Cour d’appel de Toulouse, le 18 juillet 2025, n°23/01548

La sanction de la violation de l’obligation de discrétion en droit du travail constitue un enjeu majeur pour les employeurs soucieux de préserver la confidentialité des informations circulant au sein de l’entreprise. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse le 18 juillet 2025 en offre une illustration significative.

Une salariée avait été embauchée le 26 août 2019 en qualité de secrétaire technique par une société spécialisée dans la désinfection, désinsectisation et dératisation. Son contrat de travail comportait une clause de discrétion lui imposant de conserver « de la façon la plus stricte, la discrétion la plus absolue sur l’ensemble des renseignements » recueillis à l’occasion de ses fonctions. Le 15 janvier 2021, une cliente avait adressé un courriel de réclamation à la société pour se plaindre du comportement d’un technicien lors d’une intervention. La salariée avait transmis ce courriel au technicien concerné sans y avoir été autorisée par sa hiérarchie. L’employeur l’avait licenciée le 6 février 2021 pour violation de ses obligations contractuelles de discrétion et de confidentialité.

La salariée avait saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse qui, par jugement du 16 mars 2023, avait jugé le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et condamné l’employeur au versement de dommages et intérêts et d’une indemnité de préavis. La société avait interjeté appel. En cause d’appel, les conclusions de la salariée avaient été déclarées irrecevables par ordonnance du conseiller de la mise en état du 19 mars 2024.

La question posée à la Cour d’appel de Toulouse était de déterminer si la transmission par une salariée d’un courriel de réclamation d’un client à un collègue, sans autorisation hiérarchique, constituait une violation de l’obligation contractuelle de discrétion justifiant un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

La cour infirme le jugement déféré et dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse. Elle retient que la salariée a « manifestement violé l’obligation de discrétion contractuelle à laquelle elle était tenue mais également l’obligation de loyauté qu’elle devait à son employeur » en remettant au technicien un courriel de réclamation le concernant sans y avoir été autorisée.

L’intérêt de cette décision réside dans la distinction opérée entre obligation de confidentialité et obligation de discrétion ainsi que dans l’articulation établie entre cette dernière et l’obligation de loyauté. La cour précise les conditions d’appréciation de la faute justifiant le licenciement en tenant compte du contexte disciplinaire et des risques engendrés par le comportement de la salariée.

Il convient d’examiner la caractérisation de la violation de l’obligation de discrétion (I), avant d’analyser les conséquences de cette violation sur la justification du licenciement (II).

I. La caractérisation de la violation de l’obligation de discrétion

La cour opère une distinction entre les différentes obligations pesant sur la salariée (A), avant d’établir la matérialité des faits reprochés par un examen rigoureux des éléments de preuve (B).

A. La distinction entre obligation de confidentialité et obligation de discrétion

La cour procède à une analyse minutieuse des stipulations contractuelles pour déterminer la nature exacte de l’obligation méconnue. Le contrat de travail comportait une obligation de confidentialité prévue par les articles 1 et 8 ainsi qu’une obligation de discrétion édictée par l’article 7. La cour relève que l’article 8 définissait l’information confidentielle comme « toute information appartenant à la société, fichier client, donnée technique, secrets de fabrique ou savoir-faire (…) ou tout autre information commerciale, juridique, technique ».

Au regard de cette définition restrictive, la cour considère que « Mme [Y] n’a pas violé l’obligation lui incombant à cet égard ». Le courriel de réclamation d’une cliente ne constituait pas une information confidentielle au sens contractuel du terme. Cette qualification aurait pu faire obstacle à toute sanction disciplinaire si l’employeur s’était fondé exclusivement sur la violation de la clause de confidentialité.

La cour retient en revanche la violation de l’obligation de discrétion. L’article 7 du contrat imposait à la salariée de « conserver, de la façon la plus stricte, la discrétion la plus absolue sur l’ensemble des renseignements qu’elle pourrait recueillir à l’occasion de ses fonctions ou du fait de sa présence dans la société ». Le contrat précisait que « le respect de cette clause de discrétion est un élément déterminant du présent contrat ». Cette stipulation, plus large que l’obligation de confidentialité, englobait tout renseignement recueilli dans l’exercice des fonctions, y compris un courriel de réclamation adressé à la hiérarchie.

B. L’établissement de la matérialité des faits par convergence d’indices

La cour procède à un examen approfondi des éléments de preuve pour établir la réalité des faits reprochés. L’employeur produisait notamment une déclaration manuscrite du technicien reconnaissant avoir reçu le courriel litigieux de la salariée. Ce document, rédigé sur « un morceau de papier à petits carreaux », n’était pas conforme aux exigences de l’article 202 du code de procédure civile et se trouvait contredit par une attestation ultérieure du même technicien.

La cour relève cependant que le technicien « ne conteste pas être l’auteur de ce premier document » mais « prétend l’avoir rédigé à la demande de l’employeur, sous la pression ». Elle en déduit que « sa force probante en est entachée ». La cour ne fonde donc pas sa conviction sur ce seul élément.

Elle s’appuie sur une convergence d’indices concordants. L’attestation du responsable technique rapportait que le technicien lui avait « confessé avoir eu la copie du mail (…) remise par » la salariée. Les échanges de SMS entre la salariée et le technicien révélaient que ce dernier lui écrivait « certes j’ai fait une gaffe mais ce n’était pas le but de te balancer ». La cour qualifie ce message de « spontané » et considère qu’il « vient objectivement corroborer la confidence recueillie » par le responsable technique.

La cour relève également les incohérences du récit de la salariée dans son courrier de contestation du licenciement. Celle-ci prétendait avoir été informée du courriel pendant son arrêt maladie du 11 au 13 janvier 2021, alors que la réclamation avait été formulée le 15 janvier 2021. Elle affirmait que le technicien était venu la voir après remise de sa lettre d’avertissement le 15 janvier, alors que cet avertissement n’avait été remis que le 19 janvier.

II. Les conséquences de la violation sur la justification du licenciement

La cour caractérise la faute de la salariée en l’articulant avec l’obligation de loyauté (A), puis apprécie la gravité de cette faute au regard du contexte et des risques engendrés (B).

A. L’articulation entre obligation de discrétion et obligation de loyauté

La cour retient que la salariée a « manifestement violé l’obligation de discrétion contractuelle à laquelle elle était tenue mais également l’obligation de loyauté qu’elle devait à son employeur ». Cette double qualification renforce la caractérisation de la faute. L’obligation de loyauté, inhérente au contrat de travail, impose au salarié de ne pas adopter un comportement contraire aux intérêts de l’employeur.

En transmettant au technicien un courriel de réclamation le concernant « sans y avoir été autorisée par sa hiérarchie », la salariée avait pris une initiative contraire aux intérêts de l’entreprise. La cour souligne qu’elle n’était pas elle-même « destinataire de ce message ». Elle avait donc accédé à une information qui ne lui était pas adressée et l’avait transmise à un tiers sans autorisation.

La cour qualifie ce comportement de violation de l’obligation de loyauté car il portait atteinte à la maîtrise par l’employeur de la gestion des relations avec ses clients et de la discipline interne. En informant le technicien d’une réclamation le concernant avant toute décision de l’employeur, la salariée avait interféré dans le processus disciplinaire et compromis la confidentialité de la procédure.

B. L’appréciation de la gravité de la faute au regard du contexte

La cour retient que l’agissement de la salariée était « d’autant plus préoccupant » pour son employeur qu’elle « prenait ainsi le risque d’une réaction inadaptée » du technicien « envers l’auteur du mail le mettant en cause ». La cour cite le propre courrier de contestation de la salariée dans lequel elle indiquait que le technicien « tenait des propos graves et menaçait de tout brûler, aussi bien votre lettre d’avertissement que la voiture de cette cliente ».

Cette circonstance aggravante révèle que la salariée avait conscience du caractère potentiellement dangereux de sa divulgation. En transmettant à un salarié manifestant des réactions violentes le nom et l’adresse d’une cliente l’ayant mis en cause, elle avait créé un risque pour cette dernière. La cour prend en considération ce contexte pour apprécier la gravité de la faute.

La cour en conclut que « le licenciement de Mme [Y] repose sur une cause réelle et sérieuse ». Elle infirme le jugement déféré qui avait retenu « l’absence de pièce recevable, de clarté dans les dates et de preuve d’une possible divulgation d’information ». La cour tire les conséquences de cette qualification en supprimant les condamnations prononcées au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des indemnités de préavis.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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