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Par arrêt du 17 juillet 2025, la Cour d’appel de Toulouse a infirmé un jugement du 29 janvier 2024 du Conseil de prud’hommes de Toulouse relatif à un licenciement pour inaptitude d’une salariée protégée. Le litige portait sur l’exécution par l’employeur de son obligation de sécurité et sur les effets indemnitaires de l’inaptitude.
La salariée, engagée comme sage-femme depuis 2007 et élue au CSE, avait multiplié les alertes sur sa charge et ses conditions de travail, puis avait été déclarée inapte par la médecine du travail en 2021. Le licenciement avait été autorisé par l’inspection du travail, avant une contestation prud’homale rejetée en première instance. L’appel visait la reconnaissance d’un manquement de l’employeur, l’indemnisation de la perte d’emploi, l’application du régime d’inaptitude d’origine professionnelle, ainsi que le versement du préavis et de dommages distincts.
La Cour a rappelé l’autonomie du contrôle du juge judiciaire sur l’origine de l’inaptitude et a caractérisé un manquement à l’obligation de sécurité, causal de l’inaptitude. Elle a alloué une indemnité de préavis et des congés payés afférents, ainsi que des dommages-intérêts pour perte d’emploi, tout en écartant l’application de l’article L. 1226-14 et en rejetant la demande fondée sur l’exécution déloyale.
I – Contrôle judiciaire et obligation de sécurité
A – L’autorisation administrative et ses limites
La Cour souligne la répartition des contrôles entre l’administration du travail et le juge judiciaire. Elle énonce que « il appartient à l’administration du travail de vérifier que l’inaptitude physique de la salariée est réelle et justifie son licenciement ». Elle ajoute surtout que « il ne lui appartient pas en revanche, dans l’exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude ». Cette dissociation maintient la compétence du juge judiciaire pour apprécier l’origine de l’inaptitude et ses conséquences civiles.
Dans ce droit fil, l’arrêt précise que « dès lors, l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que la salariée fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations ». La formule est classique et confirme une articulation stable entre contentieux administratif de l’autorisation et contentieux civil de la responsabilité.
La portée pratique est nette. L’existence d’une autorisation administrative, bien fondée sur la réalité de l’inaptitude, ne neutralise pas la discussion judiciaire sur la cause de celle-ci. Le juge judiciaire demeure saisi de la faute alléguée et du lien de causalité, avec la possibilité d’ordonner des réparations appropriées et distinctes du contrôle administratif.
B – Les indices du manquement retenu
La Cour retient une défaillance objective de prévention et de réaction aux alertes. Elle relève des sollicitations hors périodes d’astreinte, l’absence de fiche de poste pour un périmètre pourtant étendu, ainsi que des réponses inadaptées aux difficultés d’organisation. Elle note des messages internes abrupts, telle la réponse « faites comme vous voulez je m’en fou bon courage », révélatrice d’un défaut d’accompagnement dans un contexte sensible.
L’arrêt insiste sur la convergence d’éléments probants. Il retient que « de la confrontation de ces éléments, il résulte qu’il existait bien de réelles difficultés auxquelles la salariée était confrontée sans réponse de sa hiérarchie pourtant informée et qu’elles avaient un impact sur sa santé ». Le constat d’alertes répétées, d’un suivi par la médecine du travail et d’une organisation imprécise aboutit à une appréciation globale du risque psychosocial non maîtrisé.
La Cour exige des mesures correctrices concrètes face aux signaux reçus. Elle énonce que « l’employeur destinataire de nombreuses alertes […] devait donc mettre en place des mesures correctrices sauf à manquer à son obligation de sécurité ». Elle refuse de réduire l’analyse à de simples volumes d’activité en rappelant que « quant à la charge de travail, le débat ne peut se résumer à la question de la diminution du nombre d’accouchements au sein de la clinique ».
La causalité est explicitement affirmée. La Cour juge que « dans de telles conditions, l’inaptitude médicalement constatée était au moins partiellement la conséquence du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de sorte que la salariée peut prétendre à la réparation du préjudice découlant de la perte de son emploi ». Cette formulation admet un lien causal partiel, suffisant pour engager la responsabilité et ouvrir droit à réparation.
II – Régime indemnitaire et portée de la solution
A – Réparation de la perte d’emploi et préavis
La Cour distingue les chefs indemnitaires ouverts par le manquement causal. Elle retient, d’une part, l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi, fixée en considération du salaire moyen, de l’ancienneté et des éléments produits sur la situation postérieure. Elle tranche en ces termes que « le montant des dommages et intérêts sera fixé à 40 000 euros ».
D’autre part, la Cour rétablit les droits attachés à la rupture. Elle juge que « elle peut en revanche prétendre à l’indemnité de préavis, laquelle ouvre droit à congés payés afférents puisqu’il ne s’agit pas de l’indemnité de l’article L. 1226-14 du code du travail ». Elle précise l’assiette et le quantum, retenant les compléments habituels inclus dans la rémunération, et fixe des montants détaillés pour le préavis et les congés.
Cette solution articule utilement responsabilité et régime de rupture. Le préavis rémunère une période procédurale qui n’a pas été exécutée du fait d’un licenciement prononcé aux torts de l’employeur. Les dommages distincts réparent la perte de l’emploi, sans doublon avec les indemnités légales ou conventionnelles déjà perçues.
B – L’écartement de l’article L. 1226-14 et des autres prétentions
La Cour refuse d’appliquer le régime de l’inaptitude d’origine professionnelle. Elle énonce que « il ne s’en déduit pas que le régime de l’article L. 1226-14 du code du travail trouve à s’appliquer puisqu’il ne s’agit pas d’un licenciement prononcé alors que l’employeur avait connaissance de l’origine même partiellement professionnelle de l’inaptitude ». Le critère déterminant demeure la connaissance, au jour de la rupture, de l’origine professionnelle de l’inaptitude.
Cette solution évite une requalification automatique du licenciement en rupture relevant du régime protecteur. L’indemnité spéciale est donc écartée, tandis que l’indemnité de licenciement ordinaire demeure acquise, et que les autres réparations suivent le terrain de la responsabilité civile contractuelle.
La demande fondée sur l’exécution déloyale, au titre d’un forfait-jours inopposable, est également rejetée. La Cour relève que « toutefois, la salariée ne se place pas sur le terrain d’une nullité ou d’une inopposabilité de la convention de forfait ». Faute de démonstration d’un préjudice autonome, et de qualification adéquate du grief, l’arrêt conclut sobrement : « elle sera déboutée de cette demande ».
L’ensemble compose une décision cohérente, qui distingue nettement les plans de contrôle et ordonne les effets indemnitaires selon leur cause. Le rappel de l’office du juge judiciaire et l’exigence de mesures préventives concrètes renforcent la portée pratique de l’obligation de sécurité.