Cour d’appel de Versailles, le 1 septembre 2025, n°22/03000

Rendue par la Cour d’appel de Versailles le 1er septembre 2025, l’espèce oppose un salarié, engagé en 2006 comme plongeur à 39 heures hebdomadaires, à son employeur exerçant la restauration. Après une rupture conventionnelle intervenue en juin 2019, le salarié réclame un rappel d’heures contractuelles impayées entre novembre 2016 et juin 2019, avec congés payés, ainsi qu’une indemnité pour travail dissimulé et la remise de bulletins rectifiés.

La juridiction prud’homale avait débouté le salarié en 2022. En appel, le salarié soutient la prescription triennale de l’action en paiement du salaire et conteste toute modification de son contrat sans accord, l’employeur invoquant au contraire la prescription biennale et un accord verbal de réduction du temps de travail, complété d’un avenant non signé mentionnant une réduction puis une augmentation d’horaires.

La question de droit porte d’abord sur le délai de prescription applicable à une créance de salaire au regard des articles L. 3245-1 et L. 1471-1 du code du travail. Elle vise ensuite les conditions d’une modification du temps de travail et de la rémunération, et enfin l’exigence d’un élément intentionnel pour caractériser un travail dissimulé. La cour retient la prescription triennale fondée sur la nature salariale de la créance, refuse toute modification du contrat faute d’accord exprès, alloue un rappel de salaires avec congés payés, rejette l’indemnité pour travail dissimulé, et ordonne la remise de bulletins rectifiés. Elle affirme que « Il y a lieu de rappeler que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée », puis déduit que « Il s’en déduit que l’action en paiement de salaires impayés est soumise à la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail. »

I. Le sens de la décision

A. Prescription triennale de l’action en paiement du salaire

La cour rattache le délai à la nature salariale de la créance, indépendamment du moyen invoqué, et admet l’application de l’article L. 3245-1. Elle vise la date d’exigibilité de chaque paie et la saisine fin octobre 2019, rendant recevables les rappels réclamés depuis novembre 2016. Cette motivation se fonde sur l’énoncé suivant, reproduit par la cour: « Il y a lieu de rappeler que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée. » L’analyse écarte donc la prescription biennale de l’exécution du contrat, sollicitée par l’employeur, et recentre le débat sur la dette salariale.

La solution est ensuite formulée sans ambiguïté par une déduction normative claire: « Il s’en déduit que l’action en paiement de salaires impayés est soumise à la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail. » En conséquence, la période litigieuse demeure accessible, ce qui permet d’examiner le fond relatif au quantum d’heures contractuelles payées. Cette première étape conditionne l’accès au rappel de salaire et ouvre la voie à la discussion sur les modifications contractuelles alléguées.

B. Modification du contrat de travail et exigence d’un accord exprès

Le cœur du litige réside dans la prétendue réduction du temps de travail. La cour constate un paiement à 75,83 heures mensuelles jusqu’en avril 2018, puis à 151,67 heures mensuelles jusqu’en mai 2019, en deçà des 169 heures contractuelles. L’employeur invoque un accord verbal en 2015 et produit un avenant daté de 2018, comportant une erreur d’identification du contrat d’origine et non signé par le salarié. La cour juge ces éléments impropres à établir un consentement clair, certain et préalable à la modification de la durée du travail.

Pour écarter toute acceptation tacite, la cour rappelle l’énoncé de principe suivant: « la simple poursuite du travail aux conditions modifiées n’emporte pas acceptation de la modification du contrat de travail ». Cette affirmation, centrale, invalide l’argument tiré de l’absence de protestation du salarié pendant l’exécution. La conséquence est logique: faute d’accord exprès, la modification n’a pas produit d’effet, et le salarié peut « solliciter le paiement du salaire contractuel qui lui est dû ». Le rappel de salaires est alloué sur la base contractuelle de 169 heures, avec congés payés afférents, au vu des bulletins et du tableau récapitulatif non contesté.

II. Valeur et portée

A. Une solution conforme et sécurisante en matière de prescription salariale

L’arrêt consolide une ligne claire distinguant la prescription de l’action salariale de la prescription attachée à l’exécution générale du contrat. En retenant la nature de la créance comme critère, la cour favorise la sécurité du droit et l’égalité de traitement des salariés confrontés à des retenues durables ou répétées. L’approche préserve la finalité de l’article L. 3245-1, qui vise la reconstitution fidèle du salaire dû, et renforce la portée pratique du principe en matière de paie fractionnée ou minorée.

Cette lecture paraît conforme à la jurisprudence sociale récente, qui rattache la prescription au type de créance et à l’exigibilité de chaque paie. Elle évite les confusions induites par des manquements d’exécution qui, s’ils affectent la paie, ne changent pas la qualification de la dette salariale. La portée est concrète pour les petites structures: l’argument de la tolérance ou de l’urgence économique ne supplée ni la preuve du consentement, ni la correcte application du délai triennal.

B. Une délimitation stricte du travail dissimulé par l’exigence d’une intention

La cour distingue nettement insuffisance de paie et travail dissimulé. Elle rappelle l’exigence d’un élément intentionnel, lequel ne se présume pas de la seule discordance entre heures effectuées et heures mentionnées. La motivation est précise et factuelle: « En l’espèce, s’il est établi que l’employeur a mentionné un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué sur les bulletins de paie, le salarié ne démontre pas l’intention frauduleuse de la société ». Le rejet de la demande indemnitaire découle logiquement de cette carence probatoire.

Cette exigence protège l’office du juge et la cohérence du régime répressif du travail dissimulé. Elle évite que le contentieux des rappels de salaires ne dérive systématiquement vers une sanction forfaitaire, réservée aux manquements les plus graves, caractérisés par la volonté de dissimuler. Pour les employeurs, l’arrêt trace une ligne de vigilance: toute réduction d’horaires exige un avenant signé, et tout manquement répété expose à des rappels significatifs. Pour les salariés, il souligne la nécessité d’indices sérieux et concordants de l’intention pour obtenir l’indemnité de six mois, au-delà du simple écart de paie.

Au total, l’arrêt articule de manière cohérente trois exigences du droit du travail: la protection du salaire par la prescription triennale, l’intangibilité de la rémunération sans accord exprès, et la rigueur probatoire attachée au travail dissimulé. La remise des bulletins rectifiés, sans astreinte, parachève utilement la restauration de la situation légale et clarifie l’exécution future.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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