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La fixation du taux d’incapacité permanente partielle consécutif à un accident du travail constitue un enjeu majeur pour les victimes, tant sur le plan de l’indemnisation que de la reconnaissance de leurs séquelles. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse le 3 juillet 2025 illustre les difficultés d’appréciation médicale et juridique qui entourent cette détermination, particulièrement lorsque la victime présente des atteintes neurologiques complexes.
En l’espèce, un ouvrier électricien a été victime d’un accident du travail le 19 décembre 2016 en chutant de l’échelle de la galerie d’un camion. Cet accident lui a occasionné un traumatisme crânien ainsi que des contusions à l’épaule et à la hanche droites. Son état a été déclaré consolidé au 31 août 2020.
La caisse primaire d’assurance maladie lui a initialement reconnu un taux d’incapacité permanente de 15 %. La commission médicale de recours amiable a porté ce taux à 21 %, dont 4 % au titre du coefficient professionnel. Le salarié a alors saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Cahors, qui a ordonné deux expertises médicales successives. Par jugement du 8 septembre 2023, le tribunal a fixé le taux d’incapacité permanente partielle à 61 %, dont 10 % au titre du coefficient professionnel, et condamné la caisse à verser 2 000 euros au titre des frais irrépétibles. La caisse a interjeté appel de cette décision.
La caisse soutenait que les séquelles relevaient d’un simple syndrome post-commotionnel justifiant un taux compris entre 5 et 20 %. Elle contestait également le taux de 8 % retenu pour les troubles olfactifs et estimait le coefficient professionnel surévalué. L’assuré concluait à la confirmation du jugement en faisant valoir qu’il présentait des séquelles provenant d’une atteinte diffuse des hémisphères justifiant un taux médical de 51 % et un coefficient professionnel de 10 %.
La question posée à la Cour était double : d’une part, quelle rubrique du barème indicatif d’invalidité devait être appliquée pour évaluer les séquelles neurologiques ; d’autre part, quel coefficient professionnel convenait au regard du retentissement de l’accident sur la vie professionnelle de la victime.
La Cour d’appel de Toulouse a partiellement infirmé le jugement. Elle a confirmé le taux médical de 51 % en retenant l’application du chapitre 4.2.2 du barème relatif aux atteintes diffuses des hémisphères. Elle a en revanche réduit le coefficient professionnel de 10 % à 5 %, fixant ainsi le taux global d’incapacité permanente partielle à 56 %.
L’intérêt de cet arrêt réside dans la méthodologie d’appréciation des séquelles neurologiques au regard du barème indicatif d’invalidité (I) ainsi que dans les critères de modulation du coefficient professionnel (II).
I. La qualification juridique des séquelles neurologiques
La Cour procède à une analyse rigoureuse des éléments médicaux pour déterminer la rubrique applicable du barème (A), avant d’en tirer les conséquences sur le taux d’incapacité (B).
A. L’objectivation des atteintes neurologiques par les examens paracliniques
Le barème indicatif d’invalidité distingue le syndrome post-commotionnel des traumatisés du crâne, relevant du chapitre 4.2.1.1, des séquelles provenant de l’atteinte diffuse des hémisphères ou du tronc cérébral, relevant du chapitre 4.2.2. La différence de taux entre ces deux catégories est considérable puisque la première prévoit un taux de 5 à 20 % tandis que la seconde peut atteindre 40 à 80 %.
La Cour rappelle que « les séquelles neurologiques, pour pouvoir être retenues, doivent être individualisées et objectivées par des examens paracliniques éventuels ». Cette exigence d’objectivation constitue la clé de voûte du raisonnement juridique en matière d’évaluation des séquelles neurologiques.
En l’espèce, la Cour relève que plusieurs examens ont objectivé les atteintes. Le scanner du 21 décembre 2016 a révélé une « contusion hémorragique des lobes frontaux et des régions rétro-orbitaires ». L’IRM de contrôle du 28 décembre 2016 a confirmé des « contusions hémorragiques sensiblement symétriques en région bi-frontale ». Le scanner du 14 février 2017 a mis en exergue une fracture frontale médiane non déplacée ainsi que des « images séquellaires post traumatiques frontales bilatérales avec signe d’atteinte des bulbes olfactifs ».
La Cour ajoute qu’une IRM cérébrale du 15 décembre 2020 a objectivé « la présence d’hypersignaux sous-corticaux avec amincissement cortical des deux régions frontales et de façon plus marquée des aires pré-frontales ainsi que des bulbes olfactifs ». Cette accumulation d’éléments paracliniques concordants permet de dépasser le simple syndrome post-commotionnel.
B. L’application du taux plancher de 40 % pour les atteintes diffuses
Une fois établie l’objectivation des lésions, la Cour examine si le tableau clinique correspond à la description du barème. Le chapitre 4.2.2 prévoit notamment le cas où « le sujet a un aspect normal. Il peut faire illusion, il a des troubles sévères de l’attention et du jugement, une activité diminuée, souvent réduite aux automatismes sociaux antérieurement acquis ; il ne peut prendre de décision ou les prend sans réflexion et manque d’initiative ».
La Cour constate que le rapport d’expertise décrit un patient qui « se plaint de céphalées intermittentes, dit ne pas se sentir bien, déclare ne rien faire de ses journées, se sent fatigué, zappe quand il regarde la télévision et a tendance à s’endormir devant la télé, dit ne pas lire car il ne retient pas ce qu’il lit, dit qu’il ne se passe rien dans sa tête, que sa tête est vide ». Cette description correspond précisément à la typologie du barème.
La Cour valide également les taux de 3 % pour les acouphènes bilatéraux et de 8 % pour l’anosmie accompagnée d’une agueusie. Sur ce dernier point, elle relève que « le caractère permanent de l’anosmie ressort du certificat médical produit » et que le taux de 3 % invoqué par la caisse « apparaît insuffisant ». Le taux médical global de 51 % est ainsi confirmé.
II. La modulation du coefficient professionnel
Si le taux médical est intégralement confirmé, la Cour procède à une réévaluation du coefficient professionnel (A) en appliquant des critères d’appréciation nuancés (B).
A. Les critères légaux d’attribution du coefficient professionnel
L’article L. 434-2 du code de la sécurité sociale prévoit que le taux d’incapacité est déterminé notamment « d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle ». La Cour rappelle que « lorsque l’accident du travail ou la maladie professionnelle entraîne une répercussion sur l’activité professionnelle, comme un déclassement professionnel, une pénibilité accrue, une perte de salaire, ou un licenciement, il peut être alloué à la victime d’un accident du travail un coefficient professionnel ».
En l’espèce, plusieurs éléments militaient en faveur de l’attribution d’un tel coefficient. La victime a été reconnue travailleur handicapé le 21 décembre 2017. Elle a été licenciée pour inaptitude le 29 septembre 2020, après 41 ans d’ancienneté. Elle occupait un poste qualifié d’électricien niveau IV position 2. Elle a subi une perte de rémunération mensuelle de 833,66 euros nets entre son licenciement et son admission à la retraite le 1er septembre 2022.
Ces éléments justifiaient incontestablement l’attribution d’un coefficient professionnel. La question portait sur son quantum.
B. La réduction du coefficient de 10 % à 5 %
Le tribunal avait retenu un coefficient professionnel de 10 %. La Cour d’appel le réduit à 5 % « au regard de l’ensemble de ces éléments ».
Cette réduction appelle plusieurs observations. La Cour prend en compte le fait que la victime était âgée de 60 ans au jour de la consolidation et qu’elle a été admise à la retraite moins de deux ans plus tard. La période durant laquelle l’incapacité a effectivement affecté sa capacité de travail demeurait donc limitée.
La Cour relève également que la victime admet elle-même « l’absence de perte de validation de ses trimestres pour la retraite ». L’argument relatif à la non-prise en compte des indemnités journalières dans le calcul du salaire annuel moyen n’apparaît pas déterminant pour justifier un coefficient de 10 %.
Cette décision illustre la recherche d’un équilibre entre la reconnaissance des préjudices professionnels subis et l’appréciation concrète de leur retentissement. Un coefficient de 5 % représente une majoration significative du taux médical tout en tenant compte de la proximité de l’âge de la retraite au moment de la consolidation.
La solution retenue par la Cour d’appel de Toulouse témoigne d’une application rigoureuse du barème indicatif d’invalidité, fondée sur l’objectivation médicale des séquelles. Elle rappelle que la qualification juridique des atteintes neurologiques dépend avant tout de leur caractérisation par des examens paracliniques concordants. L’arrêt confirme par ailleurs que le coefficient professionnel doit être apprécié in concreto, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de fait propres à chaque victime.