Cour d’appel de Versailles, le 1 juillet 2025, n°24/01122

Par un arrêt du 1er juillet 2025, la cour d’appel de Versailles s’est prononcée sur les conditions d’interruption de l’instance et le point de départ du délai de péremption à la suite d’une ordonnance de radiation.

Les faits de l’espèce étaient les suivants. Deux époux avaient assigné un avocat en responsabilité professionnelle devant le tribunal de grande instance. L’un des demandeurs décéda en cours de procédure. Son conseil informa la partie adverse de ce décès par un message adressé via le réseau privé virtuel des avocats. L’affaire fut renvoyée à deux reprises pour régularisation, puis radiée du rôle par ordonnance du 10 juin 2021 pour défaut de diligences. La veuve sollicita la reprise de l’instance par conclusions du 2 mars 2023. Le défendeur souleva alors la péremption.

Le juge de la mise en état retint que la péremption était acquise, aucune diligence n’ayant été accomplie depuis le 24 septembre 2020. Il ajouta que l’ordonnance de radiation n’avait pas eu pour effet d’interrompre le délai. La veuve interjeta appel.

Devant la cour, l’appelante soutenait qu’un nouveau délai de deux ans avait commencé à courir à compter de l’ordonnance de radiation. L’intimé contestait la transposition des jurisprudences invoquées au cas d’espèce.

La cour d’appel de Versailles devait répondre à deux questions. La notification du décès d’une partie par message RPVA entre avocats interrompt-elle valablement l’instance au sens de l’article 370 du code de procédure civile ? L’ordonnance de radiation rendue après cette interruption fait-elle courir un nouveau délai de péremption ?

La cour infirme l’ordonnance entreprise. Elle juge que l’instance a été régulièrement interrompue par la notification du décès entre avocats. Elle retient ensuite que l’ordonnance de radiation a fait courir un nouveau délai de péremption. Les conclusions de reprise ayant été déposées avant l’expiration du délai de deux ans, la péremption n’était pas acquise.

Cette décision présente un intérêt certain en ce qu’elle précise les modalités de notification du décès d’une partie en cours d’instance (I) et tire les conséquences de la jurisprudence récente de la Cour de cassation sur le point de départ du délai de péremption après radiation (II).

I. La reconnaissance de l’efficacité de la notification du décès par voie dématérialisée entre avocats

La cour adopte une position souple quant aux formes de la notification du décès interrompant l’instance (A), ce qui conduit à une appréciation pragmatique de l’interruption fondée sur l’information effective de la partie adverse (B).

A. L’assouplissement des exigences formelles de notification

L’article 370 du code de procédure civile dispose que « l’instance est interrompue par le décès d’une partie à compter de la notification qui en est faite à l’autre partie ». La cour rappelle le principe selon lequel cette notification doit en principe être réalisée par acte de commissaire de justice. Elle relève que la veuve ne justifie pas d’une telle notification.

La cour écarte cependant cette exigence formelle en s’appuyant sur la règle selon laquelle « lorsqu’une partie a chargé une personne de la représenter en justice, les actes qui lui sont destinés sont en principe notifiés à son représentant ». Cette règle, issue de l’article 677 du code de procédure civile, permet de considérer que l’information transmise à l’avocat vaut information de la partie elle-même.

En l’espèce, il était « constant que le conseil de M. [G] a été informé du décès de M. [W] par le conseil de sa veuve, via le réseau virtuel privé des avocats ». La cour en déduit que l’instance a été « régulièrement interrompue ». Cette solution témoigne d’une approche finaliste de la notification : ce qui importe n’est pas tant la forme de l’acte que l’effectivité de l’information.

B. Une appréciation pragmatique fondée sur le comportement procédural des parties

La cour ne se contente pas de l’existence d’un message RPVA. Elle relève également que « l’affaire a du reste fait l’objet de deux renvois à la mise en état pour régularisation de la procédure compte tenu du décès de l’une des parties ». Cette circonstance démontre que la partie adverse avait nécessairement connaissance du décès et que la procédure avait été effectivement suspendue pour permettre la régularisation.

Cette motivation révèle une méthode d’appréciation in concreto. La cour recherche si, dans les faits, l’interruption a produit ses effets. Les renvois successifs attestent que le juge de la mise en état et les parties avaient intégré la nécessité de régulariser la procédure. Exiger dans ces conditions un acte de commissaire de justice aurait relevé d’un formalisme excessif.

Cette solution présente l’avantage de la cohérence. Il serait contradictoire d’admettre que la procédure a été suspendue pour régularisation tout en refusant de reconnaître l’interruption de l’instance au motif d’un défaut de forme de la notification. La cour fait ainsi prévaloir la réalité procédurale sur le respect littéral des textes.

II. L’application de la jurisprudence récente sur le point de départ du délai de péremption après radiation

La cour se fonde sur un arrêt de principe de la Cour de cassation pour déterminer le point de départ du délai (A). Elle en tire les conséquences en l’espèce pour écarter la péremption (B).

A. La consécration du principe posé par la Cour de cassation

La cour d’appel de Versailles se réfère expressément à un arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 21 décembre 2023. Selon cette décision, « lorsqu’à défaut de reprise d’instance après l’interruption de celle-ci par la notification du décès d’une partie, une ordonnance de radiation est rendue par le juge, le délai de péremption recommence à courir à compter de la notification, par le greffe, ou de la signification, à la diligence d’une partie, de cette ordonnance de radiation, qui informe les parties des conséquences du défaut de diligences de leur part dans le délai de deux ans imparti ».

Cette jurisprudence rompt avec une approche stricte qui aurait conduit à faire courir le délai de péremption depuis la dernière diligence accomplie avant la radiation. Elle repose sur une logique protectrice : la radiation constitue un avertissement adressé aux parties. Ce n’est qu’à compter de cet avertissement que le délai de péremption doit courir.

La cour d’appel de Versailles applique ce principe après avoir établi que l’instance avait été régulièrement interrompue. Elle constate que « l’ordonnance de radiation rendue le 10 juin 2021 a fait courir un nouveau délai de péremption ». Ce raisonnement en deux temps assure la cohérence de la motivation.

B. Une application favorable à la partie diligente

La cour constate que la veuve « ayant sollicité la reprise de l’instance par conclusions du 2 mars 2023, donc avant l’écoulement du délai de deux ans », la péremption n’était pas acquise. Le calcul est simple : l’ordonnance de radiation date du 10 juin 2021, les conclusions de reprise du 2 mars 2023. Moins de deux ans s’étaient écoulés.

Cette solution aboutit à l’infirmation de l’ordonnance du juge de la mise en état. Celui-ci avait retenu comme point de départ la date du 24 septembre 2020, soit le dernier renvoi pour régularisation. En faisant repartir le délai de la radiation, la cour d’appel adopte une lecture plus favorable au demandeur à l’instance.

La portée de cette décision doit être mesurée. Elle s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence de la Cour de cassation et n’innove pas sur ce point. Elle confirme cependant que les juridictions du fond intègrent cette évolution jurisprudentielle. Les praticiens doivent en tenir compte : après une radiation consécutive au décès d’une partie, le délai de péremption ne court qu’à compter de la notification de l’ordonnance de radiation. Cette règle offre aux héritiers un délai effectif pour organiser la reprise de l’instance.

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Hassan KOHEN
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