Cour d’appel de Toulouse, le 9 septembre 2025, n°24/03330

La Cour d’appel de Toulouse, 2e chambre, le 9 septembre 2025, confirme une ordonnance de référé ayant alloué une provision au titre de cotisations dues à une caisse de congés payés. Le litige naît d’une adhésion tardive, d’un contrôle révélant des anomalies et d’un recouvrement demeuré infructueux malgré plusieurs mises en demeure.

Une entreprise du bâtiment, créée en 2018, a employé dès février 2019 sans adhérer à la caisse compétente. Sollicitée à plusieurs reprises en 2022, elle a régularisé son adhésion en juillet 2023 avec effet rétroactif. Un contrôle sur site en juillet 2023 a conduit à des reconstitutions d’assiette pour permettre le calcul des cotisations. Faute de paiement après six relances, un référé a été engagé en février 2024.

Le tribunal de commerce de Toulouse, par ordonnance du 25 juillet 2024, a retenu la recevabilité, écarté la prescription, condamné au paiement provisionnel des cotisations et majorations, ordonné la capitalisation, refusé des délais et alloué une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Appel a été interjeté en octobre 2024. L’appelante soutenait la prescription triennale propre aux salaires, l’existence d’une contestation sérieuse sur l’assiette et les taux, l’absence de cause faute de congés versés, ainsi que la nécessité de délais. L’intimée concluait à la confirmation, en sollicitant une adaptation des frais irrépétibles.

La question portait d’abord sur la nature de la créance et la prescription applicable aux cotisations dues à une caisse de congés payés, ensuite sur les conditions du référé-provision en présence d’une contestation relative aux bases de calcul, enfin sur l’octroi de délais en considération des besoins du créancier. La cour retient la prescription quinquennale de droit commun, l’absence de contestation sérieuse au sens de l’article 873 du code de procédure civile, et le refus de délais faute de justificatifs et au regard de la mission de la caisse.

I. La qualification des cotisations et le cadre du référé-provision

A. Nature non salariale et prescription quinquennale
La cour distingue nettement la créance de cotisations de la créance salariale, écartant la prescription triennale attachée à l’action en paiement du salaire. Elle énonce que « C’est donc à juste titre que le premier juge a retenu que les cotisations dont le recouvrement est sollicité n’étaient pas soumises à la prescription triennale prévue au texte susvisé. » L’application de l’article 2224 du code civil s’impose, la créance procédant d’une obligation légale et statutaire collectivement fixée, et non d’une créance individuelle de salaire.

La solution s’inscrit dans la logique de la mutualisation: l’assiette dépend des salaires versés, mais l’obligation résulte du régime d’adhésion et des statuts approuvés. La cour aligne ainsi la prescription sur la nature de la créance, plutôt que sur son élément de référence, en cohérence avec l’économie des caisses de congés payés.

B. Caractère non sérieusement contestable et assiette justifiée
Rappelant l’office du juge des référés, la cour rappelle que « En application de l’article 873 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier. » Elle précise la grille d’analyse: « L’obligation n’est pas sérieusement contestable en son principe lorsqu’elle est fondée sur une obligation légale et que ses modalités de calcul sont justifiées par les pièces produites. »

La contestation tirée des variations de montants et d’un prétendu défaut d’information sur les taux est écartée par une motivation méthodique sur l’assiette, les déclarations sociales nominatives et les reconstitutions opérées après contrôle. La cour souligne que « Certes, les sommes réclamées au titre de la première mise en demeure du 5 octobre 2023 sont distinctes de celles réclamées dans le cadre de la présente instance, mais cette différence s’explique par la prise en compte des rectifications opérées par le contrôleur postérieurement à la mise en demeure du 5 octobre 2023. » Elle entérine la démonstration probatoire réalisée, concluant que « C’est donc par des motifs pertinents que la cour fait siens que le juge des référés, après avoir constaté que les montants réclamés étaient justifiés par les pièces produites, y compris s’agissant des majorations de retard, a écarté l’existence d’une contestation sérieuse. »

II. Valeur et portée de la solution retenue

A. Intérêt général de la mutualisation et rejet de l’enrichissement sans cause
La fin de non‑recevoir tirée d’un enrichissement sans cause, faute d’indemnités effectivement versées aux salariés, est jugée inopérante. La cour recentre la finalité du dispositif: « D’autre part et surtout, l’association poursuit un but d’intérêt général qui lui a été confié par la loi en vue de garantir la protection du droit au repos et de la santé des salariés, résultant du paragraphe 11 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946. » Elle ajoute que « Les obligations qui résultent pour les employeurs de leur adhésion obligatoire à l’association sont de nature légale et statutaire et non pas contractuelle de sorte que c’est de façon inopérante que la société soutient que le recouvrement des cotisations est dépourvu de cause. »

Cette motivation replace la cotisation dans son cadre objectif, distinct d’un rapport synallagmatique bilatéral. La cause est légale, finalisée par la protection de la santé et du repos, et s’apprécie à l’échelle du mécanisme mutualisé. Le rappel constitutionnel renforce la cohérence axiologique de la solution et désactive les critiques visant la contrepartie individuelle immédiate.

B. Pouvoir d’octroi de délais et équilibre des intérêts
S’agissant de l’article 1343‑5 du code civil, la cour opère un contrôle exigeant de la situation alléguée. Elle relève d’abord l’absence de preuve: « En l’espèce, la cour constate en premier lieu que la société débitrice ne verse aucune pièce de nature à établir sa situation financière. » Elle pondère ensuite par les besoins du créancier institutionnel: « Enfin, la caisse souligne à juste titre que seule la perception régulière des cotisations lui permet de faire face au versement des prestations au profit des salariés. » L’issue s’impose: « L’ordonnance déférée sera par conséquent confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande de délais de paiement. »

L’office du juge des délais demeure circonstancié et documenté: le débiteur doit établir une incapacité conjoncturelle compatible avec les intérêts du créancier. À défaut, la continuité des prestations prime, notamment lorsqu’un organisme paritaire assume une mission d’intérêt général. La portée pratique est nette: la gestion des cotisations appelle rigueur probatoire et diligence déclarative, les variations post‑contrôle n’altérant pas, à elles seules, l’exigibilité ni la liquidité suffisante pour une provision.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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