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Cour d’appel de Versailles, 1er septembre 2025. Une salariée engagée comme employée commerciale puis à temps complet a été déclarée inapte à son poste après une longue période d’arrêts. Elle demandait la nullité ou, à défaut, la condamnation de l’employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, harcèlement moral, discrimination, violation du statut protecteur, manquement à l’obligation de sécurité et rappel d’éléments de rémunération. Le conseil de prud’hommes avait validé le licenciement pour inaptitude, rejetant l’ensemble des prétentions. La cour d’appel confirme l’absence de harcèlement et de discrimination, mais retient un manquement à l’obligation de sécurité en lien avec une exposition au tabagisme passif, juge que l’inaptitude revêt un caractère professionnel et écarte la cause réelle et sérieuse du licenciement. Elle accorde des indemnités au titre du manquement à la sécurité, de l’absence de cause réelle et sérieuse, l’indemnité spéciale de licenciement et ordonne le remboursement des allocations chômage.
I. Le rejet des griefs de discrimination et de harcèlement moral
A. L’insuffisance des éléments produits au regard du régime probatoire
La cour rappelle le mécanisme probatoire des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail, exigeant des éléments laissant présumer une discrimination, puis la démonstration d’éléments objectifs justificatifs par l’employeur. En l’espèce, les allégations de moqueries liées à l’accent, d’éviction de promotion et de formation d’une tierce personne ne reposent sur aucun document probant, ni sur une demande d’évolution formalisée. La cour relève des témoignages imprécis, non corroborés par des pièces convergentes. Elle énonce ainsi, de manière nette, que « La salariée ne présente pas de faits laissant supposer l’existence d’une discrimination ».
S’agissant du harcèlement moral, la cour applique la même logique graduée de présomption puis de justification, conformément à l’article L. 1154-1. Elle relève l’absence de surcharge démontrée au-delà du temps complet, la concordance des bulletins avec les horaires, et l’adéquation des tâches avec la fiche de poste. La formule synthétique éclaire la conclusion probatoire retenue : « La surcharge de travail alléguée n’est donc pas établie, ni l’obstacle à la promotion de la salariée ».
Les pièces médicales attestent d’un syndrome dépressif, sans pour autant établir un lien causal objectivé avec des agissements imputés à l’employeur, la motivation insistant sur la valeur strictement constatatoire des certificats. Le juge en déduit qu’aucun faisceau suffisamment probant ne permet de présumer un harcèlement moral, de sorte qu’« Il convient donc, par voie de confirmation, de rejeter la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral ».
B. La rigueur de la méthode et ses incidences sur les demandes accessoires
La juridiction du fond fait un usage mesuré du cadre légal de la preuve, refusant de suppléer l’absence de faits précis, circonstanciés et concordants. La solution s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante, qui exige des indices concrets avant tout renversement de charge. La démarche protège la sécurité juridique en séparant les sphères, distinctes, de la prohibition du harcèlement et de l’obligation de prévention.
Cette rigueur irrigue les demandes accessoires. La demande de majoration d’heures complémentaires se heurte à la réalité d’un temps complet rémunéré, confirmé par les pièces de paie et les horaires signés. La conclusion est lapidaire et révélatrice de la cohérence de l’ensemble : « aucun rappel de salaire n’est dû ». La demande au titre d’un statut protecteur est écartée au regard de l’annulation des élections antérieures, de sorte que la protection n’existait pas lors de la rupture. L’ensemble compose un premier mouvement de clarification probatoire.
II. L’inaptitude et l’obligation de sécurité : la faute préventive et ses effets sur la rupture
A. La caractérisation du manquement préventif à partir du tabagisme passif
La cour distingue, avec méthode, l’obligation de prévention des risques professionnels de la prohibition du harcèlement. Elle s’attache aux mesures concrètes prises pour assurer la santé et la sécurité, dans la salle de pause équipée d’une cabine fumeur. Les échanges avec les représentants du personnel faisaient émerger des nuisances persistantes liées à l’ouverture de la cabine, sans mesures suffisantes pour prévenir l’exposition des non-fumeurs.
La motivation, centrée sur l’office préventif de l’employeur, se cristallise dans une phrase structurante : « Néanmoins, à la suite de cette réponse apportée aux délégués du personnel, la société ne justifie pas avoir respecté son obligation de sécurité lui imposant de prendre toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et 4121-2 du code du travail, notamment par la mise en ‘uvre d’actions d’information et de prévention propres à en prévenir la survenance, comportant en particulier un affichage faisant interdiction aux fumeurs de laisser la porte de la cabine ouverte ».
La cour relie ce manquement aux données médicales versées, qui identifient l’exposition au tabagisme passif comme un facteur d’entretien d’une pathologie sérieuse. Sans exiger une preuve impossible, elle retient l’existence d’un préjudice spécifique né de l’insuffisance des actions de prévention, indemnisé distinctement. La logique est conforme à la dualité des obligations patronales : prévenir d’abord, au-delà de toute qualification d’agissements fautifs individuels.
B. La causalité de l’inaptitude et la remise en cause de la cause réelle et sérieuse
Le raisonnement franchit un palier en articulant le manquement préventif avec l’inaptitude. La cour rappelle un principe désormais bien établi : « Le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu’il est démontré que l’inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée (Soc., 6 juillet 2022, n°21-13.387) ». Elle constate que l’atteinte à la santé a été entretenue par l’exposition aux fumées, et que ce manquement a contribué, au moins partiellement, à l’inaptitude.
La conséquence s’impose, dans un double mouvement. D’une part, l’inaptitude revêt un caractère professionnel, ouvrant droit à l’indemnité spéciale, conformément à la formule retenue par la cour : « Dès lors qu’il a été établi que l’inaptitude de la salariée était d’origine professionnelle, celle-ci a droit au versement de l’indemnité spéciale de licenciement ». D’autre part, la rupture se trouve privée de cause réelle et sérieuse, ce que confirme la décision en ces termes, clairs et définitifs : « DIT que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ».
L’évaluation de l’indemnité obéit aux bornes légales, la cour justifiant l’adéquation du barème à l’aune de la finalité réparatrice et dissuasive : « Les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail […] permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi ». L’indemnité allouée tient compte de l’ancienneté, de l’âge, de la rémunération et des éléments produits sur la situation postérieure.
La décision ordonne par ailleurs une mesure d’ordre public social, confirmant la plénitude des effets attachés à l’absence de cause : « il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées », dans la limite légale de six mois. L’ensemble dessine une portée nette : la frontière entre la faute préventive et la qualification de harcèlement reste préservée, mais la première, dès qu’elle alimente l’inaptitude, emporte la rupture hors du champ de la cause réelle et sérieuse.