitant une clinique. Cette décision illustre le contrôle juridictionnel exercé sur les sanctions disciplinaires et pose la question de la requalification statutaire d’un salarié exerçant des fonctions identiques sous des classifications différentes.
Un salarié avait été embauché le 23 juillet 2012 en qualité d’agent de maintenance par une clinique. Par avenant du 31 juillet 2017, il était promu responsable maintenance puis, par avenant du 30 juin 2020, responsable entretien avec attribution du statut d’agent de maîtrise. Le 4 juin 2021, l’employeur lui notifiait une mise à pied conservatoire et une convocation à entretien préalable. Le 12 juillet 2021, une mise à pied disciplinaire de trois jours lui était infligée pour défaut d’entretien des espaces extérieurs, transformation du local maintenance en déchetterie, absence de programmation des travaux de peinture et défaut de management de l’équipe. Le salarié saisissait le conseil de prud’hommes de Toulouse le 5 janvier 2022 pour contester cette sanction et solliciter divers rappels de salaire. Par jugement du 20 septembre 2023, le conseil de prud’hommes déboutait le salarié de l’ensemble de ses demandes. Le salarié interjetait appel, sollicitant l’annulation de la mise à pied, des dommages et intérêts, un rappel de prime sur objectifs et un rappel de salaire fondé sur le statut d’agent de maîtrise qu’il estimait devoir lui être reconnu depuis 2017.
Trois questions se posaient à la cour. La mise à pied disciplinaire était-elle justifiée au regard des faits reprochés au salarié. Le salarié pouvait-il prétendre à un complément de prime sur objectifs. Le salarié pouvait-il revendiquer le statut d’agent de maîtrise et la rémunération correspondante depuis 2017.
La cour d’appel de Toulouse confirme la mise à pied disciplinaire en retenant trois griefs établis sur quatre. Elle infirme partiellement le jugement en condamnant l’employeur à verser un rappel de prime de 200 euros pour le premier trimestre 2022, faute de production de la grille d’évaluation correspondante. Elle condamne également l’employeur à un rappel de salaire de 7 200 euros, constatant que le salarié exerçait depuis 2017 des fonctions identiques à celles justifiant le statut d’agent de maîtrise accordé en 2020.
La décision présente un double intérêt. Elle précise les conditions du contrôle juridictionnel de la sanction disciplinaire en distinguant négligences fautives et insuffisance professionnelle (I). Elle consacre le droit du salarié à la classification correspondant aux fonctions réellement exercées (II).
I. Le contrôle juridictionnel de la sanction disciplinaire
La cour opère un contrôle rigoureux de la matérialité des griefs (A) avant de qualifier juridiquement les manquements retenus (B).
A. L’exigence de preuve des faits reprochés au salarié
L’article L. 1333-1 du code du travail impose au juge d’apprécier si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, l’employeur devant fournir les éléments qu’il a retenus. La cour rappelle que « si un doute subsiste, il profite au salarié ».
En l’espèce, la cour procède à un examen minutieux de chaque grief. S’agissant du défaut d’entretien des espaces extérieurs, elle relève que « ces clichés illustrent un manque flagrant d’entretien régulier des espaces verts autour de l’établissement ». L’argument du salarié tiré de l’absence de l’équipe pendant le week-end est écarté au motif que « l’amoncellement de divers déchets et détritus ne peut résulter de la seule absence de l’équipe de maintenance durant le week-end ». La cour neutralise également l’argument de la surcharge de travail en constatant que « la clinique a externalisé la majeure partie de la maintenance des espaces verts à compter de 2020 ».
Concernant l’état du local maintenance, la cour retient que « de nombreux matériels usagés ont été stockés dans le local de maintenance, sans que ne soit établi qu’ils pouvaient être réutilisés ». Elle s’appuie sur les photographies montrant « des palettes, des planches et divers panneaux de bois, un pare-choc, des cartons, et des morceaux de meubles, entassés et enchevêtrés ».
Pour le défaut de mise en œuvre du plan peinture, la cour examine les grilles d’évaluation trimestrielles qui mentionnent pour ce critère « à revoir » puis « à réaliser », démontrant « des carences réitérées ».
En revanche, s’agissant du grief tiré de l’absence de management, la cour l’écarte faute de preuve, relevant qu’« aucun compte-rendu contradictoire de l’entretien en date du 14 juin 2021 n’est versé aux débats ». Cette approche traduit une application stricte de la charge probatoire incombant à l’employeur.
B. La qualification de négligence fautive distincte de l’insuffisance professionnelle
La distinction entre faute disciplinaire et insuffisance professionnelle constitue un enjeu majeur du contentieux prud’homal. L’insuffisance, qui traduit une inaptitude à remplir correctement ses fonctions, ne peut donner lieu à sanction disciplinaire.
La cour qualifie expressément les manquements constatés. Elle énonce que « le comportement du salarié qui tente d’expliquer ses propres manquements par ceux qu’il impute à l’employeur ne témoigne pas d’une insuffisance professionnelle mais de négligences fautives répétées ». Cette formulation révèle le critère déterminant retenu par les juges. Le salarié ne se trouvait pas dans l’impossibilité d’exécuter correctement ses missions. Il disposait des moyens nécessaires, les principales tâches d’entretien ayant été externalisées. Ses carences procédaient d’un défaut de diligence et non d’une incompétence.
La cour vérifie également la proportionnalité de la sanction en retenant que « ces manquements justifient du prononcé de la mise à pied disciplinaire dont il a fait l’objet, dont la durée est proportionnée à la gravité des manquements identifiés ». La mise à pied de trois jours apparaît ainsi adaptée à des négligences certes répétées mais n’ayant pas entraîné de conséquences irrémédiables.
Cette analyse s’inscrit dans une jurisprudence constante distinguant selon que les défaillances du salarié procèdent d’une abstention volontaire ou d’une réelle incapacité. La décision contribue à affiner les critères de cette distinction en soulignant l’importance de l’attitude du salarié face aux reproches formulés.
II. Le droit à la classification correspondant aux fonctions exercées
La cour consacre le principe de correspondance entre fonctions réelles et classification conventionnelle (A) tout en encadrant strictement le pouvoir d’évaluation de l’employeur en matière de rémunération variable (B).
A. La primauté des fonctions réellement exercées sur la qualification contractuelle
Le principe selon lequel la classification d’un salarié doit correspondre aux fonctions qu’il exerce effectivement constitue une règle fondamentale du droit du travail. La qualification contractuelle ne saurait prévaloir sur la réalité des missions accomplies.
La cour procède à une analyse comparative des fiches de poste successives. Elle constate que « seule une fiche de poste responsable maintenance est versée aux débats et que celle-ci a été signée par le salarié le 1er août 2017 » puis « le 1er septembre 2020 sans que l’examen comparatif de ces deux documents ne révèle la moindre modification des missions dévolues au salarié ». Cette identité des fonctions sur une période de trois ans fonde la requalification.
La cour relève la contradiction dans l’argumentation de l’employeur qui « ne peut donc raisonnablement prétendre que le salarié a signé un avenant incluant ses nouvelles missions au mois de juin 2020 ». L’attribution du statut d’agent de maîtrise en 2020 ne correspondait pas à une évolution des responsabilités mais à une régularisation tardive d’une situation préexistante.
La solution retenue présente une portée pratique considérable. Elle condamne l’employeur à verser un rappel de salaire de 7 200 euros correspondant à la différence de rémunération sur dix-huit mois, dans la limite de la prescription triennale. Cette décision sanctionne la pratique consistant à retarder l’attribution d’un statut conventionnel alors que le salarié en remplit les conditions.
B. L’encadrement du pouvoir d’évaluation en matière de prime sur objectifs
La prime sur objectifs constitue un élément de rémunération dont le versement est subordonné à la réalisation de critères préalablement définis. L’employeur dispose d’un pouvoir d’évaluation mais celui-ci doit s’exercer de manière transparente et vérifiable.
La cour rappelle les stipulations contractuelles prévoyant une prime trimestrielle de 600 euros « attribuée selon les modalités définies dans la grille d’évaluation trimestrielle ». Le système de notation sur 40 points déterminait le montant de la prime de façon dégressive.
Pour les trimestres contestés, la cour valide l’appréciation de l’employeur lorsque les grilles d’évaluation sont produites. Elle constate que « pour le 2ème trimestre 2021, il a atteint le score de 26 points, sans atteindre le minimum requis de 31 points ». Elle admet également que la contestation manuscrite portée par le salarié sur sa fiche ne suffit pas à remettre en cause l’évaluation.
En revanche, pour le premier trimestre 2022, la cour sanctionne le défaut de production de la grille correspondante. Elle énonce que « la grille d’évaluation correspondant à ce trimestre n’est pas produite aux débats » et que « l’employeur ne permet pas à la cour d’apprécier le bien-fondé de ce versement partiel ». L’absence de justification entraîne condamnation à un rappel de 200 euros.
Cette solution illustre l’exigence de traçabilité pesant sur l’employeur en matière de rémunération variable. Le pouvoir d’évaluation n’est pas discrétionnaire. Il doit s’appuyer sur des éléments objectifs et vérifiables, conservés et produits en cas de litige.