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Rendue par la Cour d’appel de Versailles, chambre sociale 4-3, le 1er septembre 2025, n° RG 22/02815, la décision tranche un litige relatif à une prise d’acte invoquant harcèlement moral, manquement à l’obligation de sécurité, absence de fourniture de travail et heures supplémentaires. Le salarié, embauché en 2018 et positionné en période probatoire sur un poste de superviseur, a essuyé une non-validation de sa période, des mesures disciplinaires et plusieurs arrêts de travail avant de prendre acte en 2019. Après un jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre du 19 août 2022 qualifiant la prise d’acte en démission, l’appel portait notamment sur la réalité du harcèlement allégué, la charge de la preuve en matière d’heures supplémentaires sous régime d’annualisation, et la portée de l’obligation de sécurité.
La cour confirme la requalification en démission et rejette l’ensemble des demandes indemnitaires corrélatives, tout en rappelant les cadres probatoires. Elle énonce, s’agissant des heures, que « En application des dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis (…) d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ». Sur la prise d’acte, la cour rappelle que « La prise d’acte de la rupture se définit comme un mode de rupture du contrat de travail par le biais duquel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des griefs qu’il impute à son employeur » et que « Si les griefs invoqués par le salarié sont établis et empêchent la poursuite du contrat de travail, alors la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, la prise d’acte doit être requalifiée en démission ». Elle ajoute que « La prise d’acte peut produire les effets d’un licenciement nul si les manquements reprochés à l’employeur sont de nature à entraîner la nullité du licenciement ». Sur le harcèlement, elle rappelle le mécanisme probatoire bilatéralisé: « En application de l’article L. 1154-1 (…) le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ». La solution tient en deux points directeurs: absence d’heures supplémentaires dues en raison du respect de l’annualisation et défaut de preuve de manquements graves justifiant la prise d’acte.
I — Le cadre probatoire des heures supplémentaires et le contrôle de l’annualisation
A — Les exigences probatoires et l’office souverain du juge
La cour réaffirme le standard probatoire en matière d’heures: le salarié doit fournir des éléments « suffisamment précis », l’employeur répond avec ses propres données contrôlées. Elle souligne de nouveau l’économie de l’article L. 3171-4, déjà citée in extenso. Les documents unilatéraux du salarié, tableaux hebdomadaires et photographies de plannings, « sont suffisamment précis quant aux heures que le salarié prétend avoir réalisées pour permettre l’instauration d’un débat contradictoire (…) d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ». Le contradictoire s’ouvre donc, sans préjudice de l’issue du calcul final.
Le juge rappelle ensuite son office en ces termes: « Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant ». L’énoncé consacre une latitude d’évaluation, qui limite l’exigence de motivation chiffrée tout en validant la méthode cumulative par faisceau d’indices.
B — L’articulation décisive avec l’annualisation conventionnelle
L’employeur oppose un accord d’entreprise et un décompte annuel exhaustif. La cour retient le respect des maxima, relève l’absence de dépassement des bornes journalières et hebdomadaires pertinentes, et insiste sur le quantum de référence. Elle précise que le total annuel « ne dépasse pas le quantum maximum prévu dans le cadre de l’annualisation du temps de travail de 1765 heures travaillées par an ». La solution neutralise, en l’espèce, des dépassements ponctuels par l’effet nivelant de l’annualisation, ici correctement administrée.
Cette approche confirme un équilibre constant: la preuve salariale ouvre le débat, mais le cadre conventionnel, s’il est documenté et respecté, clôt la démonstration. Le traitement retenu de l’annualisation conditionne alors l’issue du volet indemnitaire et prépare l’analyse des autres griefs invoqués au soutien de la prise d’acte.
II — La prise d’acte sous l’angle du harcèlement moral et de l’obligation de sécurité
A — La présomption de harcèlement et sa réfutation par éléments objectifs
La cour rappelle d’abord la prohibition: « Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral (…) ». Puis, elle fixe la dynamique probatoire: « En application de l’article L. 1154-1 (…) le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement (…) ».
Les éléments produits laissent initialement « supposer l’existence d’un harcèlement moral » au regard d’une rétrogradation en fin de période probatoire et d’une exclusion d’un groupe de communication interne. Toutefois, la cour admet des justifications objectives, étrangères à tout harcèlement, pour les décisions litigieuses, notamment pendant un arrêt de travail et à la suite d’alertes disciplinaires antérieures. Elle statue en ces termes nets: « Le harcèlement moral allégué n’est donc pas démontré ». L’appréciation factuelle demeure serrée; l’exigence de faits datés, circonstanciés et corroborés emporte le rejet des attestations générales.
B — La portée pour la prise d’acte et le périmètre de l’obligation de sécurité
La définition et les effets de la prise d’acte sont rappelés mot pour mot, incluant l’hypothèse de nullité en cas de manquement invalidant. La cour examine ensuite l’obligation de sécurité sans la confondre avec la prohibition du harcèlement: « L’obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte de l’article L. 4121-1 du code du travail, et de l’article L. 4121-2 du même code, est distincte de la prohibition du harcèlement moral instituée par l’article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle ». Faute de signalements internes probants et d’indices sur des dépassements des durées maximales ou des heures non payées, aucun manquement autonome n’est retenu.
La conclusion opératoire s’impose alors: « La cour retient en définitive qu’il n’est pas établi la preuve de manquements graves justifiant la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur ». La prise d’acte reste ainsi requalifiée en démission, avec les conséquences usuelles sur le préavis, tandis qu’une modeste indemnité de procédure est attribuée à l’employeur.
Cette décision confirme un canevas exigeant mais cohérent. En matière d’heures, l’annualisation dûment suivie neutralise les réclamations lorsque les plafonds ne sont pas franchis. En matière de harcèlement, la présomption ne prospère que si les faits sont circonstanciés et résistent aux explications objectives. L’ensemble renforce une jurisprudence de contrôle méthodique, qui invite les salariés à documenter finement les atteintes alléguées et les employeurs à consigner, de façon traçable, les motifs et modalités de leurs décisions.